Marie-Noëlle Faucher a témoigné de sa pratique au lieu d’accueil enfants-parents « La Baroulette » lors de la Conversation « Couples avec enfants » qui s’est tenue à Rochefort, organisée par l’ACF Aquitania en préparation aux 45es Journées de l’ECF « Faire couple – Liaisons inconscientes » qui se tiendront à Paris les 14 et 15 novembre 2015.
Les lieux d’accueil et d’écoute enfants-parents sont en prise directe avec les effets de la modernité. La famille se confronte aux bouleversements des valeurs traditionnelles, conséquences d’un capitalisme débridé, ainsi qu’à la disjonction de la filiation et de la sexualité qu’introduisent les avancées de la science. L’idéal conjugal des couples s’étant libéré de l’institution du mariage, la famille contemporaine s’organise autour et à partir de l’enfant, selon des repères qu’elle se choisit. Cela ne va pas de soi.
La Baroulette, un lieu d’accueil orienté par la psychanalyse
Ce lieu anonyme, gratuit, offre aux familles actuelles inquiétées par les exigences de normalisation des comportements des enfants, un autre écho, celui de préserver la singularité de l’enfant. En supervision, la psychanalyse d’orientation lacanienne privilégie « la juste mesure du symptôme »[1] comme repère.
Nous recevons des enfants accompagnés d’adultes, pères, mères, grands-parents ou nounous. Les accueillants alternent sur le lieu. Et le tissage de ces rencontres se fait au moment de la supervision. Nous y amenons ce qui s’est passé auprès d’un enfant ou bien ce qu’on a entendu dire par un parent, ce qu’on a cru percevoir de singulier dans un apparent bavardage. Quels mots ou attitude décalée nous sont venus ? L’éclairage influencera notre position, nos dires ou nos silences.
Faire couple, liaisons inconscientes
« Ici résonne tout un monde : tension entre l’un et le deux, soi et l’autre… »[2]
Nous percevons dans le lieu d’accueil la recherche de chacun pour vivre en couples avec des enfants. J’ai été intéressée par l’émission de France Inter « Tea time club » du 8 août dernier, « Vivre seul, à deux, à plus », dans laquelle, selon Marie-Hélène Brousse, le couple, la relation exclusive d’une personne avec une autre, qu’elle soit amoureuse, amicale, professionnelle…, est devenu un modèle aujourd’hui. On considère que c’est l’idéal à atteindre, c’est sécurisant. Dans l’émission même, M.-H. Brousse dit que « le temps, la durée, aujourd’hui, c’est un réel contre lequel le couple vient se fracasser. C’est important que le désir de chacun soit relativement présent – que ce ne soit pas une espèce de désir unique. Le secret d’un amour durable, c’est d’avoir la conscience de vivre avec une personne qu’on aime… »[3]
Couples avec enfants – inventions
« Il n’y a pas de rapport sexuel mais il y a une relation de jouissance au partenaire symptôme »[4].
Faire couple dans une bulle :
Mme V. tient à donner le sein à son enfant de deux ans. « C’est, dit-elle, lui qui décidera d’arrêter. Je ne veux pas lui infliger cette frustration. » L’enfant parle encore très peu. Son regard a des expressions furtives de satisfaction. À la veille des vacances d’été, cette maman assure qu’elle a très envie de passer les vacances à quatre, avec son mari et ses enfants dans une bulle, pour profiter d’eux. Un moment plus tard, elle dit tout l’intérêt qu’elle porte au film qui vient de sortir, Papa ou Maman, histoire d’un couple qui a tout pour être heureux, bons métiers, trois beaux enfants, mais décide de divorcer. Ils vont tout faire pour se renvoyer mutuellement la garde des enfants. Elle apprécie que ce film aborde un sujet tabou : « retrouver une liberté ! »
Ils ne partagent pas le même appartement, pour ne pas user leur amour :
C’est une décision qu’une femme et un homme nous disent avoir prise, ne se voir que le week-end pour préserver la durée de leur couple. Autour d’eux, beaucoup de leurs amis divorcent. Leur enfant va chez l’un ou chez l’autre. L’histoire de ce couple semble s’écrire et tenir surtout autour de l’enfant qui fait lien. C’est le père qui se charge du quotidien de l’enfant. Être un père est une construction de tous les instants, qui vient répondre pour lui, à la question « qu’est-ce qu’un père »?
Dans ce couple, c’est la femme qui est aux commandes :
La mère, dans cette famille nombreuse, ne manque pas d’affirmer « je sais comment on élève les enfants », énergiquement, dictant sa loi, comme sa propre mère l’a fait. Son mari nous confie « elle n’est pas facile ». Les enfants mélangent les mots, n’écrivent pas leur prénom, crient entre eux, nous regardent en nous défiant. Nous tenons le débordement pulsionnel au plus près, patiemment. Nous opposons avec fermeté qu’ici, c’est nous qui disons ce qui convient.
Couple mère-enfant-grand-mère :
Venir se poser à La Baroulette quand on est seule avec un enfant, cela peut-être une solution pour une femme très liée à sa propre mère. Son enfant marche à peine, elle nous dit avec colère que « Samuel n’a pas de papa ». Nous reprenons ses paroles à l’intention de l’enfant : « son papa n’est peut-être pas avec vous, mais Samuel a un papa comme tout enfant ». Dans sa « Note sur l’enfant » Lacan écrit que « l’enfant dans le rapport duel à la mère lui donne, immédiatement accessible […] l’objet même de son existence […] Il en résulte […] qu’il est offert à un plus grand subornement dans le fantasme »[5]. Pendant de nombreux mois, ne pas questionner, apprivoiser chez Mme C. son goût du silence pour qu’elle s’ouvre un peu à l’échange et chez l’enfant les gestes débordants de prendre et jeter les jouets, permet petit à petit à la pulsion d’être nouée aux mots. L’enfant se sépare d’un trop, pour se mettre à réclamer les petits mots écrits d’un accueillant inventif. Il entre à l’école. Mme C. revient seule, pleurer à l’accueil. Quelque temps plus tard, elle attend un deuxième enfant dont le père ne reste pas. Elle nous dit aussi qu’elle emménage avec sa mère.
[1] Gil P., « L’accueil de la parole des parents », La lettre mensuelle, Paris, n° 259, juin 2007, p. 19.
[2] Alberti C., argument des 45es Journées de l’ECF Faire couple – Liaisons inconscientes.
3 Propos cités par Brousse M.-H., « Tea time club », France Inter, 8 août 2015, http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=1135913
4 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le partenaire-symptôme », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université de Paris VIII, leçon du 27 mai 1998, inédit.
5 Lacan J., « Note sur l’enfant » Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 374.