Dans le cadre des enseignements de l’ECF, Omaïra Meseguer, Anne Lysy et Daniel Pasqualin, feront cette année cours sous le titre : « Clinique psychanalytique de la féminité ». Ils nous en livrent ici l’argument, et ont accepté de répondre à trois de nos questions.
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« La femme n’existe pas » (Jacques Lacan). Scandale ! Quelles conséquences pour la subjectivité de notre époque ? Quelles conséquences dans la clinique ? « Rien ne peut se dire de la femme ». Entre fascination et horreur ?
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Hebdo – Blog : La clinique ordonne et range, là où la féminité objecte au classement. Comment appréhender ce paradoxe ?
Omaïra Meseguer, Anne Lysy et Daniel Pasqualin : Il faut souligner que le nom clinique dans le titre comporte un adjectif : psychanalytique. Il y a une spécificité de la clinique psychanalytique qui semble aller très bien avec la question féminine : toujours une par une. C’est le fameux « cas par cas », énoncé par Lacan : « les sujets d’un type sont (…) sans utilité pour les sujets du même type » [1]. Pour ne pas diffamer les femmes, il est nécessaire de toujours viser le plus singulier.
La psychanalyse introduit toujours un certain désordre, comme certaines femmes. Il s’agit d’une clinique qui nous amène à faire des listes disparates, forcément toujours pas-toutes. La psychanalyse féminise, en introduisant le pas-tout dans la clinique. C’est dans ce sens que position féminine et discours de l’analyste ne sont pas sans rapport.
La clinique psychanalytique de la féminité n’est pas une « clinique féminine », expression que nous récusons. Elle implique de cerner les petits détails qui traduisent, au cas par cas, les conséquences de la confrontation des êtres parlants au toujours scandaleux : La femme n’existe pas.
Il ne faut pas oublier que la clinique ne range que jusqu’à un certain point, Freud avait justement découvert dans la dynamique du transfert quelque chose qui se mettait de travers, qui objectait. Lacan a reformulé cette objection et l’a radicalisée, il en a fait son objet a. Il s’agit, dans tous les cas, d’une jouissance qui dérange.
H.-B. : Freud qualifia la féminité de continent noir. Si Lacan a dit parfois qu’elle était mystérieuse, il s’est affranchi des métaphores ténébreuses pour rapprocher la féminité du réel. Peut-on qualifier cette trajectoire comme ceci : du mystère au réel ?
O.M., A.L., D.P. : C’est très bien dit ! Le continent noir est une réponse de Freud à la question : que veut la femme ? Lacan ne pose pas la même question. Disons qu’il décale la question du terrain du vouloir au terrain du savoir. Qu’est-ce qu’elles savent et dont elles ne peuvent dire mot, même à elles-mêmes ? Ce qui change tout à fait la perspective.
Jacques-Alain Miller note que pour Freud « le rapport que la femme entretient à son désir (…) est resté opaque » [2]. Opacité liée à sa lecture œdipienne. L’avancée de Lacan, le jet de lumière que permet l’au-delà de l’Œdipe, ouvre à la question de la jouissance. Une jouissance qui s’éprouve dans le corps. Dans son dernier enseignement, Lacan fait de la jouissance féminine le prototype de la jouissance du parlêtre. Une jouissance au-delà du phallus.
Que les femmes soient « plus engagées dans le réel que les mâles » [3] c’est quelque chose que Lacan dit très tôt dans son enseignement.
H.-B. : La haine de la féminité est un invariant des fascismes. Que peut en dire la psychanalyse ?
O.M., A.L., D.P. : La haine de la féminité est un invariant des totalitarismes. Étant donné que le signifiant de La femme est forclos, on ne peut la contrôler. Ce qui exaspère !
Le totalitarisme a une haine du pas-tout, car le totalitarisme est par définition universalisant. La femme n’existe pas est une affirmation avec des conséquences subjectives et avec des conséquences politiques. Est-ce que la sacraliser, la battre, la marginaliser, la cacher, sont des manières de faire exister La femme en la haïssant ? Le totalitarisme n’aime pas la révolte de certaines femmes. Comme certains mouvements féministes nous le montrent, elles y vont avec leur corps pour contester l’ordre établi.
[1] Lacan., J., « Introduction à l’édition allemande des Écrits », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 557.
[2] Miller J-A., « Théorie de Turin sur le sujet de l’Ecole » (2000), La Cause Freudienne, Paris, Navarin, n° 74, 2010, p. 137.
[3] Lacan J., Le séminaire, Livre I, Les écrits techniques de Freud, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 187.