Femme, mère, fille, etc.

Femme, mère, fille, épouse, amante, maîtresse, lolita, cougar, maman, putain… De jour en jour de nouvelles appellations fleurissent pour tenter de cerner ce soi-disant éternel féminin qui ne cesse d’échapper. Qu’elle soit réduite à une fonction, ou toujours reliée à un autre qu’elle viendrait compléter, grammaticalement, « existentiellement », intrinsèquement, aucune de ces étiquettes n’a jamais valeur de nomination. Pour tous les êtres parlants en général, mais pour celles qu’on dit femmes en particulier.

Aujourd’hui que les noms du père et ses repères se pluralisent, se complexifient, à une époque où par conséquent la position féminine ne cesserait de gagner du terrain, il est notable que les actes misogynes, la violence faite aux femmes, ou leur inégalité de traitement non seulement n’ont pas disparu, mais connaissent un retour de flamme,  notamment dans leur association avec les formes les plus extrêmes de la religion, mais pas seulement.

Cette semaine, l’Hebdo blog se penche sur un tel paradoxe : le retour du viril aurait-il à voir avec un monde que le sans limite du pas tout effraierait, insupporterait ? Et quel lien entre la femme-objet qui peuple nos magazines justement féminins, et le consentement à se faire l’objet d’un homme, ou le symptôme d’un autre corps ? C’est sans doute le pari d’une analyse dont Lacan disait qu’elle hystérise, et que les hommes aussi étaient soumis à l’hystorisation de la mise en forme : c’est le lot de chaque parlêtre que de construire son propre accès au féminin, loin des clichés, par les mots certes, mais bien au-delà.




De la haine des femmes, Approches logique et clinique

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L’Œ-deep, À propos du livre « L’enfant et la féminité de sa mère ».

Ce livre[1], paru dans l’ombre de la fin 2015, n’a pas fini de faire parler de lui. François Leguil ne s’y trompe pas en faisant le pari qu’il est bien plus qu’un « travail de laboratoire » et « qu’il prendra peut-être parmi nous la place d’un classique »[2].

Au delà d’être un livre rigoureux, articulé par la clinique, il réalise ce tour de force de donner tout son poids de réel à l’Œdipe. Quand certains enterrent l’Œdipe en le psychologisant, Elisabeth Leclerc-Razavet, Georges Haberberg et Dominique Wintrebert lui rendent son tranchant en révélant son scandale : la découverte par l’enfant que sa mère est une femme. Ce trou-matisme auquel se confronte l’enfant est abyssal. C’est l’Œ-deep. 

La féminité a minima, avance Élisabeth Leclerc-Razavet, « c’est le manque phallique »[3]. Voilà de quoi faire bondir les féministes ! Et pourtant sous l’apparence d’un phallo-centrisme, et d’une essentialisation  de la féminité, c’est bien le réel qui «  prend la parole ». Dur à croire si l’on regarde cette Autre scène qu’est l’inconscient à partir du ciel des idées. Pour preuve du réel en jeu, vous lirez le cas de Frédérique Bouvet commenté avec précision par Dominique Wintrebert à propos d’un symptôme d’énurésie secondaire qui est « une réponse dans le réel à la problématique inconsciente de la mère », à savoir un penisneid : « Le flot urinaire prend ici une valeur phallique et vient ainsi démentir la castration féminine »[4].

Ainsi « l’Œdipe c’est un mythe tandis que le complexe de castration c’est à proprement parler la structure »[5]. Seulement, le complexe de castration, considéré comme « nœud dans la structuration dynamique des symptômes »[6] névrotiques, pervers et psychotiques « ne prend de fait […] sa portée efficiente qu’à partir de sa découverte comme castration de la mère »[7].

Le roc de la castration, maternelle donc, exige une réponse du sujet : accepter ou non qu’il n’y ait « rien plutôt que quelque chose »[8]. Ce choix du sujet dépend de la relation qu’entretient la mère à son manque. Ce que résume cette phrase-clef de Georges Haberberg qui jalonne le livre : « Ce qui doit orienter notre acte, c’est la castration de la mère et la forme de son manque, car c’est là que se produit le sujet »[9]. De là, tous les cas sont permis : cas comme autant de pépites, dans ce livre, qui tordent le cou aux clichés du type « Papa pique et Maman coud ».

L’Œ-deep nouvelle génération donne aussi paradoxalement toute sa place au père réel, qui a pour fonction de s’occuper de la féminité de la mère et de « consentir au pas-tout qui fait la structure du désir féminin »[10].

 Ce n’est pas une mince affaire car le pas-tout désigne tout autant une logique phallique que son au-delà. En effet, d’une part la mère en tant que femme, manque, ce qui l’introduit à un commerce phallique avec l’homme ; d’autre part, sa jouissance n’est pas-toute phallique, toujours Autre, insondable. Il importe, pour l’enfant, que ce dédoublement de la jouissance féminine soit à la charge du père. Ne vous inquiétez pas, le livre vous aidera à savoir lire les embrouilles entre les pères et les mères à travers un usage pratique du tableau de la sexuation de Lacan !

[1]   L’enfant et la féminité de sa mère, Sous la direction d’E. Leclerc-Razavet, G. Haberberg et D. Wintrebert, L’Harmattan, Paris, 2015.

[2]   Voir Lacan Quotidien n°560.

[3]   Leclerc-Razavet E., « Une femme, ma mère ? », L’enfant et la féminité de sa mère, p. 18.

[4]   Bouvet F., L’enfant et la féminité de sa mère, p. 60.

[5] Miller J.-A., Discours de clôture à PIPOL, voir site de l’Euro-fédération de psychanalyse : http://www.europsychoanalysis.eu/index.php/site/page/fr/7/fr/bulletin/

[6]   Lacan J., « La signification du phallus », Écrits, tome II, Seuil, Coll. Points, p. 163.

[7]   Lacan J., ibid. p. 164.

[8]   Miller J.-A., « De la nature des semblants », 1991-1992, inédit.

[9]   Haberberg G., « Points de repères », L’enfant et la féminité de sa mère, p. 35.

[10] Miller J.-A., « L’enfant et l’objet », La petite Girafe n°18, p. 10.




“Back Home” de Joachim Trier, ou le hors-sens du féminin

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Girl = Phallus, Les lolitas de Balthus

L’œuvre picturale de Balthazar Klossowski, dit « Balthus », reste encore méconnue du grand public, cataloguée à maintes reprises comme « érotique, voire perverse » en raison de la dureté des scènes, notamment dans la série de portraits de jeunes filles dont on voit le sexe qui dérange tant il est visible. De ces enfants, le peintre dira: « Certains ont voulu voir de l’érotisme… Ce sont des anges! »[1].

Cette vision si particulière de l’enfance ainsi que certains propos tenus par l’artiste comme: « Je voudrais toujours rester un enfant » et « n’avoir jamais cessé de voir les choses telles qu’il les voyait dans son enfance »,  ainsi que ses nombreuses sources d’inspiration venant de la littérature et l’art, nous ont servi de fil conducteur pour aborder l’œuvre picturale à la lumière de la théorie freudienne sur la création artistique et l’orientation lacanienne sur l’art.

Mais c’est sans doute le « personnage mythique qui incarne l’archétype de ce personnage éternel de la petite fille, Alice », qui a été pour nous le point de départ d’un rapprochement entre Balthus et Lewis Carroll, et qui par ailleurs est amplement expliqué par le fait que Balthus à son tour se retrouve « aux côtés de Carroll et Nabokov, qu’ils soient pervers ou non », comme le souligne Sophie Marret à leur sujet. Le peintre, quant à lui, « est devenu également indissociable de la figure de la petite fille à plusieurs égards » [2].

Sans titre1Photographie d’ Irene McDonald « It won’t come smoooth », 1863, Lewis Caroll / «Alice dans le miroir », Balthus, 1933.

De plus, et c’est notre parti pris, l’œuvre photographique de Lewis Carroll, bien qu’également longtemps méconnue du grand public, aurait, d’après nous, pu marquer l’œuvre picturale de Balthus. En effet, il nous a été possible d’établir pour la première fois un parallèle frappant entre les tableaux de Balthus et l’œuvre photographique de Lewis Carroll, la série d’images de celles qu’il appelait ses « amies enfants » en particulier. De cette série,  il y a lieu de distinguer les photos de studio de celles prises en extérieur d’une part, ainsi que d’autre part les photos des petites filles « déshabillées » des photos de « nus » où les fillettes restent, à l’instar de celles des tableaux de Balthus, fixées à jamais et semblent n’avoir que pour seul objectif de conjurer « l’énigme inquiétante de l’enfance qui se métamorphose ». Dans ces portraits, qu’ils soient peints par Balthus ou photographiés par Lewis Carroll, l’évocation de la nymphette réapparaît dans ces corps aux formes esquissées et se dévoile l’équivalence Girl=Phallus, abordée ici et mise en exergue dans les Lolitas de Balthus : figures idéales de l’objet du désir, chrysalides fragiles, « descendantes scandaleuses de la petite fille, modèle carrollien ou doubles cyniques d’Alice ».

Ce texte est extrait de la thèse de doctorat de l’auteur, Érotisme et perversion dans l’œuvre picturale de Balthazar KLOSSOWSKI ou Balthus de l’autre côté du miroir, Étude psychanalytique sur la peinture[3].

[1]  BELILOS M., « La cérémonie du thé : rencontre avec Balthus », La Cause Freudienne, N° 46, Navarin, Paris, Octobre 2000, p. 90-92.

[2]  Marret-Maleval Sophie, « Les petites filles de l’inconscient au mythe » , Lewis Carroll et les mythologies de l’enfance, (ouvrage collectif) sous la direction de Sophie Marret- Maleval, Presses Universitaires de Rennes, 1995, p. 66.

[3]  MUÑOZ – TRUJILLO DE SHIVER Ana-Maria, Doctorat en Théorie Psychanalytique (Université de Paris VIII Saint-Denis en 2014 ) .