Les paradoxes de la demande

Il est temps que la FIPA revendique sa place dans le champ social et politique, et la journée du 17 mars en sera le départ. Ces lieux, dispositifs et institutions portent une offre nouvelle dans la cité, une offre pour le sujet, à l’écart de toutes normes, et qui permet à chacun d’explorer les paradoxes de la demande. En effet, la dimension d’amour que porte toute demande se trouve entrainée dans ce que nous repérons comme transfert, un transfert qu’oriente la psychanalyse. C’est donc, par la position éthique mise en oeuvre, un effet politique qui se produit, effet de sujet que la psychanalyse provoque et soutien.

Notre action est politique au sens où notre action soutient un discours contre le discours du maitre moderne, discours qui rêve d’un monde sans ratage, ou tout fonctionne, comme l’espèrent les politiciens qui vantent un fonctionnement humain idéal – sur le « fonctionnement », voir le dernier plan autisme français.

Nous savons que le sujet se retrouve dans ses ratages, dans ce qui symptômatise sa présence au monde. Comme le disait Jacques-Alain Miller en 2003, « La psychanalyse n’est pas révolutionnaire, mais elle est subversive, ce qui n’est pas pareil, et pour les raisons que j’ai esquissées, à savoir qu’elle va contre les identifications, les idéaux, les signifiants-maîtres. »[1]

Face à l’injonction surmoïque d’un maitre qui infiltre le monde contemporain, la FIPA fait exister un lieu d’adresse qui autorise une autre rencontre, où un sujet peut trouver de nouveaux ancrages. Notre offre de parole autorise ratage, ouverture et invention originale, et nous rend, au un par un, responsable de la réponse que le sujet rencontre. Pour cette journée, nous allons donc à la rencontre des originalités inventés par ceux qui se sont engagés dans ces offres singulières, dans des CPCT, des lieux divers, voire des dispositifs qui subvertissent la dimension clôturée de certaines institutions.

 

[1] Miller J.-A. « Lacan et la politique », Cités, Paris, Puf, n° 16, 2003/4, p118.




Du parent au sujet, et retours

Beaucoup des pères et des mères qui ont frappé à la porte du CPCT-parents ne connaissaient nullement la psychanalyse. Ce fut une surprise.

Le CPCT à Rennes a une particularité dans son offre, puisque le S1 parents y est accolé. Pour certains sujets, ce signifiant identificatoire peut venir boucher une demande particularisée, puisque de manière métonymique, parents va avec ce S1 moderne : parentalité. La parentalité est en effet un questionnement extrêmement contemporain : modes d’emploi, coaching et guides parentaux fleurissent de toute part. Face à l’énigme de « comment être parents ? », de « qu’est-ce qu’un père ? », « comment être une bonne mère ? », ou « comment retrouver une harmonie familiale ? », pris dans la vague de la parentalité, certains sujets s’adressent au CPCT‑parents en convoquant cet Autre moderne sachant, cet Autre du guidage et en attendent des conseils, des recettes, des méthodes pour résoudre la question énigmatique de leur être.

Alors, face au malaise dans l’institution familiale, des psychanalystes rencontrent de manière inédite des parents, des pères et des mères « déboussolés »[1], dans un dispositif où il ne s’agit ni de les éduquer, les juger, ou les coacher ; mais de leur permettre de dire et de déposer la souffrance qu’ils peuvent rencontrer avec leur enfant et d’inventer un nouveau type de lien à celui-ci. Pas d’Autre du conseil, mais la possibilité de se soutenir d’un discours, celui analytique, qui porte au bien dire, qui use du signifiant pour traiter du réel rencontré, qui prend en compte l’histoire familiale et les circonstances précises de la situation de crise, qui offre au sujet la possibilité de se faire responsable de la jouissance ignorée à lui-même. Première subversion de cette demande contemporaine, vers un accueil particularisé qui tient compte des possibilités et limites propres à chacun des partenaires de la situation. En cela, le CPCT-parents fait une offre différente à celui qui vient chercher un Autre qui saurait. Le parent devient sujet et pourra alors se faire responsable de ce qui le gouverne à son insu, pour que se construise son propre savoir-y-faire avec les embrouilles de sa jouissance. Deuxième subversion de la demande.

Notre siècle pose autrement le malaise dans l’institution familiale. Si l’on peut penser que de tout temps, parce que ni l’instinct maternel, ni l’instinct paternel n’existent, chaque père et chaque mère s’est questionné lors de la venue d’un enfant sur ce qu’il en était de sa place, de son rôle ou de sa fonction, il n’en demeure pas moins qu’au XIXe siècle, les remaniements contemporains de l’ordre symbolique ont dévoilé un trou dans le savoir, un trou sur comment faire famille étant entendu que, jadis, la fonction du Père et de l’interdit masquaient ce trou. Quand la famille n’est plus ce qu’elle était, quand l’appel à la médecine est la condition pour faire famille, quand le couple parental fait place au monoparental, quand les fonctions sont interchangeables, quand les parents sont du même sexe… Quelles conséquences dans la filiation ? Quelles transmissions ? Comment faire famille ?

Ce sont toutes ces questions qui traversent l’institution familiale et ses incidences sur l’enfant, qui sont interrogés au CPCT‑parents ; et plutôt qu’une réponse pour tous, plutôt que de s’engouffrer dans le champ de cette parentalité, sorte de Nom-du-Père moderne prêt-à-porter, est fait grand cas de la singularité de chacun des sujets reçus. L’appui sur le discours analytique pour la prise en compte du réel qui s’impose aux pères et mères du XIXe siècle permet aux sujets un nouveau savoir-y-faire propre à chacun, avec son enfant.

 

[1] Miller J.-A., « Une fantaisie », Mental, n°15, février 2005, p. 9.




Quelques particularités de la demande au CPCT-parents

Au CPCT-parents la souffrance énoncée par les parents est rapportée à un dérangement en lien avec leur(s) enfant(s). Les difficultés évoquées sont de différents ordres formulées à partir des signifiants-maîtres de notre époque. Ils portent notamment la marque de la place grandissante des neurosciences dans le domaine de l’éducation et du discours « de maximisation des capacités »[1] présent dans les pratiques éducatives. La demande concerne souvent un problème dans l’éducation de l’enfant. Le parent consulte car le symptôme de l’enfant l’a délogé de son état de parent, de l’idéal éducatif ou familial qui l’animait. C’est pourquoi le signifiant « parent » constitue le CPCT comme lieu d’adresse et non le signifiant « centre psychanalytique ». À partir de cette pré-interprétation du symptôme, il s’agira que s’installent les conditions de possibilité du discours analytique et que s’obtienne un effet-transfert[2].

S’il n’est pas un lieu de soins d’urgence, le CPCT-parents tient néanmoins compte de l’urgence subjective, soit de la contingence qui génère la demande. On repère bien souvent que ce sont l’angoisse et la culpabilité qui ont décidé la démarche[3]. La rencontre avec le consultant a des incidences sur la demande qui se stabilise, se précise, se subjective ou se transforme jusqu’à dévoiler une autre demande qui « est en tous cas Autre-Chose, et […] c’est justement ce qu’il faut arriver à savoir »[4]. Il s’agit donc d’étudier les modalités du cheminement de la demande et de sa construction dans l’Autre dans le cadre d’un traitement court. Si « demander le sujet n’a jamais fait que ça, il n’a pu vivre que par ça », au CPCT comme dans la cure, « nous prenons la suite »[5] moyennant certaines conditions. Car la demande dépend de l’accueil qui lui est réservé et des modalités de réponses faites par l’analyste. Trouver la juste place est d’autant plus nécessaire du fait de la durée limitée du traitement et des particularités instituées par le temps de la consultation et celui du traitement. La consultation permet d’établir la recevabilité de la demande et ses coordonnées. À l’occasion d’un événement interprétatif, une première mise en forme de la demande s’opère. L’interprétation se situe entre authentification d’un dire – validation et non-validation explicite ou implicites – et absence de garantie, réduction des signifiants dans leur non-sens. Le traitement s’oriente ensuite de la demande « dégagée » des consultations.

Qu’est-ce qui de la demande est parlé, traité, obtenu, modifié, rectifié ? Au début la demande s’articule à la problématique du symptôme, à la dimension hétéro[6] du symptôme[7], une jouissance intime rejetée hors du corps et incarnée dans des objets extérieurs élevés au rang de partenaires-symptômes. C’est pourquoi les parents viennent parler de leur(s) enfant(s), au moment où quelque chose de leur lien les confronte à une impasse, une incompréhension, suscitant inquiétude ou désarroi. Cependant l’expérience montre que très vite un renversement s’opère dans lequel le parent-sujet énonce une question qui le concerne, repère un point de sa propre jouissance symptomatique qu’il reportait jusque-là sur l’autre, son enfant, ce qui ouvre une perspective de changement.

Nous savons que la demande se déploie sur le champ d’une demande implicite et qu’elle est nécessairement ambigüe. Ce que l’on demande à un analyste, nous a appris Lacan, n’est pas toujours ce que l’on désire[8], d’autant que la demande est doublée des exigences de la pulsion. « La pulsion est une demande, une demande que l’on ne peut pas refuser (…) c’est une exigence du corps. »[9] Comment répondre à la demande sans pour autant que « le passé s’entrouvre jusqu’au fin fonds de la première enfance ? »[10]. Par-delà la demande d’aide, la demande de solution – non négligeable – il s’agit de s’orienter du réel qui provoque la rencontre.

Ainsi, la journée FIPA pourra contribuer à établir une pragmatique paradoxale de la demande au CPCT.

 

[1] Stanislas M., « Les neurosciences illustrent la dépolitisation actuelle de la question scolaire », Libération, 21/01/2018.

[2] Briole G., « Pourquoi parler avec les patients ? », La psychanalyse dans les institutions psychiatriques, Actes du colloque de la clinique psychiatrique de Bonsecours, 2006.

[3] Perrin-Chérel M., Être parent au XXIème siècle, Des parents rencontrent des psychanalystes, Paris, Éd. Michèle, 2017.

[4] Lacan J., « La psychanalyse. Raison d’un échec » (1967), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 343.

[5] Lacan J., « La direction de la cure » (1966), Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 617.

[6] Iddan C., L’hétéro et le réel du symptôme, Vers Tel Aviv, NLS Messager, 4/03/2012.

[7] Cf. La phobie de Hans et la lecture qu’en fait Lacan : Lacan J., La conférence à Genève sur le symptôme (1975), Bloc-notes de la psychanalyse, n°5, 1975.

[8] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, p. 114.

[9] Miller J.-A., « L’économie de la jouissance », La C ause freudienne, n°77, Paris, 2011, p. 140.

[10] Lacan J., op.cit., p. 617.




Les paradoxes du diagnostic

Le CMPP de Fougères en route vers la prochaine journée FIPA sur les paradoxes de la demande a engagé un travail sur la question du diagnostic et l’usage qu’en font les sujets.

Le diagnostic, son encadrement juridique, ses usages, font partie des mutations contemporaines qui se manifestent dans le champ de la clinique et de la thérapeutique. Marie-Hélène Brousse[1] nous invite à sérier les effets sur les sujets de ces nouveaux signifiants-maitres tels qu’ils se manifestent dans le champ délimité par une pratique orientée par la psychanalyse.

La loi du 4 mars 2002 reconnait le droit, pour toute personne, d’être informée de son état de santé et favorise la promotion du consentement éclairé. Elle s’inscrit dans un monde de plus en plus exigeant sur le plan juridique et administratif. La demande de savoir s’adresse avant tout au discours de la science, dans un contexte où le réseau, le partage du savoir devient la norme, et où la volonté de transparence vient en rupture avec la culture antérieure de la confidentialité et du secret.

Le DSM est le semblant qui y a d’abord répondu en s’efforçant de faire science sous la forme d’un système classificatoire, basé sur une clinique descriptive excluant le sujet. Il s’est montré propice à la promotion de l’éducation thérapeutique et à la mise en circulation d’un savoir désubjectivé.

Eric Laurent[2] situe comment le DSM, instrument puissant de gestion des populations, a trouvé ses limites dans un régime de revendication clinique et d’identifications pathologiques d’un nouveau genre. En effet les sujets s’emparent des catégories qui leurs sont proposées pour en faire des usages hors-label créant ainsi des bulles inflationnistes dans lesquelles ils souhaitent être rangés. Les étiquettes sont revendiquées comme telles par un pur effet ironique. Dans un mouvement d’auto-médicalisation, les propos spontanés des patients ressemblent aussi à s’y méprendre à la langue des médecins.

Cette appétence pour le diagnostic survient dans un contexte où le dévoilement de l’inexistence de l’Autre s’accompagne du déclin de l’organisation collective des grands modèles identificatoires, et de la montée du surmoi et de l’égo. Elle se décline sur les deux axes de la clinique du signifiant, et de la clinique des modes de jouir.

Le diagnostic qu’il soit imposé, exigé, ou produit par le sujet lui-même, opère comme un premier traitement de l’énigme du symptôme par le savoir et tend à colmater la division du sujet, les modalités du transfert s’en trouvent remaniées. Il s’agit d’être attentif à ce que nous apprend, en chaque cas, l’usage particulier de ces catégories par le sujet. Vient-elle suppléer au défaut forclusif et prendre la valeur d’un S1 qui détermine une place dans le lien social et faut-il à ce titre la respecter ? Convient-il au contraire d’extraire le sujet écrasé sous un signifiant standard afin de lui permettre de constituer un symptôme analytique et un accès au savoir de l’inconscient ?

Qu’enseigne la promotion du diagnostic, du diagnostic sans l’Autre, de la subjectivité de notre époque?

 

[1] Brousse M-H., « Une clinique du lien social, l’Autre de la psychopathologie de la vie quotidienne… », La Cause freudienne, Paris, Navarin, 2012/3, n°82, pp. 29-32.

[2] Laurent E., « Quelques lignes d’avenir des impasses de notre civilisation », Actes du colloque « L’insu des nouvelles gouvernances et les issues du désir », Acf-bureau de Rennes, consultable en ligne ici.