Trois questions à Geneviève Cloutour-Monribot, directrice du CPCT adolescents en Aquitaine.
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Avec ce numéro spécial, nous nous orientons vers le prochain congrès de l’AMP à Barcelone[1], notamment à travers la pratique des CPCT. Car s’il est possible pour ceux qui le souhaitent de rencontrer gratuitement un analyste au CPCT, une recherche s’y invente également chaque jour. Une exploration clinique au plus près de l’expérience des parlêtres qui, pour supporter le réel en jeu sur la scène du monde, se soutiennent de leurs symptômes.
Ce travail rencontre les changements de la subjectivité contemporaine dans le contexte d’une civilisation qui fait de la normalité un signifiant maître et pose logiquement question d’une folie sans grand délire, sans hallucination, faite de bizarreries, de styles de vie proches de celui de tout le monde. Pourtant, s’il est en phase avec l’époque, le travail engagé autour de la psychose ordinaire interroge des praticiens de notre champ. Alors que nous invitions des collègues à participer à ce numéro, plusieurs d’entre eux ont fait part de difficultés. Faisaient-ils vraiment usage de cette catégorie ? Si celle-ci avait permis d’affiner des repères structurels, avait-elle encore le tranchant de l’outil ajusté à l’acte du clinicien ?
Pour nous orienter, relisons ce que Jacques-Alain écrit à propos de ce concept forgé lors d’une série de conversations frayant la voie à une nouvelle approche de la psychose[2]. Pour se dégager d’un standard clinique faisant de la forclusion du Nom-du-Père un syntagme indépassable, l’attention avait été portée, lors de ces conversations, à des signes discrets indexés notamment sur le corps du sujet, son rapport à l’Autre social qui ne référaient pas à la structure spécifique de la névrose. En cela, précise quelques années plus tard J.-A. Miller, la psychose ordinaire est « une catégorie plus épidémique qu’objective[3] ».
Finalement, les points de butée relevés par les praticiens viennent souligner que la psychose ordinaire « est le nom donné à un programme de travail, à une enquête, à une orientation, jusqu’à ce que nous sachions à quoi nous avons à faire. Et, peut-être, viendra-t-il un jour où le mot psychose sera tellement étranger à l’esprit du temps qu’il nous faudra parler de délires ordinaires (…) [4]», écrivait Éric Laurent.
Délires ordinaires, n’est-ce pas ce qui se construit en divers lieux de la civilisation ?
Les cas rassemblés, dans ce numéro, présentent des sujets plongés dans les discours de l’époque, pseudo scientifiques ou empreints de religion, des sujets parlants parfois pétrifiés sous certains signifiants. La pratique clinique, au CPCT, fondée sur le discours analytique qui subvertit le discours du maître, opère au un par un, pour vivifier ces signifiants, les désamorcer et offrir au sujet une chance de se nouer à l’Autre.
[1] « Les psychoses ordinaires et les autres », congrès de l’AMP à Barcelone, du 2 au 6 avril 2018.
[2] C’est lors de la troisième conversation que le terme apparaît. Jacques-Alain Miller « Clinique floue », in Collectif, La psychose ordinaire, Paris, Agalma/Le Seuil, 1999, p. 230, cité dans l’ouvrage de Dossia Avdelidi, La psychose ordinaire – La forclusion du Nom-du-Père dans le dernier enseignement de Lacan, Rennes, P.U.R., 2016, p. 229
[3] Jacques-Alain Miller, « Effets retours du la psychose ordinaire », Quarto n°94-95, p. 42.
[4] Eric Laurent, La psychose ou la croyance radicale au symptôme », Mental n°29, p. 72
(…) La psychose ordinaire n’a pas de définition rigide. Tout le monde est le bienvenu pour donner son sentiment et sa définition de la psychose ordinaire. Je n’ai pas inventé un concept avec la psychose ordinaire. J’ai inventé un mot, j’ai inventé une expression, j’ai inventé un signifiant, en donnant une esquisse de définition pour attirer les différents sens, les différents reflets de sens autour de ce signifiant. Je n’ai pas livré de savoir-faire sur l’utilisation de ce signifiant. J’ai fait le pari que ce signifiant pouvait provoquer un écho chez le clinicien, le professionnel. Je voulais qu’il prenne de l’ampleur et voir jusqu’où cette expression pouvait aller.
J’étais inspiré par ce que Lacan avait fait avec la passe. Vous savez ce qu’il appelait la vraie fin de l’analyse, « La passe ». Mais il n’en donna qu’une définition esquissée, parce qu’il ne voulait pas que les gens l’imitent. Si vous dites que vous pouvez reconnaître la fin d’une analyse quand le sujet fait ceci ou dit cela, tout le monde va le faire immédiatement. C’est le cas à l’université. Si vous avez besoin d’une note, vous devez dire les choses d’une certaine manière et dans un certain style. Et donc les gens s’y conforment et vous vivez dans un monde d’ombres, une « Ville fantômes », comme dans l’article de Jean-Louis Gault[2] des gens qui imitent ce qu’ils sont supposés être. Je dois vous avouer que l’Université est une cité de fantômes avec des gens qui imitent ce qu’ils sont supposés être. Lacan donna seulement une esquisse de définition de la passe et proposa qu’on expérimente pour voir, une fois le moment ainsi défini, ce qui apparaîtrait, ce à quoi les gens contribueraient. Je voulais faire quelque chose de ce genre avec la psychose ordinaire. Et je crois que cela a attiré le sens en puissance. Beaucoup de gens sont venus après pour dire : « Je connais un cas de psychose ordinaire ! ». Si nous tentons d’en donner une définition, c’est donc une définition après-coup.
La clinique binaire et le tiers-exclus
Je peux à présent réfléchir sur la raison pour laquelle j’avais senti la nécessité, à l’époque, l’urgence et l’utilité d’inventer ce syntagme – psychose ordinaire. Je dirais que c’était pour esquiver la rigidité d’une clinique binaire – névrose ou psychose.
Vous savez que chaque signifiant est fondamentalement défini, dans la théorie de Roman Jakobson – qui est une vielle théorie à présent – par sa position en relation à un autre signifiant ou à un manque de signifiant. L’idée de Jakobson est une définition binaire du signifiant. Des années durant, j’ai remarqué que nous avions essentiellement une clinique binaire – névrose ou psychose. Un « ou bien, ou bien » absolu. Nous avions aussi la perversion, mais elle ne pesait pas de la même façon dans la balance, essentiellement pour la raison que les vrais pervers ne s’analysent pas vraiment et que donc, ceux que vous rencontrez en analyse, sont des sujets présentant des traits pervers. La perversion est un terme contestable qui a été mis en déroute par le mouvement gay. Cette catégorie tend à être abandonnée.
Ainsi notre clinique avait un caractère essentiellement binaire. Résultat : durant des années, on voyait des cliniciens, des analystes, des psychothérapeutes se demander si leur patient était névrosé ou psychotique. Lorsque vous receviez ces analystes en contrôle, vous pouviez les voir revenir, année après année, parler de leur patient x et si vous leur aviez demandé : « Avez-vous vous décidé s’il est névrosé ou psychotique ? », ils auraient dit : « Non, je n’ai pas décidé pour le moment. » Et ça continuait ainsi pendant des années. Ce n’était clairement pas une façon satisfaisante de considérer les choses.
C’était clairement une difficulté dans les cas d’hystérie. Lorsque dans l’hystérie, il n’y a pas d’identification narcissique au corps propre « suffisamment bonne » – ce « suffisamment bonne » est un terme winnicottien que j’aime beaucoup – parce que dans l’hystérie vous avez souvent quelques marques d’une certaine absence du corps, d’une certaine déroute avec le corps, alors vous pourriez vous demander si cette déroute va jusqu’au point de ne plus relever de l’hystérie mais, en fait, de la psychose. Vous voyez ainsi des gens qui essayaient, pendant des années, de décider de quel côté étaient leurs patients. Ou bien si vous aviez des sujets témoignant du vide qu’ils éprouvent en eux, vous pouviez vous demander si ce vide n’est pas hystérique. Est-ce le sujet barré qui renvoie au rien dans la névrose ? Ou est-ce le vide psychotique, le trou psychotique ? Si bien qu’année après année, malgré la différenciation supposément absolue entre la névrose, sur la base de la forclusion du Nom-du-Père – vrai crédo lacanien : « Je te baptise névrosé s’il y a du Nom-du-Père, je te baptise psychotique s’il n’est pas là. » – certains cas avaient l’air d’être entre les deux. Et cette frontière a fini au fil du temps, dans le contrôle et dans la pratique, par s’épaissir. Une épaisseur croissante comme celle que vous attrapez autour de la taille ! (…)
Donc, il y avait quelque chose qui n’allait pas bien parce que, si c’était une névrose, ce n’était pas une psychose et que, si c’était une psychose, ce n’était pas une névrose.
La psychose ordinaire était une façon d’introduire le tiers exclus par la construction binaire, tout en le reliant, en même temps, à la position du côté droit de la binarité.
C’était une façon de dire que, par exemple, si vous aviez eu depuis des années des raisons de douter de la névrose du sujet, vous pouvez parier qu’il est plutôt un psychotique ordinaire. Quand c’est de la névrose, vous devez le savoir ! C’était la contribution de ce concept de dire que la névrose, ce n’est pas un fond d’écran (wallpaper). La névrose est une structure très précise. Si vous ne reconnaissez pas la structure très précise de la névrose du patient, vous pouvez parier ou vous devez essayer de parier que c’est une psychose dissimulée, une psychose voilée.
Il n’est donc pas sûr que la psychose ordinaire soit une catégorie objective. Vous avez à vous demander si c’est une catégorie de la chose-en-soi. Pouvez-vous dire que la psychose ordinaire existe objectivement dans la clinique ? Ce n’est pas sûr. La psychose ordinaire intéresse votre savoir, votre possibilité de connaître quelque chose du patient. Vous dites : « psychose ordinaire » quand vous ne reconnaissez pas de signe évident de névrose et, ainsi, vous êtes conduit à dire que c’est une psychose dissimulée, une psychose voilée. Une psychose difficile à reconnaître telle quelle, mais que je déduis de petits indices variés. Il s’agit davantage d’une catégorie épistémique qu’objective. Cela concerne notre manière de la connaître.
[1] Extrait de l’article de Jacques-Alain Miller, « Effets retours du la psychose ordinaire », Quarto n°94-95, pp.. 40-51.
[2] Gault J.-L., « L’envers de la famille », Quarto n° 94-95, pp. 66-71.
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