Faire sourdre la dimension de réel qui préexiste au lien social est un des enjeux de l’orientation lacanienne.
« La haine de l’autre est de structure et le discours a valeur d’interprétation : chacun finit par se reconnaître dans les partis proclamant la haine de l’autre. »[1] Ce constat vient préciser l’hypothèse selon laquelle le déclin des idéaux, dans le discours contemporain, explique la montée des racismes et de la ségrégation. Freud démontrait déjà dans son Malaise dans la civilisation que « derrière l’écran de la civilisation, qui participe de la pacification du rapport des hommes, rien ne change de leurs instincts fondamentaux. »[2]
Le conflit est au cœur même du sujet. Cet enseignement princeps de la psychanalyse ne cesse de surprendre celui qui ne s’y est pas confronté jusqu’à l’isoler dans la cure. « Le discord est le père de toutes choses humaines. Républiques et démocraties ne s’en exemptent pas. Sans cette tension duelle, c’est le règne des César et des tyrans que deviennent tôt ou tard les tribuns. »[3] Consentir à faire avec le réel contenu dans le symbolique est une violence faite à l’imaginaire, elle vient faire arrêt au glissement du sens et comporte une perte de jouissance. Pour cela le sujet sera enclin à suivre des fictions qui, non lestées par le poids du réel, viennent proposer un traitement de la pulsion sans perte, un régime de discours où la perte de jouissance n’a aucune place, une politique qui promeut une nouvelle alliance entre identification et pulsion et qui ne reconnaît plus la loi comme limite, « l’État de droit » devenant « l’État du j’ai droit ».[4] Le règne de ce que Lacan a défini du « pousse à jouir » s’empare de fait du politique qui interprète le lien social sans toujours prendre la mesure de l’effet moebien de cet exercice.
De solution définitive il n’y a pas, la psychanalyse nous l’enseigne et la politique en est paradigmatique. L’éthique de la psychanalyse, d’être sans espoir, motive une vigilance et une « lutte » permanente car elle sait que la haine de soi et de l’autre reviennent toujours. La guerre y est ramenée sur la scène de son théâtre privé. L’enjeu d’une analyse est de soutenir cette contradiction interne qui participe d’un possible travail de « réconciliation » comme déclinaison d’un « savoir-faire avec ». « […] toutes les guerres laissent des marques et, au-delà du lien social à rétablir, il reste à chacun à les prendre à son compte, par exemple dans une analyse. »[5]
Pour le sujet, la prise à son compte de ce « sans solution » ouvre dans le cadre de l’analyse à la clinique du sinthome. Dans le champ politique, elle le conduit à faire de ce savoir subversif l’opérateur d’une lecture qui « alerte » chacun dans son rapport au lien social. Il s’agit d’y désigner l’opacité où inconscient et politique se nouent. Nous avons à faire le pari de transmettre un effet d’incise dans l’imaginaire du discours.
[1] Lévy M., « Il n’y a pas de pulsion de paix », colloque de l’ACF-VD 2017 : « Pourquoi la guerre ? La paix délire ou fiction ? », inédit.
[2] Briole G., « Après la guerre : réconciliation, mémoire et responsabilité », colloque de l’ACF-VD 2017, inédit.
[3] De Georges P., « Polemos est le père de toutes choses », Ibid.
[4] Berenguer E., « Fiction de paix, faux réel de la guerre », Ibid.
[5] Gonzalez C., « Retrouver la mémoire », Ibid.