Le CPCT, ou donner à l’inconscient chance d’exister

En 2003 était créé le CPCT-Paris, réponse en acte de l’École de la Cause freudienne à la propagation, en France et en Europe, de la culture de l’évaluation qui réduit la souffrance psychique à des catégories scientistes. Depuis, d’autres CPCT ont été conçus autour d’une proposition identique : donner à tous ceux qui le souhaitent la possibilité de rencontrer un psychanalyste en bénéficiant d’un traitement gratuit et à durée limitée[1]. Nulle posologie, ni suggestion visant à modifier des comportements inappropriés ne sont proposés, mais une offre de parole adressée à un analyste.

Au CPCT, s’agirait-il d’entendre une plainte qui se murmurerait à l’infini? Plutôt de tenir compte de l’urgence subjective, afin de donner à l’inconscient chance d’exister. Le savoir qui s’y révèle ne s’apprend pas, mais s’arrache au réel dans un mouvement d’ouverture de l’inconscient qui suppose un vacillement propre à chaque sujet. Dans cette expérience où, séance après séance, des façons de dire, surprenantes, singulières, adviennent comme autant d’évènements de parole pour faire surgir un fragment de vérité, comment jouer du temps compté d’avance ? Serge Cottet, au cours d’une conférence donnée lors du 2e Rendez-vous clinique du CPCT-Paris, avance une thèse audacieuse, celle d’un « bricolage du temps logique », « déplacement de la fonction de la hâte vers le temps pour comprendre[2] ».

À l’opposé de la psychothérapie qui, comme nous le rappelle Fabian Fajnwaks, « travaille entre l’imaginaire et le symbolique en laissant de côté le réel[3] », la psychanalyse opère avec la substance jouissante de la langue, réel qui noue l’imaginaire du corps et le système symbolique. Les cas publiés dans cette nouvelle édition spéciale CPCT témoignent des effets de cette orientation par le réel. On lira comment des sujets y retrouvent un goût nouveau pour la vie et une capacité accrue à faire lien avec d’autres. En cela, c’est une institution qui travaille au cœur de la civilisation.

[1]  Patricia Bosquin-Caroz, « Introduction à la première journée du réseau parisien du FIPA » : http//enversdeparis.org

[2]  Serge Cottet, « Faut-il raccourcir le temps pour comprendre ? », intervention lors du 2e Rendez-vous clinique du CPCT-Paris le 9 avril 2016, Un traitement qui compte.

[3] « Psychanalyse lacanienne et psychothérapie », une conférence que l’on écoutera dans son intégralité sur le site de l’ECF : La question du moment, http//causefreudienne.net




Un bricolage du temps logique

Les questions relatives au temps dans notre milieu ont concerné davantage la séance courte, sa justification, que la cure brève. Au CPCT, le temps est compté à l’avance et cela a des conséquences. L’angoisse et l’urgence subjective sont peu propices au tournage en rond.

Or, si le temps de l’horloge est le même pour tous, le temps d’élaboration et de cogitation du sujet, lui, dépend de la satisfaction qu’il tire de son symptôme. Le moment où celle-ci peut vaciller tient d’un impossible à calculer. Y a-t-il lieu de l’anticiper, voire de la provoquer, de sorte qu’elle lui soit révélée en 16 séances ? Y a-t-il un acte analytique susceptible d’accélérer ce temps pour comprendre ?

Nombre d’objections pourraient être faites à cette stratégie. À supposer que le sujet vienne pour comprendre, son temps d’élaboration est ce qu’il y a de plus subjectif ; est-ce le temps de l’inconscient qui est singulier et nécessairement propre à chacun ?

Mais, comme Jacques-Alain Miller le fait valoir dans son article sur l’« érotique du temps », l’expérience analytique contredit la thèse d’un inconscient éternisé, inusable. Pour cela, il faut distinguer le temps de l’inconscient du temps de l’expérience[1]. Le temps ne doit pas être considéré à l’image d’une ligne infinie. Le propre de l’expérience analytique, c’est que le mode passé du temps est actualisé par la présence de l’analyste. La tension entre transfert et temps remet en cause le postulat d’un temps incompressible. Dire que l’inconscient est pulsation temporelle, veut dire qu’il s’ouvre ou se ferme selon les modalités du transfert.

Ainsi, un effet de précipitation est à la discrétion du praticien. Le temps de l’inconscient n’est pas autonome par rapport à l’acte analytique, que celui-ci soit de l’ordre de la scansion ou de l’interprétation. Au CPCT, le praticien favorise cette précipitation en évitant de perdre du temps sur des questions secondaires, anecdotiques, mais en focalisant le discours sur un symptôme particulier considéré comme l’os sur quoi bute la singularité du sujet : on n’encourage pas une plainte qui se répète, inchangée pendant seize séances ; les sujets sont invités à changer de disque. Cette fonction de la hâte amène le consultant à ne pas trop jouer au secrétaire dont le rôle se limiterait à l’écoute. Au contraire, certaines interventions paraissent même intempestives, c’est-à-dire à contretemps ; elles relèvent d’un pari pris sur le temps et sur les possibilités du sujet à les recevoir.

À cet égard, j’ai parlé d’un raccourcissement du temps pour comprendre au CPCT. Cela impliquerait un bricolage du temps logique, un déplacement de la fonction de la hâte vers le temps pour comprendre, alors que c’est avec « la hâte à conclure »[2] que le concept est à la bonne place. C’est donc un coup de force. La fonction de la hâte au CPCT peut se justifier du fait même d’un transfert à l’institution. Comme si celle-ci n’avait pas à attendre les moments d’ouverture ou de fermeture de l’inconscient transférentiel, comme si on pouvait s’autoriser d’emblée à surprendre l’inertie du sujet, jusqu’à, selon les cas, « déranger la défense »[3].

L’Hebdo-Blog vous propose ce flash tiré de l’intervention de S. Cottet lors du 2e Rendez-vous clinique du CPCT-Paris samedi 9 avril 2016, Un traitement qui compte, consacré au temps pour comprendre. Cette intervention de S. Cottet intitulée « Faut-il raccourcir le temps pour comprendre ? » sera publiée prochainement dans son intégralité. Par ailleurs, ce cycle sur le temps se clôturera le samedi 11 juin 2016 par un troisième Rendez-vous clinique – Comment ça s’arrête ? – qui portera sur le moment de conclure.

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[1] Miller J.-A., « Introduction à l’érotique du temps », La Cause freudienne, no 56, op. cit., p.77.

[2] Cf. Lacan J. : « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée » & « Variantes de la cure-type », Écrits, Paris, Seuil, coll. Champ freudien, 1966, p. 197-213 & 324.

[3] Cf. notamment Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’expérience du réel dans la cure analytique », enseignement prononcé dans le cadre du Département de psychanalyse de l’université Paris VIII, inédit.




Psychanalyse lacanienne et psychothérapie

La personne qui vient en analyse et du grand public ignore, de manière générale, la différence entre ces deux pratiques, ces deux éthiques, ignorance qui pousse à les rapprocher comme deux termes voisins.

Il faut dire que les psychothérapeutes s’inscrivant dans des approches issues de la psychanalyse, comme la psychothérapie individuelle, le psychodrame, la thérapie de groupe, la psychothérapie d’enfant, ont bénéficié de cette ambiguïté. Cela plus par un manque de rigueur conceptuelle ou théorique, ou encore par une décision des thérapeutes eux même de ne pas faire passer dans leur pratiques des éléments rencontrés dans leur analyse, c’est-à-dire par une forme d’horreur face à l’acte analytique, que par une sorte d’imposture. Ces thérapeutes, s’ils ne se revendiquaient pas du tout comme analystes, se voulaient d’inspiration psychanalytique.

Lacan ironisait dans Télévision sur ces psychothérapies, dont on exigeait, en tout cas dans les années 70, qu’elles soient « d’inspiration psychanalytique », en modulant la chose, comme il disait, par la présence des guillemets. Il y avait une sorte de malentendu, parfois volontairement entretenu, qui profitait donc à ces psychothérapies. Aujourd’hui, c’est bien plutôt le contraire, on propose au grand public de soigner surtout sans la psychanalyse, en essayant d’importer du monde anglo-saxon des méthodes thérapeutiques très diverses souvent issues de la culture New age.

En France, la psychanalyse a une histoire et une présence dans la culture très différente. Il faut lire, à ce propos, l’ouvrage de l’historien : Nathan Hale Junior, Freud et les américains. Dans le second tome, qui n’a pas encore été traduit en Français, l’auteur développe comment la multiplication des psychothérapies New age à partir des années 80 en Californie a été une conséquence de l’adoption par les psychanalystes émigrés dans les années 30 et 40 du modèle médical, ceci pour s’adapter aux exigences du pragmatisme américain. A partir de ce fait, les questions les plus propres au sujet auraient fait retour, selon cet auteur, par la voie détournée des psychothérapies. La psychanalyse devenue une pratique adaptative et normativisante dans « l’ego psychology » ne pouvait plus les loger. C’est une hypothèse que l’on peut discuter. Peut être, il y a encore d’autres variables qui entrent en jeu, mais au moins elle a le mérite de situer assez bien le problème.

De leur côté, les psychanalystes, jusqu’à Lacan, n’ont pas toujours été très clairs quant à la différence entre psychanalyse et psychothérapie. Ils n’ont pas abordé directement la question. Freud, parce qu’il était probablement plus occupé à construire le grand corpus théorique de la psychanalyse qu’à préciser les différences entre les deux. Il prévoyait néanmoins, dans son célèbre propos du congrès de Budapest en 1916, qu’à l’avenir, nous serons obligés de mêler à l’or pur de l’analyse une quantité considérable du plomb de la suggestion directe. On trouve dans sa correspondance avec Biswanger, par exemple – Biswanger, jeune psychiatre en formation en institution et un peu en contrôle avec Freud, des propos assez savoureux sur la place de la suggestion dans la cure et les aménagements que la technique appliquée en institution nécessitent. Les psychothérapies, de manière générale, opèrent à partir du principe qu’il est possible de ramener ce qui est du registre du symptôme au principe de plaisir, comme si cela était possible.

Écouter la suite sur le site de l’ECF : http://www.causefreudienne.net/psychanalyse-lacanienne-et-psychotherapie/




Le cadavre enlevé

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Un homme qui vole

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Un sas anti-écrasement

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Insomnie

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Après midi du CPCT : “Un traitement qui compte”

C’est sous le titre “Un traitement qui compte”, et devant une salle comble, que s’est déroulé, samedi 9 avril le second rendez-vous clinique du Centre Psychanalytique de Consultations et de Traitement (CPCT) de Paris, après-midi de travail animé par Serge Cottet[1].

L’équivoque du terme “compter” était bien en effet le centre de gravité des cas présentés. Soit la rencontre avec un consultant psychanalyste qui à un moment donné produit un effet de rectification subjective, ou de déplacement de la question chez le sujet, cependant que les seize séances que compte le traitement constituent d’emblée son cadre et son rythme. Comment se conjugue ici temps de l’inconscient, temps logique, et temps chronologique ? Comment le consultant psychanalyste est-il lui aussi pris dans cette temporalité ?

Son intervention, dans les cas présentés, a pu être qualifiée d’intempestive, c’est-à-dire littéralement comme se manifestant dans un temps décalé. A l’inverse d’obvier à sa prise en compte par le sujet, comme on pourrait le croire, cette notion indique le pari souvent réussi, du fait du transfert établi, de s’adjointer au temps inconscient singulier du sujet, immédiatement ou en mode différé. Le traitement au CPCT est ainsi un cycle[2] qui dans un mouvement propre, donne occasion à l’inconscient transférentiel de se manifester. La surprise est autant au rendez-vous pour la personne reçue que pour le consultant, comme on l’a vu dans certains cas présentés.

Ici aussi le temps progrédient croise incessamment le temps régrédient, donnant lieu à une autre historisation par le sujet. Le traitement au CPCT démontre qu’une torsion peut s’opérer dans ce que le mouvement de civilisation présent produit quant à la place de la psychanalyse dans le monde, à savoir que “Le temps met en crise la vérité”[3]. Surprise subjective, expérience de transfert à l’oeuvre peuvent ainsi y poser ce contrepoint, qu’à l’instar d’une cure psychanalytique, la vérité met en crise le temps, départageant par exemple hâte, urgence, et précipitation, temps objectif et temps subjectif.[4]

[1] * L’après midi-comprenait deux séquences :

           Faut-il raccourcir le temps pour comprendre ?, intervention de Serge Cottet, modérateurs : Caroline Leduc et Ricardo Schabelman.

            Tempos du traitement avec 3 cas cliniques. Discutant : Serge Cottet ; modérateur : Pascale Fari

            “Un sas anti-écrasement”, Hélène de la Bouillerie; “Le temps de l’acte”, Jean-Claude Razavet; “Qu’est ce que l’histoire”, France Jaigu.

[2] Effets Thérapeutiques rapides en psychanalyse, sous la direction de Jacques Alain Miller, Paris, Navarin, juin 2005

[3] Miller J.-A., “L’érotique du temps”, la Cause Freudienne N°56, Paris, Navarin, 2004.

[4] Lacan J., ” Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée”, Ecrits, Paris, Seuil 1966 et Miller J.-A., ” Les us du laps “, séances des mois de mars, avril, et mai où ce texte de Lacan est commenté par le menu.