Éditorial : Mode de jouir au féminin
« Partout, le plein fait le visible de la structure, mais le vide structure l’usage » [1].
Dans son livre Mode de jouir au féminin, Marie-Hélène Brousse s’emploie à un vrai tour de force : transmettre ce qui échappe à la transmission. En mettant d’emblée le vide, distinct du trou, au centre de la filiation, elle en fait un « espace-clé » pour l’enfant qui lui permet de s’inscrire dans une histoire. C’est parce que « le désir du parent […] vise un point au-delà de l’enfant » [2] – dont elle montre les accointances avec le féminin – que le vide trouve place.
Ces questions ne sont pas sans rejoindre ce que dit Lacan à propos du sel de la biographie : c’est dans la façon dont le père et la mère ont « offert au sujet le savoir, la jouissance et l’objet a » qu’il y a quelque chose à « explorer » [3]. Le « mode de présence sous lequel lui [à l’enfant] a été offert chacun des trois termes » [4]. Ce mode de présence – dans le meilleur des cas – ne résonne-t-il pas avec cette énergie du vide au centre d’un « nouage de l’ordre du réel » [5] ?
De ce vide, il en est question dans l’analyse, puisque la « place de l’analyste mobilise un vide de sens qui devient un plein d’énergie : désir hors sens, mais pas hors corps » [6].
Dans cet essai, M.-H. Brousse explore cette dimension avec l’appui de sa rencontre avec des chercheur en physique quantique [7]. Elle part d’un point qui va contre toute intuition : le vide est quelque chose qu’il y a, le distinguant du rien, pour le faire résonner plus près d’« Yad’lun » [8].
De ces entretiens avec les chercheurs, M.-H. Brousse isole, non sans audace, trois signifiants : le vide, les ondes gravitationnelles et les trous noirs. Trois signifiants qu’elle va mettre à l’épreuve du tableau de la sexuation et de dires d’analysants.
Le vide, à la fin de l’analyse, n’est sans doute pas le même qu’au début ; mieux appréhendé dans ses entrelacs avec l’angoisse, repéré comme phénomène quand le symptôme se trouve dénudé de la défense, il n’en reste pas moins vide. Ce vide, quel est-il ? Est-il si vide que cela ? Constitue-t-il la condition du désir de l’analyste ?
[1] Cheng F., Vide et plein. Le langage pictural chinois, Paris, Seuil, 1991, p. 57.
[2] Brousse M.-H., Mode de jouir au féminin, Paris, Navarin, 2020, p. 51. Disponible sur ECF-Echoppe.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 332.
[4] Ibid.
[5] Brousse M.-H., Mode de jouir au féminin, op. cit., p. 43.
[6] Ibid., p. 55.
[7] Barsuglia M., Brousse M.-H. & Mabille D., « The real and the metaphoric in physics » & Brousse M.-H., De Georges P. & Pépin C., « The perfection of the void », The Lacanian Review, n°7, printemps 2019, p. 14-27 & 28-50, cités par M.-H. Brousse, in Mode de jouir au féminin, op. cit., p. 15.
[8] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, … ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 127.