Comment parlez-vous de nos Journées?

Une petite fille a pleuré dans la cour d’une école primaire car un adulte l’a traitée de « diable ». Quelqu’un d’averti à l’embrouille de la langue lui a demandé de raconter la scène: une amie l’avait défendue lors d’un échange avec l’adulte accusé d’avoir lancé le vilain mot. Ce dernier avait dit à l’amie: « arrête de te faire l’avocat du diable ». Logique imparable : avocat de qui? Du diable. Herself !

Après les pleurs, le rire. La petite fille avoue qu’on ne le lui avait pas appris cette expression. Un peu honteuse d’avoir pris la mouche, sait-elle désormais ce que cette phrase veut dire ? Va-t-elle l’utiliser désormais à bon escient ? Le refoulement va recouvrir la scène qui partira dans les décombres de l’enfance? Qu’est-ce que « diable » est venu épingler ? Nous ne le saurons pas. La petite personne qui m’a rapporté ce récit m’a fait part de ce qui lui a sauté aux yeux (si ce n’est aux oreilles) elle a appris qu’un mot a-pris de travers peut blesser quelqu’un jusqu’aux larmes. C’est avec des petits récits comme celui-ci que le thème des Journées 47 de l’ECF devient subitement tangible.

Et vous, comment parlez-vous de nos Journées ? Comment dépliez vous le syntagme Apprendre. Désir ou dressage sans enlever le mystère qui se dévoilera fin novembre ? Vous lirez dans ce numéro du HB que le travail de diffusion implique un effort de faire danser les signifiants pour que « ça dit fuse ». Vous saisirez, qu’après l’analyse, on apprend surtout « à mieux se débrouiller ». Enfin, vous serez sensibles à deux plumes qui écrivent de l’intérieur de l’école avec un petit e, deux témoignages qui nous font entendre que des mots bien dits, adressés à des enfants ou à des adolescents, apprennent parce qu’ils surprennent. C’est ainsi, en parlant au singulier, que le thème des Journées 47 devient tangible et donc susceptible d’être transmis.

 




ça dit fuse

Sous l’œil avisé d’Omaira qui nous indique les petits détails à ne pas oublier, l’équipe de la diffusion des J47 (Valérie Bussières, Philippe Cousty, Fanny Levin, David Oger, Patricia Wartelle à laquelle s’est jointe Marine Bouvet, pour la confection de la newsletter interne K Prendre ? et moi) nous animons la commission diffusion en lien avec les nombreux correspondants dans toutes les ACF qui participent de concerts à mettre les prochaines journées de l’École au centre des préoccupations de chacun. Je remercie ici chacun de tous ceux qui s’agitent avec nous dans leur ville, institution et qui sont les maillons essentiels à la réussite de la diffusion.

On dit et cela fuse : Patricia propose une formulation, Valérie a toujours une idée chaleureuse venue du Sud, Philippe énonce avec poésie, Fanny apporte de l’humour, David enchaîne aussi vite que souffle le vent breton. … Chacun, de ceux engagés dans la diffusion, y va de sa chair, de ses tripes parce que le désir, ça passe par le corps. Nous faisons avec ce que chacun de nous pouvons faire et formons une belle équipe !

Que ce soit en direction des orthophonistes, des psychomotriciens, des psychologues, des éducateurs dans les institutions médicales ou sociales, mais aussi les enseignants, les psychologues scolaires, tout le monde y va de son réseau, de ses connaissances, amis, pour que « Apprendre, désir ou dressage » deviennent le signifiant à la mode de l’énoncé et ce, jusqu’au 25 novembre.

La diffusion par liste électronique est une nécessité pour toucher au plus large dans tout le territoire, mais la contingence de la rencontre s’avère être riche en échange, partage. On choisit l’effet papillon : en diffusant ici, cela a un effet là-bas, aussi ! Ou l’effet « boule de neige », un flyer donné en mains propres à un enseignant sera diffusé par dizaines en salle des profs.

On envoie du matériel de ça, de là, laissant voler ces feuillets rouges dans toute la France, et au delà de l’hexagone, à la Réunion, en Corse mais aussi en Belgique, en Suisse… On dépose sur tous les bureaux des délégués ACF, des paquets, contenant le matériel de diffusion. Que ce soit des soirées cinéma, des conférences débats, des rencontres autour d’un auteur et son livre, pour chacun de ses moments, ce matériel est mis à disposition et distribué.

On diffuse tel article ou tel autre publié par le blog, en fonction de celui auquel on s’adresse, on choisit un article du blog auquel nous avons été particulièrement sensible, et on le mentionne au gré d’une analyse de pratique, des rencontres. Toutes les occasions sont bonnes pour laisser une affiche, une carte postale. Et là, on saisit l’occasion qui se présente pour montrer l’argument, les axes thématiques.

On engage la conversation face aux questions qui surgissent : « Aimer ou jouir du savoir », aimer savoir oui mais en jouir ? Ça veut dire quoi ? « Le genre : normativité ou désir ? », parce que ça peut s’apprendre, le genre ? Mais ça veut dire quoi au fait « apprendre »? Parce que dans « apprendre » il y a « a » et « prendre », prendre en soi ou prendre hors de soi ? Est-ce que tout peut s’apprendre ? Est-ce que apprendre ça ne se fait qu’à l’école ? Peut-on apprendre sans un maître ou un professeur ? Est-ce qu’on apprend à tous les âges ? Comment ça se passe le fait d’apprendre ? Est-ce que vraiment aucune recette n’existe ? Peut-on apprendre ce que l’on nous commande, programme d’apprendre ? Est-ce que l’on n’est pas plutôt confronté à une embrouille avec le savoir ? L’acte d’apprendre peut-il venir de l’Autre ? Ne serait-ce pas nécessairement en réponse à une question singulière que l’on apprend ?

L’énigme, que suscite le titre de ces journées, interpelle et nourrit la conversation que l’on entretient au un par un. Que va-t-on nous dire que l’on ne sache déjà ? Va-t-on apprendre quelque chose et quoi ?

Évidemment, ça on ne le sait pas, mais c’est justement parce que l’on ne sait pas que l’on est disposé à en savoir un peu plus…

 




Qu’apprend-on de la répétition ?

Apprendre : désir ou dressage ? s’est décliné avec Sonia Chiriaco au cours d’une conférence préparatoire aux prochaines Journées de l’Ecole sous le titre « Le savoir de l’inconscient est-il déjà là ? » ce samedi, dans l’ACF CAPA, à Amiens, en présence d’un large public.

L’inconscient répète, c’est l’une des premières découvertes de Freud. Les candidats à l’analyse ne s’y trompent pas, souligne dès l’ouverture de son intervention S. Chiriaco. «  En effet, pourquoi ce qui me fait souffrir, que je refuse absolument, insiste-t-il, malgré moi. »

La compulsion de répétition est en contradiction avec le principe de plaisir. C’est en 1920, dans Au-delà du principe de plaisir que Freud déduit de ses observations des névroses de guerre qu’il existe une compulsion de répétition qui se place au-dessus du principe de plaisir et que ce même principe semble être au service des pulsions de mort. Fort de constater également que quelque chose résiste toujours dans le travail analytique. L’analyse bute sur une forme inaltérable de la répétition, elle bute sur l’incurable. Certes, l’inconscient se déchiffre, mais on n’en a jamais fini, c’est ce que laisse entendre Freud, en recommandant à l’analyste de reprendre le chemin de l’analyse tous les cinq ans. En effet, si l’inconscient est un savoir, il n’est pas une simple réserve de mémoire qu’il s’agirait d’extraire par l’interprétation, c’est un savoir qui se construit dans l’analyse.

En 1964, Lacan fait de la répétition un des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse avec l’inconscient, le transfert et la pulsion. La répétition apparaît là comme le produit d’une rencontre toujours manquée. Le schéma du circuit de la pulsion atteste que c’est bien parce que la pulsion rate toujours son but qu’elle doit se réitérer à l’infini. Ce qui se répète, se produit comme au hasard en rapport avec la tuché, du réel comme rencontre, toujours manquée. La répétition est fondée sur le retour de la jouissance, retour comportant une perte car l’objet est irrémédiablement perdu. La jouissance ici énoncée apparait comme première dans la mesure où c’est le corps qui jouit. Mais elle subit inévitablement l’influence de la parole chez le parlêtre. La jouissance du symptôme n’est pas primaire mais produite par le signifiant par la percussion du signifiant sur le corps. Là où Freud bute sur le reste symptomatique à la fin de l’analyse, Lacan en fait une solution, une trouvaille. L’analyse dit-il dans Le moment de conclure, « ne consiste pas à ce que l’on soit libéré de ses symptômes. L’analyse consiste à ce que l’on sache pourquoi on en est empêtré »[1]. Savoir y faire avec son symptôme, telle est la nouvelle version de l’apprentissage, plutôt inouïe de la fin d’une cure. S. Chiriaco, de conclure :  « nul doute qu’une analyse qui se prolonge suffisamment loin puisse dégager le sujet du pire et à apprendre au mieux à se débrouiller avec les signifiants qui ont fait son destin. »

Ce que l’on apprend dans l’analyse c’est que la pulsion ne se dresse pas alors que le sujet vient souvent en analyse pour essayer de la dresser. Mais alors est-ce que le savoir y faire avec la jouissance serait un dressage de sa propre jouissance au point où on ne pense plus la pulsion ? Le dressage est-il possible alors que la jouissance est déjà là, ne s’agit-il pas plutôt comme le soulignait Virginie Leblanc « de faire tourner le cheval dans le manège »[2] ? Comment un sujet, à partir du trop de la répétition, du choix du même, peut en extraire un savoir ? Nous aurons l’occasion de reprendre ces questions lors des prochaines Journées… Rendez-vous les 25 et 26 novembre !

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXV, Le moment de conclure, séance du 10 janvier 1978.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p.148.




Entrer ou non dans le savoir

Quelque chose me touche chez les élèves qui disent non à l’entrée dans le savoir. L’envie de venir débusquer ce qui les bloque, le désir de savoir y faire me procurent une énergie qui ne s’épuise pas. Enseigner et apprendre est d’abord une affaire de désir et de gourmandise.

C’est pourquoi je commence l’année scolaire par une proposition de travail autour de la cuisine. Ces textes permettent d’abord aux élèves de porter un regard nouveau sur la règle, eux qui ont tant de mal à l’accepter. Ils prennent appui, également, sur du faire. Essentiel pour beaucoup d’enfants dont le corps agité dit tout le rejet qu’ils ont de l’école. On parle de manque de concentration. Certes. Mais que leur proposer ? Et bien nous, nous cuisinons ! Lors de ces ateliers, l’attention des élèves y est toute concentrée, l’exigence soutenue et l’envie d’apprendre vive. On rature, brouillonne, cherche pour écrire la recette et trouver les astuces mathématiques des proportions ou conversions de mesure. On entre dans le savoir par un détour qui prend du temps mais fait sens pour l’élève.

Pour donner le goût de mots justes, la littérature n’a pas son pareil. Les rencontres entre les élèves et un auteur sont parmi les plus belles trouvailles. L’entrain et l’engagement des élèves dans ce type de projet sont très surprenants. Ils veulent lire et se posent des questions ! Pourquoi et comment on écrit ? Comment l’auteur a-t-il fait pour que je comprenne, ressente cela. Le jour de la rencontre est toujours un moment de classe exceptionnel, extrêmement vivant. Le désir d’apprendre s’est articulé au désir d’un autre, à une rencontre. Apprendre, c’est aussi une histoire entre deux désirs qui créent souvent la surprise et l’inédit.

Il y a plusieurs années, j’accueille Rayanne, en très grande difficulté scolaire. Je m’étonne en l’observant jouer au foot pendant la récréation. Quel talent ! Le foot, c’est sa passion et il y excelle. En début d’année, je reçois l’élève et la maman. Sa mère me dit « si ça continue, il va arrêter le foot. Le papa n’est pas d’accord mais l’école, c’est trop important. Est-ce que vous croyez qu’il doit faire moins d’entraînements ? ». Je me tourne vers l’enfant et m’adresse à lui : « j’ai bien remarqué ton regard quand le ballon frôle tes pieds : ces étoiles, j’aimerais tellement les voir quand tu es en classe ». Quelque chose d’inédit se produit. Il se redresse et fixe bien droit son regard dans le mien, me sourit et me répond : « Moi aussi ». J’y vois un moment inaugural, une alliance entre nous deux qui ne lâchera pas. Il ne cessera ensuite de me surprendre. Je me rappelle le voir griffonner sur son ardoise des nombres et des calculs jusqu’à trouver la solution. Que s’est il passé au juste ? Je serais bien incapable de le dire. Mais j’ai une conviction : cet enfant a attrapé quelque chose de mon désir, comme moi du sien.

Pourquoi, dès lors, ne pas commencer par partir de l’intérêt de l’élève, de sa vie et progressivement amener vers les ruptures nécessaires pour accéder à certains savoirs ? Faire la classe, c’est prendre au rebond la parole d’un élève, s’y arrêter et prendre au mot ce qu’il dit. Les conseils de classe, réunions hebdomadaires pendant lesquelles nous parlons, débattons, choisissons sont toujours très investis par les enfants. Quelque chose leur permet de s’y constituer comme auteur et les engage à peser et poser leur responsabilité. Quand l’un d’eux nous parle de sa grand-mère qui ne reconnaît plus les rues autour de l’école, nous l’invitons en classe, apprenons l’histoire locale et améliorons la carte géographique du quartier. Apprendre, pas seulement avec un cerveau, mais aussi avec son histoire et la fierté de ses racines. Quand l’un d’eux nomme le buldozer qui détruit la tour qu’il habitait « le tractozore », nous inventons d’autres mots et instituons une brigade d’intervention poétique pour animer ce quartier d’un peu de sens et de symboles. Apprendre, avec ses peurs et ses inventions. Apprendre comme si nous jouions à la vraie vie.