Edito : Considérer les choses sous un autre angle
« Comment améliorer la position du sujet » est le titre que la prochaine journée FIPA nous invite à mettre au travail à partir de l’expérience recueillie dans des institutions de psychanalyse appliquée à la thérapeutique. Un titre, une formule de Lacan qui se soutient d’une éthique de la jouissance, en mettant l’accent sur le symptôme, sur le corps, le corps en tant que traversé par le réel de la jouissance.
« Les êtres parlants […] ne savent pas[,] pas plus que des symptômes, […] se comporter » [1] disait J.-A Miller dans sa conférence au Teatro Coliseo de Buenos Aires. Il situait le rôle que pouvait jouer la psychanalyse dans la subjectivité de l’époque dans « le rapport univoque qu’elle [soutenait] au réel » [2], à la différence des autres discours, pour qui le réel venait à flotter [3]. Il évoquait ainsi « l’apocalypse confortable » [4] de la modernité, noyée sous l’emprise des semblants, avec leurs effets d’errance subjective. L’époque est en effet très consonante à cette constatation que personne n’a plus le truc pour gérer, notait Éric Laurent [5].
La plupart des patients qui s’adressent au CPCT le font via la demande de l’Autre social, parfois psychiatrique, en impasse de solution pour ces sujets après la mise en échec des différentes offres thérapeutiques qui leur ont été proposées. L’égarement dont ces patients font état à l’entrée du dispositif se trouve bien souvent amplifié par les réponses prêt-à-porter reçues de cet Autre comme peut en témoigner le vide d’énonciation dans leur parole.
À elle seule, la position de l’analyste qui se situe dans une position qui ne sait pas d’avance ce qui arrive à un sujet, et ne veut tenir ce savoir que du sujet, a un effet cathartique, de réveil, par la voie de cette implication nouvelle trouvée dans l’énonciation.
En invitant ainsi un sujet à dire, à l’intéresser à ce qu’il dit, à extraire avec lui dans ce qu’il dit des solutions déjà là, celui-ci peut saisir cette part d’énigme qu’il est à lui-même, en lui donnant la possibilité d’en répondre autrement.
S’il reste difficile de ne pas être dupe de l’emprise des semblants qui traversent l’époque, venir au CPCT peut toutefois donner chance à un sujet de voir les choses autrement, en reconduisant celui-ci à ce point de non-savoir, que l’Autre ne sait pas. « C’est ce qui vous donne une chance de poursuivre, non pas sur le chemin que vous avez déjà frayé, [mais plutôt en considérant] les mêmes choses sous un autre angle » [6] indiquait J.-A Miller dans son cours « Un effort de poésie ».
« Je n’ai pas la sensation d’avoir changé – remarquait ce patient à l’issue de son traitement au CPCT – mais c’est le monde qui semble avoir changé de couleur. Je suis sorti de ce brouillard où tout était gris. »
Ce numéro de L’Hebdo-Blog présente trois formidables contributions du CPCT – Parents, de Rennes, qui témoignent chacune à leur façon de la dimension politique de la présence du discours analytique au cœur de la Cité.
Un avant-goût de la journée du 1er avril !
Valentine Dechambre
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[1] Miller J.-A., « Jacques-Alain Miller à Buenos Aires. Conférence au Teatro Coliseo », La Cause freudienne, n° 70, décembre 2008, p. 109.
[2] Miller J.-A., « Vers le réel », in Comment s’orienter dans la clinique, Paris, Le Champ freudien éditeur, coll. Le Paon, 2018, p. 16.
[3] Cf. Lacan J., « La psychanalyse dans ses rapports avec la réalité », Scilicet, n° 1, 1968, p. 51, cité par Miller J.-A., « Vers le réel », op. cit., p. 16.
[4] Miller J.-A., « Vers le réel », op. cit., p. 16.
[5] Cf. Laurent É., in Miller J.-A. (s/dir.), La Psychose ordinaire. La Convention d’Antibes, Paris, Le Champ freudien éditeur, coll. Le Paon, p. 250.
[6] J.-A Miller, « L’orientation lacanienne. Un effort de poésie », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 5 février 2003, inédit.