Qu’advient-il du désir d’enfant quand le corps ne répond pas ? [1] Ce désir très ancien de donner la vie, de transmettre, de fonder une famille est aussi un désir énigmatique, inconnu du sujet lui-même mais parfois « sans pourquoi », plus proche d’une volonté que d’un désir.
Ce désir résiste au temps et à l’infertilité, il se montre indestructible.
À l’heure ou bientôt l’accès à la PMA pourrait s’ouvrir à toutes les femmes, que devient-il quand il passe par le défilé de la demande à l’Autre médical ?
Parfois il finit par triompher, justement quand on n’y croyait plus, quand la demande à l’Autre cesse. C’est alors qu’après des années d’infertilité et de parcours en assistance médicale à la procréation (AMP), lorsque les patientes arrêtent de demander à la science, lorsqu’elles stoppent les protocoles médicaux, la grossesse surgit. C’est dans ces conditions que 21% des couples en parcours d’AMP voient leur désir satisfait avec une grossesse spontanée après cette longue pérégrination.
Intriguée par cette résolution inattendue d’une longue infertilité qui résistait aux traitements de l’AMP nous avons mené une étude auprès de 26 couples ou patientes reçues longuement en entretien individuel [2]. Avec une question : une logique de l’inconscient pouvait-elle se repérer ? Oui, plusieurs occurrences révélaient l’ouverture de l’inconscient et son impact sur le corps. Pour certaines ce fut un bouger dans l’identification à la mère, avec pour l’une le repérage très net du passage d’une identification mortifère à une identification bien vivante. D’autres mirent au monde « des enfants de l’Œdipe » : pour l’une après une parole du père qui autorise la grossesse, pour une autre après des évènements qui reprenaient les insignes du père, traits identificatoires pour cette femme. Pour d’autres ce fut l’arrêt de la quête obsédante de l’enfant qui permit la réalisation de leur désir. L’une d’elle le dit clairement : « je n’ai plus pensé à mon corps, j’ai tout lâché, relâché, j’ai arrêté de tenir les rênes trop serrées, de tout contrôler et je suis tombée enceinte. » L’arrêt de la demande en AMP peut marquer l’accès au désir. À l’arrêt des protocoles, lorsque la demande d’enfant cesse, le désir apparaît avec une remise en circulation du désir sexuel, une ouverture de l’inconscient avec ses effets en direct sur le corps.
Une autre enfin, dans l’impossibilité de faire le deuil de cet enfant de soi qu’on lui demandait dans une procédure d’adoption, est tombée enceinte après dix ans d’infertilité, déjouant tous les oracles médicaux et montrant ce qu’est le désir, indestructible. Voici son analyse : « Ce deuil d’avoir un enfant, je ne l’ai jamais fait. Je rêvais souvent que j’étais enceinte. J’avais un gros ventre et au réveil je touchais mon ventre pour savoir si c’était vrai. Au fond de moi, je me disais que c’était possible. »
Oblitération du désir par la demande, logique du corps pulsionnel – mixte de chair qui jouit et de signifiant. Désir d’enfant comme signifié de la demande à l’Autre médical, désir inconscient qui fait énigme, inconnu du sujet qui demande.
Parfois ce désir se démasque apparaissant différent de celui que l’on attendait derrière l’idéal annoncé et il se révèle ne pas faire partie du programme du sujet de l’inconscient venu demander. C’était le désir d’un Autre surmoïque, incarné par le conjoint, par l’entourage familial ou par la société tout entière.
Au terme d’un travail fait avec l’analyste dans un centre d’AMP, un sujet peut s’y retrouver quant à ce désir en rapport avec son propre corps. Corps parfois trop fragile pour supporter les conséquences des intrusions techniques de l’AMP.
Enfin l’accompagnement du psychanalyste dans ces centres permet à certains sujets d’amadouer ces techniques qui leur paraissaient intrusives pour les adopter et obtenir sans trop de dommages l’enfant demandé.
Dans ce champ médical de l’AMP où le corps est mis à l’épreuve, le discours analytique s’introduit de la bonne manière pour donner la parole au sujet de l’inconscient. C’est une clinique du partenaire : il y rencontre le partenaire image, le partenaire symbolique du sens et du désir, le partenaire symptôme avec lequel le sujet joue sa partie. Il y rencontre surtout des hommes et des femmes, et cherche avec eux, au cas par cas, la place que peut prendre un enfant dans la subjectivité de chacun et de chacune, venus demander. Il replace alors la question sexuelle au centre de cette problématique.
Le désir d’enfant est un désir énigmatique qui s’incarne et lorsque le corps entre en résistance, il s’agit de le respecter, de ne pas chercher à le forcer, d’opposer à l’universel de la réponse médicale, le un par un de la réponse de l’analyste pour permettre au sujet qui demande de se débrouiller avec ce mystérieux désir d’enfant.
[1] Conversation clinique avec Catherine Vacher-Vitasse, gynécologue, psychanalyste et membre de l’ACF-Aquitania, autour des cas présentés dans son livre Énigmes du corps féminin et désir d’enfant, organisée par l’ACF Midi-Pyrénées, le 20 octobre 2018 à Toulouse .
[2] Vacher-Vitasse C., « Des grossesses spontanées en parcours d’AMP », Énigmes du corps féminin et désir d’enfant, Nîmes, Champ social, 2018, p. 186-193.