FORUM – Battre Le Pen

 

Forum – Battre Le Pen [1]

Animé par Anaëlle Lebovits-Quenehen & Jacques-Alain Miller

 

Il faut faire barrage à l’extrême-droite qui menace une nouvelle fois de prendre le pouvoir en France.

Dans la logique de ses engagements, l’École de la Cause freudienne organise les 21 et 22 avril prochains, entre 20h et minuit, deux Forums par Zoom, sous le titre : Battre Le Pen.

L’ECF se lance dans cette bataille en prétendant peser sur cette élection cruciale. Car, au-delà des convictions politiques de chacun, l’exercice de la psychanalyse, et par là son existence même, repose sur la liberté d’expression, la démocratie et l’état de droit. L’entreprise de dédiabolisation de Marine Le Pen ne saurait faire oublier que le Rassemblement National porte la marque de son origine contre-révolutionnaire, celle d’une extrême-droite qui a connu ses heures de gloire sous Vichy. Ainsi menace-t-elle très concrètement l’exercice des libertés et celui de la psychanalyse.

L’École de la Cause freudienne entend battre Le Pen afin d’éviter le pire. Pour cela, fidèle à l’avertissement de Lacan selon lequel la portée de nos actes se mesure à leurs conséquences, il s’agit, en conscience, de voter Macron contre Le Pen. L’abstention n’est pas une option car elle laisse à l’extrême-droite la possibilité d’accéder au pouvoir. S’abstenir, c’est fermer les yeux sur le risque qui pèse sur la démocratie.

Quels que soient les torts éventuels d’Emmanuel Macron et ses errements possibles, quelle que soit la légitimité des griefs qu’on peut nourrir contre lui, le débat politique, la critique et même la contestation sont possibles sous son gouvernement, ce qui n’est jamais le cas sous un gouvernement d’extrême-droite. Les inclinations de Madame Le Pen qui la portent vers Vladimir Poutine et le rapprochement d’ores et déjà souhaité avec Bachar al-Assad – tous deux connus pour le sort qu’ils réservent à leurs opposants politiques – nous donnent une indication de ce qui, à terme, attendrait la France si Madame Le Pen arrivait au pouvoir.

Jeudi et vendredi nous ferons entendre notre voix, et dimanche nous mettrons dans l’urne un bulletin portant le nom « Emmanuel Macron », pour Battre Le Pen.

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[1] Jeudi 21 et vendredi 22 avril 2022, de 20h à minuit, en direct live sur Lacan Web Télévision. Liens You Tube à venir. Sans inscription préalable.




Suture antérieure

 

L’auto-détermination de l’identité de genre se revendique possible, à la différence de l’impossible représentation du sujet, telle que l’entend la psychanalyse. Celle-ci vise à attraper le sujet par le bout de l’identification, sachant que pour tout signifiant sous lequel celui-ci est représenté, dessous il y a un trou. L’auto-détermination rejette cette inscription par l’identification, préférant une tentative de suture de l’identité à soi. Cette visée trans s’inscrit dans le paradigme de Je suis ce que je dis [1]. Malentendus, lapsus et autres formations de l’inconscient n’y ont aucun lieu, l’Autre scène est évacuée.

À cette première tentative de suture qui veut résorber le sujet dans l’individu, s’ajoute une deuxième tentative qui constitue l’autre postulat : Je suis mon corps. Distinguons deux modalités où l’individu est son corps. L’une d’elle privilégie un rapport au corps d’avant l’image, à partir de « ce qui ne ment pas », la jouissance [2]. Ce corps réel serait la référence de l’auto-détermination d’une identité de genre, qui viendrait comme réponse à une expérience singulière de trouble dans le corps. L’autre modalité où s’exprime la conviction que nous sommes notre corps s’appuie sur l’image du corps. Elle s’habille d’un naturalisme biologisant, où l’individu est son corps. Ce naturalisme réapparaît alors en tant que mythe dont le sujet peut se compléter.

Ces deux modalités de suture, Je suis mon corps et Je suis ce que je dis, veulent écrire un nouveau rapport de l’individu à lui-même, et ainsi obturer la « béance [au sein] de l’identité à soi » [3].

Les témoignages de personnes d’un genre qui n’est pas raccord avec leur sexe biologique sont anciens. Le nouveau vient de l’augmentation rapide et généralisée depuis quelques années du nombre de demandes de réassignations de sexe chez des enfants et adolescents. Elles se manifestent d’ailleurs comme revendication plutôt que demande. « Les enfants trans ont des réponses à leur souffrance d’habiter un corps sexué qui ne leur convient pas » [4].

Des hormones qui bloquent la puberté et des chirurgies de réassignation leur sont proposées comme réponses, faisant souvent fi pour ces enfants et adolescents des conséquences radicales de ces actes. Un diagnostic prématuré de dysphorie de genre clôt alors à tort chez ces sujets un questionnement sur une possible orientation homosexuelle, ou même sur une « période transgenre » où pourraient être abordées les questions d’identification féminine et virile. L’augmentation des transitions chez les adolescents, surtout les filles, évoque pour certains auteurs « les enjeux psychiques rencontrés dans l’anorexie mentale. Il s’agit du même refus de la féminité, de la haine du corps sexué, du même rejet ambivalent de la figure maternelle » [5]. Tout ceci justifie une approche nuancée et l’inscription dans un temps long.

Convoquée à répondre à cette souffrance, la médecine s’y emploie souvent par l’immédiateté. En s’orientant d’une éthique déontologique – c’est-à-dire axée sur les types d’actions mis en œuvre pour proposer une transition médicale, et pas sur les conséquences de ces actions – ces réponses s’inscrivent du côté d’un devoir moral, et l’impératif catégorique n’est pas loin de cette position. L’éthique des conséquences, celle qui oriente la psychanalyse, propose au contraire sa finesse à traiter le « singulier dans son absoluité » [6].

Philippe Giovanelli

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[1] 52es Journées de l’École de la Cause freudienne, « Je suis ce que je dis – Dénis contemporains de l’inconscient », 19 et 20 novembre 2022, Paris. affiche

[2] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, n°88, novembre 2015, p. 114 : « Ce qui ne ment pas, c’est la jouissance, la ou les jouissances du corps parlant. »

[3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Extimité » (1985-1986), enseignement prononcé dans le cadre de l’université Paris 8, cours du 20 novembre 1985, inédit.

[4] Laurent É., « Les questions des enfants trans », in Damase H., Roy D., Sokolowsky L., La Sexuation des enfants, Paris, Navarin éditeur, 2021, p. 158.

[5] Eliacheff C., Masson C., La Fabrique de l’enfant-transgenre, Paris, éditions de L’observatoire, 2022, p. 37.

[6] Miller J.-A., « Nous sommes poussés par des hasards à droite et à gauche », La Cause freudienne, n°71, juin 2009, p. 69.




Trois réponses de Jacques Lacan à Simone de Beauvoir

 

Qu’est-ce qui peut pousser un sujet à s’assujettir à une logique amoureuse qui s’apparente à la pulsion de mort ? Simone de Beauvoir fait un constat que Lacan n’aurait pas démenti. « Le mot “amour” n’a pas du tout le même sens pour l’un et l’autre sexe et c’est là une source de graves malentendus qui les séparent. » [1] Examinant le régime d’existence du « vouloir être tout pour lui », elle souligne que « s’il “ne peut pas se passer d’elle”, […] elle tire de là son propre prix » [2]. Mais là où Simone de Beauvoir interroge la façon dont la femme devient une victime volontaire de l’amour, Lacan va donner un autre fondement à ce rapport à l’amour.

Pourquoi on ne le devient pas

Lacan a commencé par répondre à l’auteure du Deuxième Sexe en 1956 en reprenant la question du « devenir femme » pour la subvertir. Là où Simone de Beauvoir disait « on ne naît pas femme : on le devient » [3] pour faire valoir un assujettissement à une condition imposée par la civilisation, Lacan, depuis la perspective de la névrose hystérique, s’intéresse à un autre sens du « devenir » en s’appuyant sur Freud. Ce n’est pas tant qu’on ne naît pas femme, c’est qu’on ne le devient pas non plus, et c’est parce qu’on ne le devient pas qu’on s’interroge. « La métaphysique de sa position est le détour imposé à la réalisation subjective chez la femme. Sa position est essentiellement problématique, et jusqu’à un certain point inassimilable. » [4] Lacan montre que l’identification féminine peut être en impasse. Le sujet s’identifiant alors à un homme s’interroge de cette façon sur ce que c’est que d’être une femme. Le rapport à la féminité prend alors la tournure d’un rapport à l’Autre femme. Ne pas devenir femme, c’est en passer par son moi, pour poser la question de ce qu’est cet être qui suscite le désir d’un homme.

Pas de deuxième sexe

La seconde réponse à Simone de Beauvoir se trouve dans le Séminaire XIX en 1971-1972, où Lacan affirme qu’il n’y a pas de deuxième sexe : « les sexes sont deux, quoi qu’en pense un auteur célèbre, qui, dans son temps, […] avait cru devoir en référer à moi avant de pondre Le Deuxième Sexe. […] Il n’y a pas de deuxième sexe à partir du moment où entre en fonction le langage » [5]. Pas de deuxième sexe, est une façon de dire deux choses : d’une part, dès qu’on parle, il n’y a que la référence au phallus pour les deux sexes, d’autre part, il n’y a pas un premier et un second. En somme, il n’y a pas d’ordre, de hiérarchie. En revanche, il y a « une forme fétichiste et une forme érotomaniaque de l’amour » [6]. L’un jouit d’une partie du corps de l’Autre, l’autre jouit de se croire aimée. C’est eu égard à la valeur que prend pour une femme le « devenir autre à elle-même » lorsqu’elle se croit aimée qu’« il n’y a pas de limites aux concessions » [7] que chacune peut faire au nom de l’amour.

Len soi de la femme

Enfin, la troisième réponse à Simone de Beauvoir se trouve dans le Séminaire XVIII et elle concerne la lettre. Je l’inscris comme troisième réponse d’un point de vue logique et non chronologique, car elle me semble aller plus loin sur la question de la jouissance féminine que la précédente. « L’en soi de “La femme”, comme si on pouvait dire toutes les femmes, La femme, j’insiste, qui n’existe pas, c’est justement la lettre – la lettre en tant qu’elle est le signifiant qu’il n’y a pas d’Autre, S (A barré). » [8]

Cette assertion complexe et surprenante, je tiens qu’elle est aussi une réponse à Simone de Beauvoir en tant que Lacan y manie de façon inattendue la catégorie sartrienne d’« en soi » que Simone de Beauvoir a introduit dans Le Deuxième Sexe pour penser la condition des femmes. Se servant de l’opposition sartrienne entre l’en soi et le pour soi, elle défend la nécessité pour la femme de ne plus exister uniquement comme objet, mais d’être pour soi, soit d’accéder à sa propre liberté. Lacan fait valoir à l’envers l’en soi, comme étant du registre de la lettre. Que veut-il dire par là ? Tout d’abord, il n’y a pas de femme en soi, au sens où « [i]l n’y a pas La femme » [9]. Le registre du signifiant échoue à répondre au niveau de l’universel à la question « qu’est-ce qu’être une femme ? » Ensuite, il n’y a pas pour autant de femme pour soi au sens où l’expérience de la jouissance féminine, « jouissabsence » [10], la fait absente à elle-même. Le registre de la jouissance féminine est une réponse au niveau du corps à ce qu’il n’y a pas au niveau du sens. Si la jouissance féminine est une dimension exclue « par la nature des choses qui est la nature des mots » [11], il est néanmoins possible d’en cerner quelque chose depuis le registre de la lettre, au niveau de cet en-soi, de ce « seskecé » [12] qui la fait Autre à elle-même. La lettre est ce qui nous conduit aux confins de ce territoire de la jouissance, entre insu et éprouvé pur. La perspective lacanienne éclaire donc de façon inédite ce que Simone de Beauvoir notait comme le dévouement de la femme à la cause de l’amour. Dans ce dévouement, Lacan voit plutôt une folie dont il tente de percer l’énigme en frayant la voie de la jouissance féminine. Cette expérience ne relève pas tant d’un régime de soumission à des normes, que d’une modalité de jouissance désobéissant à toute emprise normalisante.

Clotilde Leguil

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[1] Beauvoir (de) S., Le Deuxième sexe, t. II, « L’expérience vécue », Troisième partie, chapitre XII, Paris, Gallimard, 1949, p. 477.

[2] Ibid., p. 496.

[3] Ibid., p. 13.

[4] Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1981, p. 200-201.

[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, … ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 95.

[6] Lacan J., « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine », Écrits, Seuil, 1995, p. 733.

[7] Lacan J., Télévision, Paris, Seuil, 1974, p. 63.

[8] Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, p. 108.

[9] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 68.

[10] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, … ou pire, op. cit., p. 121.

[11] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 68.

[12] Ibid., p. 33.




L’enfant transgenre, en-corps

 

Nous souhaitons aborder ici une dimension essentielle en jeu dans la difficile question des enfants transgenres, à savoir celle du corps [1]. Ce sera l’occasion de revenir sur certains travaux et réflexions initiés dans notre champ depuis plus d’une année.

À la base, il y a l’émergence d’une demande, nouvelle par son ampleur et par le public concerné, portant sur le changement de sexe chez des enfants et des adolescents qui disent ne pas se sentir en adéquation avec leur sexe anatomique. Mais de quel corps s’agit-il ? Et comment saisir la logique de cette discordance, de ce décalage ?

Partons d’un extrait de la circulaire ministérielle adressée par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, en septembre 2021 à l’attention des établissements scolaires afin de faciliter l’intégration des enfants transgenres : « Les institutions de santé, notamment l’Organisation mondiale de la santé (OMS), reconnaissent que la non-congruence entre le genre de naissance et le genre vécu ne constitue ni un trouble psychiatrique ni une pathologie. L’identité de genre est en effet propre à chaque individu et à son ressenti intime. » [2]

Passons sur la dépathologisation du phénomène, ici soulignée [3] et intéressons-nous à deux expressions, celle d’« identité de genre » et celle de « ressenti intime ». Nous les opposerons à des concepts, une opposition d’où se déduira une approche radicalement différente du corps.

Identité de genre versus identification sexuelle

 « Identification sexuelle » est utilisé par Lacan dans le Séminaire Encore [4]. Il y a un sexe biologique, c’est indéniable, mais il y a aussi un « sexe psychique » qui résulte de « l’implication subjective du sexe » [5], d’où le terme de sexuation apporté par Lacan dans son séminaire sur « Les non-dupes errent ». Par ailleurs, le choix inconscient du sujet quant à son inscription côté homme ou côté femme se couple d’une logique de choix d’objet duquel se déduit un mode de jouir, dont rend compte également le tableau que l’on trouve à la page 73 du Séminaire Encore. Ces deux dimensions sont à prendre en compte simultanément.

Ressenti versus événement de corps

Le ressenti est vécu par un sujet présenté comme maître de lui-même et de son corps. Quelle conception du corps proposons-nous ? Pour répondre à cette question, nous prenons appui sur trois concepts : celui d’« incorporation », développé par Lacan dans « Radiophonie » [6] et qui rend compte entre autres de l’action du symbolique ; puis celui de « corporisation » [7], proposé par Jacques-Alain Miller et qui rend compte de l’entrée du signifiant dans le corps, venant l’affecter ; enfin, celui d’« événement de corps » [8] comme marque traumatique sur le corps, événement « après lequel, note J.-A. Miller, la jouissance naturelle entre guillemets, qu’on peut imaginer comme la jouissance naturelle du corps vivant, s’est trouvée troublée et déviée » [9], événement comme marque de jouissance auto-érotique et certainement opaque et indicible.

Vers l’écharde dans la chair

Notre « auto » se distingue, bien sûr, de celui qui s’énonce à travers les notions d’« auto-perception de son identité de genre », d’« auto-détermination du genre » [10] évoquées par les pro-trans. Nous réaffirmons en effet l’impact de l’Autre sur le sujet, côté langage, parole et désir, mais également la dimension d’altérité que le parlêtre entretient avec son corps propre.

Sur ce point, l’apport des 52es Journées de l’ECF sera décisif puisque ces Journées s’intéresseront aux formes contemporaines du déni de l’inconscient, qu’on le considère comme symbolique et équivalent au sujet barré ou bien réel dès lors que nous nous référons au « corps parlant » [11].

Apportons une troisième opposition au débat. Le « cogito trans », le « Je suis ce que je dis » [12] s’oppose au « cogito lacanien » qui s’énoncerait ainsi : « Je suis donc se jouit » [13] ou encore : « Je suis comme je jouis » [14]. Nous retrouvons ici la dimension du mode de jouir inconscient déjà évoquée et nous pointons de nouveau l’inadéquation foncière entre le corps et la jouissance, qui fait que cette dernière est toujours « celle qu’il ne faudrait pas » [15] ; ce qu’indexe « l’écharde dans la chair » [16] – pour reprendre une référence de Lacan évoquée récemment par J.-A. Miller, tirant alors cette conclusion : « Ils [les positivistes d’aujourd’hui] peuvent toujours effacer l’inconscient, mais ce qu’ils ne pourront effacer, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas du côté de la jouissance. » [17]

Ainsi, s’il faut écouter – pas sans interprétation –, la souffrance des enfants et des adolescents mal dans leur corps, leur redonnant ainsi un statut et une dignité de sujet, il faut également bien écouter celle des détransitionneurs pour mesurer les conséquences irréversibles dans le réel du corps de cet effacement de l’inconscient [18].

Damien Guyonnet

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[1] Dimension qui, si elle n’est pas essentielle dans la théorie du genre, l’est bien évidemment concernant les trans. Cf. Dupont L. & Zuliani E., Entretien avec Éric Marty: Le genre et le corps, LWT, mis en ligne le 23 janvier 2022, disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=mfqPFF8fPHg

[2] Circulaire du 29 septembre 2021, Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire, disponible sur : https://www.education.gouv.fr/bo/21/Hebdo36/MENE2128373C.htm Cf. également Studio Lacan avec Estève-Bellebeau B. & Alessandrin A., Sur l’accueil des mineurs trans à l’école, disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=dg7eZHg4kq8&t=2066s 

[3] Cf. Laurent É., « La question des enfants trans », in Damase H., Roy D. & Sokolowsky L. (s/dir.), La Sexuation des enfants, Paris, Navarin, 2021, p. 165-166.

[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 58.

[5] Miller J.-A., « Los padres dans la direction de la cure », Quarto, n°63, automne 1997, p. 8.

[6] Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 409.

[7] Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne, n°44, février 2000, p. 58.

[8] Lacan J., « Joyce le Symptôme », Autres écrits, op. cit., p. 569.

[9] Miller J.-A., « Lire un symptôme », Mental, n°26, juin 2011, p. 56.

[10] Cf. Roy D., « L’enfant dans le discours sexuel », in La Sexuation des enfants, op. cit., p. 204.

[11] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 118.

[12]  « Je suis ce que je dis. Dénis contemporains de l’inconscient » : titre des 52es journées de l’ECF, les 19 et 20 novembre 2022.

[13] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanalyse », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’Université Paris 8, cours du 6 mai 2009, inédit.

[14] Miller J.-A., L’os d’une cure, Paris, Navarin, 2018, p. 73.

[15] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 58.

[16] Lacan J., « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 757.

[17] Cf. Miller J.-A. & Alberti C., Ornicar. Lacan redivivus, entretien à la librairie Mollat disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=MAN4FqDIc9g

[18] Cf. Charpentier-Libert A., « Abord scientifique ? », disponible sur : https://institut-enfant.fr/ateliers-de-recherche/lenfant-trans/abord-scientifique/ Un prochain Studio Lacan traitera de cette question autour de l’ouvrage de Catherine Eliacheff et Céline Masson, La Fabrique de l’enfant transgenre, Ed. de l’observatoire, Paris, février 2022.

[11] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 68.

[12] Ibid., p. 33.




CHRONIQUE DU MALAISE : Le pousse à l’identique

 

Lors d’une récente édition « spéciale Ukraine » de Studio Lacan [1], Alexandre Adler nous a décrit l’agression russe de l’Ukraine comme émanant d’une logique d’un pousse à l’Un absolu contre une mosaïque d’identités et une conception large du monde des possibles, tolérées et offertes par la démocratie. C’est pour combattre une aspiration existante en Russie de s’ouvrir vers une politique occidentale du libre choix du mode de vivre que Vladimir Poutine est parti en guerre. Ce combat est donc aussi bien contre une éthique démocratique incarnée par l’Europe comme Autre de la Russie que contre une tendance interne à une ouverture au-delà de l’Un.

Si le déclenchement de la guerre en Ukraine se présente comme un passage à l’acte motivé par cette obsession de l’identité-Une, celle-ci n’en est pas moins présente dans le discours de l’extrême droite dont le risque qu’elle monte au pouvoir en France nous alarme. Cette obsession appartient à la dimension imaginaire de l’identification. « L’expérience nous suggère, dit Lacan, de chercher le sens de toute identité, au cœur de ce qui se désigne par une sorte de redoublement de “moi-même”. » [2] Là où l’identification implique un sujet qui s’identifie, l’identité est imposée au sujet par l’Autre et ceci par la force du même, par un pousse à l’identique. C’est ainsi qu’une identité veut être imposée au peuple ukrainien par la Russie : tu seras à mon image.

Cette identité qui se fonde sur le même se construit selon les principes de la formation du moi. Le familier est intégré au moi et ce qui est étranger est rejeté à l’extérieur comme étant la jouissance mauvaise de l’autre. L’identité est donc sans division. Elle uniformise des éléments épars autour d’un trait commun, mélange de signifiant et jouissance, qui donne l’illusion qu’ils sont identiques et qu’ils forment un tout. Ce qui n’appartient pas à cette totalité n’a pas le droit d’exister. Il n’y a pas le registre du pastout pour l’accueillir.

La thèse de V. Poutine selon laquelle les peuples russe et ukrainien forment un seul et même peuple ayant la même identité est en contradiction avec les menaces, l’envahissement récent de l’Ukraine, les massacres et les crimes de guerre perpétrés contre des civils ukrainiens. Cette contradiction s’efface si on considère qu’il s’agit là d’une logique semblable à celle de l’altruisme du fanatique, tel qu’il est décrit par Amos Oz. « Le fanatique, dit-il, est le contraire de l’égoïste. Le fanatique est altruiste. Il se préoccupe souvent plus des autres que de lui-même. Il veut racheter votre âme, vous sauver, vous délivrer du péché, vous ouvrir les yeux, vous sevrer du tabac, combattre votre foi ou votre manque de foi, modifier vos habitudes alimentaires, vous empêcher de boire ou vous faire virer de bord. » Mais, ajoute-t-il, « il vous met le couteau sous la gorge si vous êtes indécrottable » [3]. C’est donc pour le bien des Ukrainiens qui ignorent leur identité et qui ne savent pas ce qui est bon pour eux qu’il s’agit de les massacrer.

Pour A. Oz, le fanatique guérit de son fanatisme par la traîtrise. « La trahison, dit-il, n’est pas le contraire de l’amour. Un traître, selon moi, est celui qui change aux yeux de ceux qui ne peuvent ni ne veulent évoluer, qui haïssent le changement qu’ils sont incapables de concevoir, mais qui n’ont de cesse de transformer les autres. […] aux yeux du fanatique, […] le choix se résume à une affreuse alternative : devenir un fanatique ou un traître »[4]. Quand on fait un pari de la vie, on est sans doute toujours un peu traître par rapport à ses idéaux qui font Un.

Un vrai fanatique peut-il guérir et devenir traître ?

V. Poutine semble être fidèle sans faille à lui-même. Son jusqu’au-boutisme qui veut fondre sous une seule identité toute la mosaïque identitaire de la Russie et son entourage fait déjà des ravages. Par ailleurs, il nous montre que le pousse à l’identique, quel qu’il soit, doit nous inquiéter, celui de Marine Le Pen inclus.

Gil Caroz

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[1] Édition spéciale. La guerre en Ukraine : folie ou stratégie ? avec Alexandre Adler, 6 avril 2022, https://www.youtube.com/watch?v=jqup3xuIjaA

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre IX, « L’identification », leçon du 15 novembre 1961, inédit.

[3] Oz A., Comment guérir un fanatique ? Paris, Gallimard, 2018, p. 41.

[4] Ibid., p. 36.