Trois points sur le contrôle

Il a été souligné que le contrôle n’est pas obligatoire dans l’ECF et le Champ freudien. [1] C’est en effet un point tout à fait décisif : le contrôle, chez nous, est un contrôle désiré. Même s’il est encouragé par l’institution, le fait qu’il ne soit pas obligatoire comme serait le paiement de cotisation de membre, fait une sérieuse différence. J’ai souvent entendu la remarque de collègues d’Amérique latine d’un certain âge disant que la pratique du contrôle n’a pas là-bas la rigueur qu’elle a en France. Il est même d’autres Écoles européennes où les anciens se plaignent que le contrôle soit très occasionnel.

Le fait que ce ne soit pas obligatoire, est pour nous un héritage de la dérégulation pratiquée par Lacan au moment de fonder l’École freudienne de Paris. Contrairement aux sociétés qui procèdent de l’Association internationale créée par Freud, nous n’avons pas de listes de didacticiens et pratiquons l’auto-autorisation, la simple autorisation de l’analyste. Dans les sociétés de l’IPA, et Freud ne procédait pas autrement, c’est l’institution qui vous donne le permis de conduire une cure psychanalytique à proprement parler. Si mon souvenir est bon, dans la Société psychanalytique de Paris, il faut que vous soyez contrôlés pendant un certain nombre d’années par des contrôleurs différents qui font un rapport ad hoc. Voilà quelle était la situation quand Lacan a dérégulé la pratique analytique. Depuis lors, nous avons un contrôle désiré. C’est vraiment propre au procédé de Lacan. Sans cela, la question même de savoir pourquoi suivre un contrôle ne se poserait même pas. La réponse serait : je suis en contrôle parce que c’est obligatoire.

Deuxième remarque, à propos de la position du contrôleur et de la remarque de Lacan évoquée par Omaïra Meseguer dans la première séquence : Lacan parlait des jeunes analystes comme des rhinocéros parce qu’ils avaient toujours raison. Bien qu’elle ne concerne que les jeunes analystes, cette remarque témoigne d’une position que Lacan a tenue non seulement dans le contrôle mais aussi dans sa pratique institutionnelle, et même dans ses rapports avec les gens, soit de laisser chacun aller jusqu’au bout de là où il veut aller. Si vous faites objection, c’est vous qui semblez être la cause de son échec. Laissez-le découvrir son échec tout seul, ne venez pas couvrir l’échec d’une position mal embouchée en venant, vous, dire non. Il me semble donc que son idée, c’est que l’expérience est la plus enseignante, et qu’il faut en payer le prix. Il faut que le sujet subisse certains ratages, ait certaines bosses, il en sera d’autant plus enseigné pour la suite. Cela implique que le contrôleur ne pratique pas un contrôle essentiellement inhibiteur, mais aussi permissif.

Au-delà de ça, le plus grand danger pour le contrôleur dans le contrôle est de s’installer dans la position de représentant du principe de réalité. C’est la même chose pour l’analyste. Cela dit, il y a un dosage à faire entre le contrôle inhibiteur et le contrôle permissif, mais en donnant tout de même la préférence à la permission sur l’inhibition.

Troisièmement, la cure est ce qu’il y a de plus intime pour le sujet, ça fait vraiment partie de sa vie privée. Chez nous, on ne la déclare pas à l’institution, alors que lorsque qu’il y des listes de didacticiens, on déclare à l’institution qu’on entre en analyse. Cela étant, c’est rattrapé au moment de la passe pendant lequel on pratique une supervision de la cure, du moins lorsqu’elle est supposée se conclure, ou qu’il y a une chance qu’elle soit conclue.

Pour le contrôle, c’est aussi privé, on ne le déclare pas à l’institution contrairement à l’IPA. Il me semble néanmoins qu’à un moment de la même façon que l’institution rattrape la cure, elle doit rattraper le contrôle. Il y a une instance présente pour cela, la Commission de la garantie. Simplement, elle l’avait oublié en effectuant des nominations sans recenser les contrôles au nom du fait que le contrôle serait tout à fait privé. Et bien je crois que la Commission de la garantie devrait s’assurer que le contrôle a été fait, et je pense que l’on peut en tirer une leçon pour les prochaines Questions d’École. Je proposerais qu’il y ait l’année prochaine une séquence pour les membres de la Commission de la passe et une autre pour les membres de la commission de la Garantie, c’est-à-dire pour la supervision de la passe et pour celle du contrôle.

[1] Intervention lors de Journée Question d’École du 8 février 2014, sous le titre « Les usages du contrôle ». Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur. Non revu par lui.




Lecture du titre

Ce titre met l’accent sur la continuité de la formation dans la psychanalyse. C’est une façon de nommer le fait qu’elle ne s’arrête pas, qu’elle ne cesse pas.

À « permanence de la formation », fait écho la « permanence du symptôme », telle que Jacques-Alain Miller l’a différenciée du lapsus et du mot d’esprit, en indiquant que le symptôme ne se résorbe pas avec le déchiffrage de la vérité. Le symptôme résiste à la vérité. Sa permanence est ce qui a conduit Freud à concevoir le transfert négatif et Lacan, la face réelle du symptôme puis, à la fin de son enseignement, le sinthome en tant que reste de l’opération analytique. Disons alors que le titre de Question d’École indique que la formation serait un symptôme qui s’écrit et ne cesse pas de s’écrire.

D’autre part, ce titre s’éclaire de deux sous-titres. On peut y lire une entrée à double détente. La première, c’est le contrôle et sa nécessité, la deuxième relève de l’expérience analytique : « Finitude et infinitude de l’analyse » qui indique d’emblée, là aussi, une forme d’infini dans la formation.

Contrôle

À l’ECF, le contrôle n’est pas une obligation qui figure dans les statuts de la formation pour devenir psychanalyste. Pourtant, le contrôle est recommandé et attendu. Il est un des critères qui fonde la décision de nommer ou pas l’AME. Il a donc valeur de formation pour l’École.

Du côté de l’analysant, le contrôle n’est pas une demande qui s’inscrit dans un programme voire un cursus pour devenir analyste. Pour autant, il s’éprouve comme une nécessité pour celui qui s’autorise à une pratique d’analyste. J.-A. Miller qualifiait le contrôle de « désiré ». Cette position est historique. En indiquant que l’analyste ne s’autorise que de lui-même, Lacan voulait surtout marquer le fait qu’il ne s’autorise pas de la hiérarchie. Celui qui s’autorise, c’est l’analysant en tant qu’il choisit d’être analyste et s’en fait responsable. C’est un acte.

Non obligatoire du côté de l’École, mais nécessaire pour celui qui se fait responsable de son expérience d’analyste, le contrôle se fonde sur un désir de savoir.
Alors, que contrôle-t-on ?

Au début, on contrôle le cas. On expose la clinique du cas, du diagnostic, mais aussi de la mise en jeu du travail, et on questionne ce qui rend possible la rencontre analytique.

Ensuite, on vient contrôler son acte. On construit le cas. C’est-à-dire qu’on y introduit notre savoir analytique. On construit le cas à l’aulne de son propre cas. Il est indéniable qu’il y a dans la façon dont on construit un cas en contrôle, un reste de la façon dont on a construit son propre cas pour le transmettre dans la passe.

Finitude et infinitude de l’analyse

Je suis frappée par ces deux signifiants qui évoquent immédiatement le texte de Freud « analyse finie et infinie ». Je me suis d’abord étonnée que cette question ne figure qu’en second sous-titre, car la formation, c’est d’abord l’expérience analytique. C’est elle qui forme, c’est elle qui est didactique. Et c’est par la passe que se lit s’il y a ou non analyste. L’invention de la passe, c’est mettre au cœur de la formation, l’analyse et sa transmission. Ceci dit, faisons l’hypothèse que « finitude et infinitude de l’analyse » venant en deuxième sous-titre postule qu’il y a un lien entre formation, contrôle, et analyse finie ou infinie. S’il y a de l’infini, c’est du côté de la formation que cela s’entend, l’analyse ne cesse pas après l’analyse. Elle se poursuit par d’autres voies, notamment celle du contrôle, mais il y en a d’autres comme l’enseignement et la transmission.

C’est pourquoi, m’appuyant sur la réponse de Lacan sur ce qu’est un sinthome dans la psychanalyse : « Je ne pense pas que la psychanalyse soit un sinthome. Je pense qu’elle est une pratique (…) Ce n’est pas la psychanalyse qui est un sinthome, c’est le psychanalyste » [1], me vient cette question : ne peut-on se demander si le ressort de l’expérience ne serait pas de faire de l’analyste un sinthome ? Je propose alors de considérer le contrôle, son dispositif à trois avec un objet commun qui est l’analysant du contrôlé, ne serait-ce pas le lieu qui permet l’émergence de cette définition de l’analyste comme un sinthome ?  Ne serait-ce pas dans cette structure si particulière du contrôle qu’il y a chance qu’un analyste aperçoive en quoi il est un sinthome ?

[1] Lacan J., Le Séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, Mars 2005, p. 135.




Régularité du contrôle et désir de l’analyste

Partant du thème donné par Gil Caroz au sujet de l’analyste et du contrôle et plus particulièrement de la nécessité de ce dernier, je souhaiterais revenir sur ces questions fondamentales et mettre en lien le désir de l’analyste et le contrôle.

Une clinique sous transfert, ou expérience du réel

Tout d’abord, ce que l’expérience analytique révèle ce sont des « faits de transfert » [1], et c’est bien ce que Freud a accepté de prendre à sa charge. Le transfert est le pivot et le moteur de la cure analytique, il en fait essentiellement une expérience jusque-là inédite. Le transfert, comme amour qui s’adresse au savoir n’est pas en soi une invention de la psychanalyse, mais sa mise en forme conceptuelle sous les auspices de la supposition, et non du savoir su, éloigne cette expérience du rapport maitre-élève ou disciple. Elle a introduit cette nouveauté de ne pouvoir être transmise ni par l’enseignement didactique universitaire, ni par une quelconque initiation. C’est que le transfert y occupe une place particulière, en effet c’est à partir d’un « il n’y pas de rapport sexuel », (aussi bien formulé comme l’incomplétude du symbolique ou l’Autre comme barré) que le champ du langage ouvre à un « au-delà ». Cependant, la psychanalyse ne procédant d’aucune illusion, d’aucune prise dans un métalangage, cet « au-delà » il faut bien qu’elle l’articule, le transmette, et permette aux analysants d’en trouver le chemin. Pourquoi ne pas rappeler ici la célèbre phrase de Freud quand au devenir de l’insu dans une cure : « Wo Es war soll Ich werden » [2], traduite par Lacan « Là où c’était je dois advenir, le sujet du désir et non le moi bien entendu. C’est pourquoi par la suite il formulera qu’à la fin d’une analyse « le non-su s’ordonne comme le cadre du savoir » [3], le cadre impliquant un vide, vide dans lequel cet au-delà du désir qu’est l’objet a qui l’a causé, peut s’entrevoir. C’est Lacan qui, par l’invention de cet objet, donne une finitude à la cure. Il s’oppose à l’infinitude du désir, à son impuissance à faire que la jouissance de la répétition « cesse » et puisse accéder à la satisfaction. Ce peut être aussi l’objet pris dans le sinthome, qui arrête la réitération comme persistance du trou. Quoi qu’il en soit, c’est un moment qui structurellement appartient au « moment de conclure » tel que Lacan le formalise, équivalant à une coupure, à un acte comme possibilité de se faire responsable, à son tour, de ce qui opère dans la cure : « Le désir de l’analyste ». C’est en tout cas ce que la passe enseigne, une modalité de transmission où cette finitude de l’analyse peut être dévoilée, articulée, transmise et cueillie venant participer à maintenir et à la fois produire du nouveau dans ce qu’il en est du discours analytique. Eu égard par exemple aux autres discours, dans l’évolution de la civilisation, l’analyse éclaire, par les symptômes qui s’y dénudent, ce qui « chemine dans les profondeurs du goût ». C’est pourquoi l’analyse tout en restant la même – et c’est la signification des mathèmes – se modifie, c’est la valeur de la singularité de la jouissance qui les dépasse.

Qu’en est-il alors dans la formation de l’analyste de son rapport à la finitude et à l’infinitude du transfert, et du désir de l’analyste dans son aporie ?

Le désir de l’analyste, surgit dans la cure de chacun parfois avant la fin telle que nous venons de la voir formalisée dans la passe. Ce que Lacan rappelle d’ailleurs dans son discours à l’EFP c’est qu’il n’y a pas lieu de séparer l’acte « instituant du psychanalyste de l’acte psychanalytique » [4]. Autre manière de dire que « le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même » [5], mais pas tout seul, pas comme étant le seul mais faisant lien, l’École est le lieu où ce lien se structure afin d’y maintenir vifs les concepts fondamentaux de la psychanalyse. Là, il s’y autorise « de quelques autres », autrement dit des effets de savoir, de partage, d’élaboration et du transfert de travail qu’il reçoit et qu’il produit dans une circularité mœbienne. L’acte échappe à la désignation par l’autre, et à toute idéalisation. Aussi Lacan peut-il dire dans ce même discours à l’EFP que « C’est donc par ce qu’elle a raté que la réussite vient à la voie du psychanalysant, quand c’est de l’après-coup du désir du psychanalyste et des apories qu’il démontre. » [6] La définition qu’il donne alors du désir de l’analyste le situe comme lieu et non comme but ou comme visée. « Ainsi le désir du psychanalyste est-il ce lieu dont on est hors sans y penser, mais où se retrouver, c’est en être sorti pour de bon, soit cette sortie ne l’avoir prise que comme entrée, encore n’est-ce pas n’importe laquelle, puisque c’est la voie du psychanalysant. » [7] Le contrôle vient à cette place dans l’articulation entre psychanalyste et psychanalysant qui ne s’écrit que sous la forme : il y a du psychanalyste. C’est ce qui perdure ainsi dans le transfert, transfert à la psychanalyse, non comme textuelle mais comme vivante. Transfert comme résultat selon Lacan, savoir qui réside dans le langage, que la parole révèle et qui n’a rien à faire avec elle et ceci aussi bien caractérise le réel. Ainsi « il n’y a pas de traversée du transfert » [8], sa résolution est en rapport avec l’émergence de l’objet a. S’il y a réduction du transfert ce n’est que de celui que nourrit l’inconscient transférentiel dans la cure. Dans la séparation faite via l’objet a, le transfert ne disparait pas, il vaut comme référence de ce que signifie la séparation selon Lacan. La cause est logée au-delà de la personne de l’analyste.

Conséquence en ce qui concerne le contrôle

La modification qui en fait sa résolution permet de quitter l’analyste, pas le discours que l’on sert. Il ne peut s’agir dès lors, dans le contrôle, de continuer à analyser l’inconscient de l’analyste, d’autant plus que l’acte analytique qu’il va soutenir désormais comme tout « acte vrai suppose le suspend du savoir » : cela il a à le savoir. Le contrôle prend toute sa signification d’être contrôle de l’acte et par conséquent toujours à la fois logé dans la supposition de savoir comme condition nécessaire mais pas suffisante puisque comme acte, soit interprétation, il s’en sépare, – comme dit Freud « le lion ne bondit qu’une fois », à différents moments.

Pour Lacan : « contrôler un “cas” : un sujet (je souligne) que son acte dépasse, ce qui n’est rien mais qui, s’il dépasse son acte, fait l’incapacité que nous voyons fleurir le parterre des psychanalystes » [9]. Cela donne à la pratique du contrôle un éclairage essentiel, celui de sa nécessité, à partir du moment où le dépassement de l’acte relève de la contingence mais pas du caprice. On s’adresse à un autre, supposé savoir y faire, afin que la parole que l’on délivre comme analyste puisse « être créationniste » et « agir par la parole sur les passions, c’est-à-dire sur le désir, qui les résume toutes » [10], que « l’interprétation puisse produire du nouveau » [11]. Ceci à une conséquence sur la pratique du contrôle, elle exige me semble-t-il une régularité du contrôle et non une ponctualité. En effet, dans la régularité se disent ou se forment les conditions de l’acte qui ne sont pas l’acte comme tel. Il est arrivé que l’on ait pu faire entendre à l’analyste, qui ne parvenait pas à se taire, qu’il gagnerait à s’« Autrifier un peu ».

Mais allons un peu plus loin, le contrôle ponctuel, occasionnel, ou que l’on voudrait « spécialisé » ne relève-t-il pas d’une tentative de maitriser l’acte, soit que cet acte, l’analyste le prépare, soit qu’il veuille l’isoler, le figer en l’identifiant dans l’après coup : ceci par définition l’annule. Le transfert dans le contrôle doit permettre un lien plus essentiel à la psychanalyse. La pratique du contrôle et sa régularité qui fait sa nécessité contribuent à maintenir l’analyste dans le lieu du « désir de l’analyste » et dans le lien à la psychanalyse elle-même. Cela bien sûr ne saurait être imposé, l’analyste ne pourrait que le vouloir. La célèbre phrase de Lacan qui unit le transfert et l’interprétation et, pourrait-on ajouter, le désir de l’analyste : « L’analyste est moins libre en sa stratégie qu’en sa tactique » donne toute sa valeur à la pratique du contrôle. Lacan poursuit, « Allons plus loin. L’analyste est moins libre encore en ce qui domine stratégie et tactique : à savoir sa politique, où il ferait mieux de se repérer sur son manque à être que sur son être ». [12] Disons que ce désir de consentir à ce qui se présente de nouveau, d’inattendu, il le doit à sa propre cure.  C’est ce qu’il vient « muscler » [13] en contrôle.

[1] Miller J. A., « L’orientation lacanienne. L’être et l’Un », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 19 janvier 2011, inédit.

[2] Lacan J., « La chose freudienne », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 416.

[3] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 249.

[4] Ibid., p. 265.

[5] Ibid., p. 243.

[6] Ibid., p. 266.

[7] Ibid.

[8] Miller J.-A., « Remarque sur la traversée du transfert », Revue de l’École de la Cause freudienne, n°18, juin 1991, p. 28.

[9] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », op. cit., p. 266.

[10] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’être et l’Un», op. cit., leçon du 9 mars 2011.

[11] Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, op. cit., p. 594.

[12] Ibid., p. 589.

[13] Miller J. A., « L’orientation lacanienne. Les us du laps », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 8 décembre 1999, inédit.




Permanence de la formation, de la nécessité du contrôle, finitude et infinitude de l’analyse

 

Question d’École

Le 2 février 2019

On sait que l’École de la Cause freudienne ne se ménage aucunement afin de faire exister la psychanalyse dans le monde et d’influencer les discours qui s’y véhiculent. Il n’empêche que nous entendons dire, et encore récemment, qu’il serait temps que les psychanalystes sortent de leur entre-soi, sans entendre que derrière cet appel à l’intégration dans la civilisation se masque une exigence que la psychanalyse fasse disparaître « le soc tranchant de sa vérité » [1]. Pour les psychanalystes de l’École de Lacan, la question se pose à l’envers : comment demeurer séparés du malaise dans la civilisation ? En effet, la propension à diluer la psychanalyse dans les discours qui dispersent ce malaise ne cesse de nous guetter. Elle menace de faire chuter les murs entre psychanalyse et psychothérapie, contrôle et supervision, vérité et réel… Afin de contrer cette pente à la dilution, aucun autre remède que le maintien permanent du lien de l’analyste à sa formation.

Si la responsabilité que se donne l’École est de préserver cette formation, en retour la permanence de celle-ci la protège du danger de s’intégrer dans le sens commun. Lacan a fondé son École comme un lieu de refuge, voire une base d’opération contre le malaise dans la civilisation [2]. Aujourd’hui plus que jamais, la nécessité de ce refuge discursif contre les effets toxiques des discours courants est devenue tangible.

L’Acte de fondation que Lacan rédige en 1964, au moment de placer la pierre angulaire de son École, est marqué d’une rupture radicale d’avec les mœurs des didacticiens de l’époque : autosuffisance, assurance non justifiée d’une place garantie pour la psychanalyse dans le monde, rigidité des standards et des rituels, respectabilité paternaliste, prudence excessive et inhibition de l’acte, méconnaissance du réel en jeu dans la formation de l’analyste. S’il s’en prend aux rites installés comme traditions dans la pratique et dans les institutions psychanalytiques, c’est parce que, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, la tradition ne sert pas à entretenir les enjeux de l’origine, mais à les oublier. Plutôt que de s’accrocher aux rites traditionnels émanant du Nom-du-père dont les causes premières se sont perdues, Lacan prône donc un retour à la « praxis originale » instituée par Freud, c’est-à-dire à l’origine traumatique de la psychanalyse en tant que sa vérité coupante a ouvert vers le réel comme un trou dans le sens commun. Le maintien de cette flamme initiale, toujours menacée d’un recouvrement par des forces de refoulement ou de forclusion, est une condition préalable à toute ex-sistence du psychanalyste.

Jacques-Alain Miller nous a appris que l’analyste est toujours en devenir. Dans cet esprit, ce qui se mesure dans l’École de Lacan, École de la formation, est l’existence de l’analyste plutôt que son être. Certes, dans l’ECF, il y a un usage des titres AP, AME et AE, qui sont des titres d’analyste, renvoyant chacun à des coordonnées bien précises. Mais, fondamentalement, plutôt que de classer les analystes d’un côté et les non-analystes de l’autre, comme cela se pratique au sein d’une certaine orthodoxie, ce qui est vérifié à l’ECF est qu’il y a de l’analyste. Lacan nous a donné trois axes qui nous permettent de faire cette appréciation : le fonctionnement, le rapport à la cause et la démonstration.

Concernant le fonctionnement, Lacan dira que le fait de fonctionner comme analyste « ne rend que probable l’ex-sistence de l’analyste. Probabilité suffisante pour garantir qu’il y en ait : que les chances soient grandes pour chacun, les laisse pour tous insuffisantes » [3]. Autrement dit, qu’il y ait chez un candidat un fonctionnement d’analyste, par exemple qu’il en ait la pratique, cela permet de faire le pari qu’il y a chez lui de l’analyste. Mais ce n’est pas suffisant pour l’affirmer. L’admission d’un membre à l’École sur la base de son fonctionnement comme analyste relève donc d’un pari. Lacan ajoute que sa thèse arguant que l’analyste ne s’autorise que de lui-même reste à préciser. Certes, il s’autorise de lui-même, mais encore faut-il qu’il y ait, chez celui qui s’autorise de lui-même, de l’analyste. C’est donc limpide : l’analyste ne s’autorise que de lui-même, à condition qu’il y ait de l’analyste, et ceci reste à démontrer.

Le rapport à la cause analytique est ce qui est vérifié et entretenu lors du contrôle. Lacan dira que le contrôle s’impose « d’abord pour en protéger celui qui y vient en position de patient » [4], c’est-à-dire qu’il arrive, dans l’École de Lacan, que l’analyste en formation prenne une responsabilité psychanalytique. Mais, comme le précise Jacques-Alain Miller, le contrôle est crucial, essentiellement parce qu’il entretient le rapport de l’analyste à la cause psychanalytique [5]. Le contrôle, à la différence de ce que l’on appelle supervision, ne sert donc pas à ajuster le rapport du praticien à son patient au regard d’un savoir clinique universel. S’il sert à constater l’écart irréductible entre la théorie psychanalytique et le cas singulier, il permet surtout de s’assurer que l’analyste préserve la fraîcheur de son rapport à la cause tel qu’il l’a vécu au moment de sa propre rencontre avec la psychanalyse. Car, en effet, grand est le risque que l’analyste « aîné », celui que l’on appelait jadis le « didacticien », ait « déjà tellement de bouteille qu’il ne sait absolument pas pourquoi il s’est engagé dans cette profession d’analyste » [6]. C’est dire que la nécessité du contrôle ne se tarit jamais et que la formation est permanente, car le risque de lâcher le désir de l’analyste au profit de l’une ou l’autre bonne affaire nous guette en permanence.

Enfin, là où le fonctionnement admet un pari, le dispositif de la passe sert une démonstration qu’il y a de l’analyste. Sans cette démonstration, dit Lacan dans la « Note italienne », « il n’y pas de chance que l’analyse continue à faire prime sur le marché »[7]. Nous retrouvons ici l’idée de l’École bâtie comme une base d’opération contre le malaise dans la civilisation, et de la passe comme une condition pour qu’elle puisse incarner cette base. Il est donc essentiel que l’analyste dont la cure a abouti, fasse la démonstration d’un savoir nouveau sur le réel à l’instar des démonstrations scientifiques.

Mais de quelle démonstration s’agit-il ? Le CQFD dont il s’agit est un savoir sur l’impossible écriture du rapport sexuel, chose qui ne peut se démontrer autrement que par un parcours analytique conduit jusqu’à sa fin. Il y a là un paradoxe, car c’est en essayant d’écrire ce rapport inexistant qu’on peut démontrer qu’il est impossible de l’écrire. Autrement dit, il n’y a pas moyen d’accéder à cette impossibilité sans tenter d’abord de traiter le réel par le symbolique, jusqu’au point où s’atteste cet impossible à écrire. Mieux vaut, dit Lacan, que celui qui arrête son analyse avant d’être en mesure de contribuer à ce savoir, « ne s’autorise pas d’être analyste » [8]. Le consentement à l’inexistence du rapport sexuel est un élément essentiel de l’acte de passage de l’analysant à l’analyste. C’est alors que nous pouvons parler d’une mutation subjective et d’un réel effet de formation. Cette mutation n’est pas seulement une affaire de démonstration. Il ne s’agit pas uniquement d’un savoir qui se veut à la hauteur d’un savoir scientifique, mais aussi d’une pragmatique, un savoir y faire avec le symptôme, qui ne se formule jamais une fois pour toutes et qui est mis à l’épreuve à chaque nouvelle rencontre avec le réel. Ainsi, si ce point de la fin est corrélé à une déflation de jouissance et à l’acquis d’un savoir y faire, cela n’empêche pas que la formation demeure, dans une forme ou une autre, une nécessité « indissoluble » [9] afin d’entretenir un rapport continu à la cause analytique. C’est donc à suivre.

[1] Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229.

[2] Ibid., p. 238.

[3] Lacan J., « Note italienne », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 308.

[4] Lacan J., « Acte de fondation », op.cit., p. 235.

[5] Cf. Miller J.-A., « L’Orientation lacanienne. Le banquet des analystes » (1989-1990), enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 8 novembre 1989, inédit.

[6] Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », La Cause du désir, n° 95, 2017, Paris, Navarin, p. 10.

[7] Lacan J., « Note italienne », op. cit., p. 310.

[8] Ibid.

 [9] Lacan J., « Acte de fondation », op. cit., p. 229.