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Un grain de folie

Par Dominique Holvoet
23 juin 2018
L’envers de l’exil
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Il me revient de vous présenter « un grain de folie ». La formule qui m’est venue immédiatement à l’esprit en pensant à ce grain c’est « tout le monde est fou » que Lacan profère en 1978, mise en valeur par Jacques-Alain Miller il y a dix ans. Miller a proposé ce titre rétroactivement en achevant son cours de l’année 2007-2008, consacré à l’action lacanienne menée contre les destructeurs d’inconscients, action qu’il qualifiait dès le premier cours de guerre civile1. À ce titre, « tout le monde est fou » est une réponse au syntagme de ladite « santé mentale » qui n’existe que dans l’esprit – délirant bien sûr – de ses concepteurs. Pour nous, c’est dans la faille contingente de son être que l’homme trouve le grain de folie qui cause son existence. Cette cause est cependant opacifiée par l’action fantasmatique qui laisse accroire au rapport sexuel alors même que le fantasme est de fait le moteur de l’auto-érotisme, même s’il peut aider à sursoir au rapport qui n’existe pas. Le grain de folie qui cause l’existence a un nom lacanien que je dévoilerai à la fin. Je vais d’abord tenter de vous dire ce que mon analyse a pu m’enseigner de cette cause, grain de folie.

Avant de parler en 1978 de délire généralisé, Lacan posait la question plus prudemment deux ans auparavant. Il demandait « à partir de quand est-on fou ? peut-on le savoir ? »2 C’est une question que je me suis posée au cours de mon analyse, non pas me concernant – car je me voyais plus débile que fou – mais concernant celle qui m’a mis au monde. Plus précisément je me disais que ceux qui côtoyaient ma mère pourraient la croire folle. Cela m’amusait plutôt. Je me suis néanmoins posé la question sérieusement et j’y ai répondu : elle n’est certainement pas folle du tout – vous reconnaissez là encore une formule lumineuse de Lacan dans « Télévision ». « Toutes les femmes sont folles, qu’on dit. C’est même pourquoi elles ne sont pas toutes, c’est-à-dire pas folles-du-tout, arrangeantes plutôt : au point qu’il n’y a pas de limites aux concessions que chacune fait pour un homme : de son corps, de son âme, de ses biens… n’en pouvant mais pour ses fantasmes dont il est moins facile de répondre. Elle se prête plutôt à la perversion que je tiens pour celle de L’homme »3.

Phrase lumineuse pour qui se préoccupe de mieux aimer une femme, autrement dit pour qui se préoccupe d’être moins un abruti. C’est en effet ainsi que Miller complète la formule « toutes les femmes sont folles » en qualifiant les hommes, eux, d’abrutis4. Les femmes donc, ma mère donc, n’est pas folle du tout, à entendre : de la catégorie du tout bouclée par la référence phallique, les femmes n’en sont pas folles puisqu’elles s’en arrangent plutôt, mais leur désir est au-delà et confine à l’illimité. Avec ma mère j’ai pu mesurer combien elle s’en arrangeait mal. Dans le sans limite aux concessions qu’une femme peut faire pour un homme, mon père n’y a vu que du feu, de la fureur même, peut-être de la folie ! Et un jour, après avoir consulté un prêtre pour s’assurer de sa bonne foi, il est parti – là se mesure que « l’erreur de bonne foi est de toute la plus impardonnable »5. Qu’il parte ? Ma mère le lui demandait depuis vingt ans, elle avait été voir un avocat, elle lui faisait depuis des années des crises incroyables, elle lui rendait la vie impossible… et la nôtre en passant ! Elle lui demandait le divorce… et voilà qu’elle l’obtenait ! Mais mon père n’avait pu entendre que si elle le demandait avec tant d’insistance… c’était pour qu’il le lui refuse !

C’était il y a trente ans. Depuis lors ma mère, qui a déménagé d’appartement en appartement, a transporté avec elle ses caisses du premier déménagement, et ne les a jamais plus ouvertes. Ces caisses en carton trônent encore aujourd’hui au milieu de sa pièce de vie comme signe éternel de sa révolte indéfectible de n’avoir pas été entendue. Si c’est cela son grain de folie, oui elle est folle. Mais je chantonne alors la chanson de William Sheller : « Maman est folle on n’y peut rien, mais c’qui nous console, c’est qu’elle nous aime bien. Quand elle s’envole, on lui tient la main, comme un ballon frivole, au gré du vent qui vient. Tais-toi Léopold, surtout ne dis rien, les gens dans leurs cache-col, n’y comprendraient rien ».

J’ai pensé que cette chanson était écrite pour notre famille ! Sans doute beaucoup d’enfants s’y retrouvent, car en toute mère se cache un grain de folie ! Dans mon analyse ma mère fut le premier problème qui fut envisagé, analysé et traité. Cela s’est terminé par une image surgie sur le divan où je me suis vu crevant ses yeux. Que cesse son regard concupiscent sur le corps nubile de son garçon ! Ce détail de mon analyse contredit peut-être la fin de la phrase de Lacan lorsqu’il indique à propos des concessions qu’une femme peut faire à un homme : « n’en pouvant mais pour ses fantasmes [qui signifie qu’elle ne peut rien concéder concernant ses fantasmes] dont il est moins facile de répondre. Elle se prête plutôt à la perversion que je tiens pour celle de L’homme »6. Est-ce que le grain de folie de ma mère ne se loge-t-il pas dans sa perversion quant au fétiche que je représentais à ses yeux ? Et au-delà, est-ce qu’une femme, lorsqu’elle n’est pas accueillie comme cause du désir d’un homme, ne pervertit-elle pas ses fantasmes dans sa maternité, en direction de ses enfants ?

C’est en tout cas ce à quoi j’ai eu affaire, à cette perversion maternelle. Affaire réglée dans les débuts de l’analyse, mais – si je puis dire – le mal était fait c’est-à-dire que le mâle était fait ! J’avais forgé un fantasme qui avait déporté le regard concupiscent maternel sur la main du père, celui qui avec cette main bat un enfant dans le fantasme freudien – dans mon fantasme la férule était une caresse intime. L’analyse a désactivé ce fantasme, je fus ainsi arraché au pouvoir d’attraction qu’il suscitait. Cet arrachement se focalisa dans un rêve répétitif où je m’arrache une dent, nuit après nuit jusqu’au réveil de la fin de l’analyse.

Que me reste-t-il sinon un grain de folie ? Lacan appelle ça un sinthome. L’extraction du poids de réel du fantasme a produit un effet d’allègement qui autorise à faire ce que j’ai à faire – avec ce savoir supplémentaire qu’il y a un trou, celui laissé par la dent arrachée, le trou de l’incomplétude, le trou de l’inexistence de l’Autre, le trou de ma petite folie à moi, dont je m’amuse et avec laquelle je cherche à amuser quelques autres tout en poursuivant la guerre civile causée par le trauma dans la civilisation, maintenant que je sais qu’il ne s’agit que d’un troumatisme !

1 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Tout le monde est fou », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université de Paris VIII, leçon du 14/11/2007, inédit.

2 Lacan J., Le Séminaire, Livre XXIII, Le Sinthome, Paris, Seuil, 2005, p 77.

3 Lacan J., « Télévision », Autres Ecrits, Paris, Seuil, p. 540.

4 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le partenaire symptôme », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université de Paris VIII, leçon du 3/06/1998, inédit.

5 Lacan J., « La science et la vérité », Ecrits, Paris, Seuil, 1966.

6 Lacan J., « Télévision », Autres Écrits, op. cit., p. 540.

Numéro : L'Hebdo-Blog 142
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