L’inconscient et la transformation du corps parlant

Dans un retour à Freud, au tranchant de sa découverte  – il y a en moi, plus fort que moi, un point brûlant dont je ne veux rien savoir – Lacan impose une nouvelle topologie qui rompt avec « l’inconscient de papa » des post freudiens. L’inconscient n’est plus enfoui dans les dessous du logos mais s’adjoint à un corps parlant et jouissant pris dans un lien social avec d’autres. Il est politique « c’est le transport de l’inconscient hors de la sphère solipsiste pour le mettre dans la Cité, le faire dépendre de ‘L’histoire’(1). ». Pourtant, cette trouvaille signifiante géniale de Freud demeure. L’inconscient. Comment vibre-t-il aujourd’hui pour les analysants et les analystes ? Pourquoi persistent-ils à en faire usage à une époque qui semble plus indexée à un pousse à jouir à ciel ouvert qu’au refoulement ?

Sans doute est-ce en raison de la force poétique de ce concept qui a résonné au colloque de la New Lacanian School. « La poésie, c’est le forçage par où un psychanalyste peut faire sonner autre chose que le sens(2) » disait Lacan. Les cliniciens, venus de différents pays, pour exposer leurs pratiques, ont témoigné de ce forage de l’inconscient qui dissout les articulations construites autour du sens, afin d’approcher toujours plus près d’une jouissance indicible. L’inconscient est « Ce trou, ce volcan que l’on peut approcher sans y disparaître par l’amour de transfert (3)». Dans cette brèche, un signifiant crée une duplicité par l’équivoque s’ajoutant au trauma du signifiant premier qui a creusé l’empreinte de LOM dans le monde. Si Freud a fait surgir une Autre scène, c’est pour que puisse s’y voiler l’innommable. De condensations en métonymies, la réponse du réel se pare des masques de l’Autre et de ses labyrinthes. Pourtant, dans la clinique contemporaine, l’inconscient, pour distiller ses vérités, n’en passe pas forcément par ce théâtre étrange. Lors de la session du dimanche matin, ainsi que l’a souligné Jacques-Alain Miller, Susana Huler a déplié la la logique d’une cure qui se déroule sans formation de l’inconscient. Le dispositif favorise un appareillage à l’Autre qui ébranle une identification mortifère et donne chance au sujet de trouver des prises signifiantes nouvelles. Georges Perec écrivait à propos de son analyse, que les rêves qu’il rapportait en séance, avaient été « rêvés pour être des textes, qu’ils n’étaient pas la voie royale que je croyais qu’ils seraient, mais chemins tortueux m’éloignant chaque fois davantage d’une reconnaissance de moi-même(4) ». L’inconscient, entre chiffrage et déchiffrage, permet d’ébranler les mirages du moi et de la fausse unité dans laquelle l’homme croit car « il croit que (son corps) il l’a. En réalité, il ne l’a pas mais son corps est sa seule consistance- consistance mentale bien entendu.(5) ». Dans ce corps s’appareille alors différemment la jouissance jusqu’à la satisfaction de la fin d’analyse. Par ses interprétations, l’inconscient trace les voies mystérieuses de la transformation du corps parlant dans l’expérience analytique et c’est ce que ce nouveau numéro d’Hebdo blog se propose d’explorer aujourd’hui.

1 Miller J.-A.,, « Intuitions milanaises »., Mental n°11 – 2002, p. 1

2 Lacan, Le Séminaire, « L’insu que sait de l’une-bévue », années 76-77, inédit.

3 Pierre Gilles Gueguen, « Surprises de l’inconscient : en passer par le déchiffrage », deuxième ponctuation, Autour de l’inconscient, 29&30 avril 2017.

4 Georges Perec « Les lieux d’une ruse », Penser, classer, Paris, Seuil, 2003, p. 70.

Ibid., p. 67Ibid, p. 70

5 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome (1975-1976), texte établi par J.-A. Miller, Paris, seuil, coll. Champ Freudien, 2005, p.66.




Une belle rencontre

La New Lacanian School est l’une des sept École de l’AMP. La particularité de cette École est qu’elle est organisée en sociétés situées essentiellement dans différents pays et régions d’Europe, voire plus largement. La NLS est présente en Flandre, en Bulgarie, en Angleterre, en Irlande, en Suisse, en Pologne, en Russie, en Grèce, au Danemark, mais aussi au Canada, en Australie, aux USA et en Israël. Les langues officielles pratiquées sont l’anglais et le français.

Les Congrès ont à chaque fois été organisés dans les différents pays de la NLS, par l’une de ses sociétés. Cette année, le Congrès de la NLS a eu lieu à Paris. Paris, ville de Lacan, ville où Lacan a enseigné, a interprété Freud et l’a dépassé. Ce dépassement se lit dans le jump qu’il fait lorsque, comme le souligne Jacques-Alain Miller, il passe de Freud à Joyce, soit lorsqu’il passe de l’inconscient transférentiel de Freud qui pend appui sur le Nom-du-Père à l’Unbewusst qui le dépasse et s’en passe.
C’est ce jump que la NLS voulait mettre en évidence cette fois lors de ce Congrès. C’était le pari que voulait tenir sa présidente.
Son titre, « Autour de l’inconscient », et son sous-titre, « Place et interprétation des manifestations de l’inconscient dans les cures psychanalytiques », que Lilia Mahjoub a proposé, prolonge logiquement les travaux du dernier Congrès de l’AMP « L’inconscient et le corps parlant ». C’était son idée. Bonne idée. À cet égard, Jacques-Alain Miller lui faisait remarquer que le dernier Congrès de l’AMP avait beaucoup traité du corps dans les exposés, mais peu de l’inconscient.
Dans la conclusion de son argument, Lilia Mahjoub faisait valoir ceci : « Le titre retenu “Autour de l’inconscient” pointe-t-il ce trou autour duquel se produisent les formations de l’inconscient, lesquelles devraient varier au fur et à mesure de l’élaboration, de l’élucidation de l’inconscient ? Un rêve de début d’analyse ne devrait pas être du même ordre que celui d’une fin d’analyse. Dès lors, il s’agira d’interroger les formations de l’inconscient dans les cures analytiques ». Les intervenants à ce Congrès ont répondu à cette attente. Tous les AE spécialement, à leur façon, se sont approchés de ce trou, mettant en évidence, en quelques mots seulement, véritables tour de force, pressant le citron de leurs longues années d’analyse, l’os de leur analyse, soit le rêve, l’acte manqué, l’événement de corps, l’Unbewusst, véritable feu d’artifice de manifestations de l’inconscient qui leur a permis de reconstruire le point de capiton de leur parcours analytique.
Le Congrès fut une formidable leçon clinique que nous ont donnée tous les intervenants. Chacun, s’appuyant sur sa pratique, a tenté de répondre à la question de savoir que fait l’analysant, au cas par cas, de ses manifestations de son inconscient, et ce qu’en fait l’analyste.
Chaque séquence s’enchaînait l’une à l’autre par une scène cinématographique unique en son genre. C’était parfois à mourir de rire. Cela mettait de la légèreté dans l’air de la salle. Un véritable plaisir.
Ce congrès a été pensé dans le détail. L’accueil a été très convivial. Pas de couac. Des moments de rencontres permettaient que les membres de la NLS, habitant souvent à des milliers de kilomètres les uns des autres, de l’Australie au Canada, en passant par Israël et le Danemark, puissent se parler dans des chaleureux moments polyphoniques.
Quelques participants, membres de la NLS, m’ont écrit. Je ne résiste pas au plaisir de publier leurs quelques lignes.

Jean-Luc Monnier m’écrit ceci :
« Je connais la NLS depuis ses débuts et avant elle l’EEP-D, c’est toujours avec un immense plaisir que je vais à la rencontre des collègues des groupes et  des sociétés qui la composent. De langues psychanalytiques multiples nous sommes passés à une seule langue : la langue d’orientation lacanienne qui traverse maintenant cette sorte de nouvel ensemble trans-national qu’est la NLS.
Toutes les séquences étaient enseignantes, mais ce qui a réellement changé c’est le fait que la passe est maintenant au centre de la NLS, c’était vraiment perceptible plus que d’habitude, cette fois-ci, m’a-t-il semblé. Il y a maintenant un centre de gravité, la passe et c’est ce qui donne à mon sens l’impression d’École que l’on ressent.
De surcroît le moment politique noué au forum qui s’est tenu la veille au soir a à mon sens modifié le sentiment “d’être ensemble”, et rapproché encore chaque membre de la communauté NLS. Tous les collègues avec qui j’ai échangé m’ont parlé de ce qui se passait en France, Le Pen, l’extrême droite aux portes du pouvoir et surtout la haine. »

Susana Huler m’a écrit ce qui suit :
« The congress has been an encounter of the ways we live psychoanalysis and the ways we investigate its effects and developments. We have been able to enjoy ourselves (for instance with the marvelous wit of Jacques Alain Miller) and at the same time think seriously about our work. For me the punctuation of Pierre Gueguen was a particular epistemic moment: I liked very much his use of the concept of real unconscious in the psychosis. »

Voici ce qu’en pense Anna Pigkou :
« Animé par le désir de Lilia Mahjoub d’accueillir chaleureusement la NLS dans la ville de Lacan et la volonté des Forums d’ouvrir la conversation sur « lm-monde », le congrès 2017 “Autour de l’inconscient” restera dans nos esprits comme la ponctuation épistémique nécessaire nous permettant de mieux affronter les divers enjeux cliniques et politiques qui font le quotidien des pays de notre École. »
Oui, ce Congrès fut réussi. Très réussi. Tant sur le plan épistémique que sur le plan de la convivialité. Ce fut une Rencontre. Un belle rencontre.




« L’inconscient, c’est la politique »

Cette thèse, qui serait abrupte, absurde, qu’on se permet d’écarter d’un revers de main… je suis parti à Milan, énervé par cette désinvolture à l’endroit de cette formule qui, elle, est plus modeste que la première(1) puisqu’elle propose une définition de l’inconscient. C’est ainsi, chez Lacan, et c’est beaucoup plus raisonnable. L’inconscient, on sait si peu ce que c’est, il est si peu représentable que c’est invraisemblable et très risqué de définir quoi que ce soit à partir de l’inconscient : au contraire, c’est toujours lui, l’inconscient, qui est à définir, parce qu’on ne sait pas ce que c’est. Aussi n’est-il jamais chez Lacan, le definiens, mais toujours le definiendum. Prenons la formule « l’inconscient est structuré comme un langage ». C’est une thèse qui suppose que l’on dispose de la définition du langage et en effet Lacan utilise celle que Saussure et Jakobson ont produite. Sans doute n’y-a-t-il pas le « comme » dans l’énoncé que je commente aujourd’hui, alors, ce qu’on doit se demander, c’est comment définir la politique, si bien qu’il y a un sens à dire que l’inconscient c’est la politique.

Ce qui m’a amusé c’est qu’après être tombé sur ce commentaire irritant j’ai ouvert un second livre récent La démocratie contre elle-même, d’un politologue, qui, sans doute, a lu Lacan, Marcel Gauchet, et je suis tombé sur une définition de la politique : « C’est en cela que consiste spécifiquement la politique : elle est le lieu d’une fracture de la vérité ». Belle définition, à la fois infiltrée de lacanisme et peut-être, en-deçà, d’une certain merleau-pontysme, « fracture » est un mot qu’aime cet auteur et l’on trouve aussi chez lui, dans un ouvrage de 1992, l’expression de « fracture sociale », reprise en 1996 et tombée sous les yeux d’une figure de la politique française, que ce signifiant a portée assez loin…
Au départ, c’est un politologue plutôt lacanoïde qui définit la politique comme un champ structuré par S de grand A barré, où le sujet fait, dans la douleur, l’expérience que la vérité n’est pas une, que la vérité n’existe pas, et que la vérité est divisée. Et c’est une définition de la politique qui a toute sa virulence dans le moment que nous vivons, moment qui est tout de même dans l’ensemble un moment « post-totalitaire » – je mets des guillemets – dans lequel nous sommes entrés depuis 1989 avec la chute du Mur de Berlin, à laquelle tout le monde n’a pas applaudi, d’ailleurs.
Je ne valide pas nécessairement cette catégorie, le totalitarisme, qui a servi à une propagande politique pendant le vingtième siècle. Le totalitarisme a été un bel espoir, il a enchanté les masses du vingtième siècle, ce dont nous autres, qui sommes du vingt-et-unième, avons presque perdu le souvenir. Il était l’espoir de résorber la division de la vérité, d’instaurer le règne de l’Un en politique, conformément au modèle de la Massenpsychologie. Au niveau de cette aspiration à la concorde, l’harmonie, la réconciliation, le totalitarisme est impeccable, tels que ses termes résonnent dans le discours du Président Schreber.

Alors, le triomphe de la démocratie, qui a le vent en poupe dans l’esprit du temps, au moins dans une bonne partie du globe, – évidemment le cas chinois est un peu à part, on me signale l’apparition, là-bas, d’une nouvelle pathologie, les morts par excès de travail, dans un espace où le mot « syndicat » serait une idée neuve – ne génère pas le même enthousiasme et même il se mesure à un effet dépressif ; il le comporte, dans la mesure où il implique un consentement à la division de la vérité, division qui prend la forme objective des partis politiques engagés dans une contradiction insoluble, puisque la vérité est vouée à être divisée.
Ce que M. Gauchet dit avec un lyrisme digne de Merleau-Ponty : « Dorénavant nous savons que nous sommes voués à rencontrer l’autre sous le signe d’une opposition sans violence mais aussi sans retour ni remède. Je trouverai toujours en face de moi non pas un ennemi qui veut ma mort mais un contradicteur. Il y a quelque chose de métaphysiquement terrifiant dans cette rencontre pacifiée » – j’aime bien ce lien entre terreur et pacification – la guerre se gagne, dit-il, alors qu’on n’en a jamais fini avec cette confrontation.
D’où l’idée paradoxale que la pacification de l’espace public va de pair avec une douleur privée, intime, subjective, et que, dans le même temps où l’on célèbre les vertus du pluralisme, de la tolérance et du relativisme, on fait l’expérience d’une vérité, je cite, « qui ne s’offre que dans le déchirement ». Il restera à reconsidérer néanmoins l’abord qui est fait ici de la politique comme une affaire de toi ou moi.
La définition de l’inconscient par la politique va donc très profondément dans l’enseignement de Lacan. « L’inconscient, c’est la politique » est un développement de « l’inconscient, c’est le discours de l’Autre ». Ce lien à l’Autre, intrinsèque à l’inconscient, est ce qui anime depuis son départ l’enseignement de Lacan. C’est la même chose quand on précise que l’Autre est divisé et qu’il n’existe pas comme Un.
« L ‘inconscient, c’est la politique » radicalise la définition du Witz, du mot d’esprit comme processus social qui trouve sa reconnaissance et sa satisfaction dans l’Autre, en tant que communauté unifiée dans l’instant de rire.

(…) L’inconscient est politique

L’analyse freudienne du Witz justifie Lacan d’articuler le sujet de l’inconscient à un Autre, et de qualifier l’inconscient comme transindividuel. On peut passer de « l’inconscient est transindividuel » à « l’inconscient est politique » dès lors qu’il apparaît que cet Autre est divisé, qu’il n’existe pas comme Un.
De ce fait, « l’inconscient, c’est la politique » ne dit pas du tout la même chose que « la politique c’est l’inconscient ». « La politique c’est l’inconscient » est une réduction, et quand Lacan formalise le discours du maître, il dit en même temps que c’est le discours de l’inconscient, et ce faisant il amène une clé à de nombreux textes de Freud. Tandis que « l’inconscient c’est la politique » est le contraire d’une réduction, c’est une amplification, c’est le transport de l’inconscient hors de la sphère solipsiste pour le mettre dans la Cité, le faire dépendre de « L’histoire », de la discorde du discours universel à chaque moment de la série qui s’en effectue.

 Extrait d’ « Intuitions milanaises », publié dans Mental n°11. Texte qui reprend le cours de Jacques-Alain Miller du 15 mai 2002, « L’orientation lacanienne », Département de psychanalyse, Université Paris VIII.

1 Thèse énoncée p. 11 : « La politique c’est l’inconscient ».




L’inconscient, une boule dans un jeu de quilles ?

« Tirez sur le fil, osez tirer, vous détricoterez le voile qui dissimule de belles surprises ». Après Dublin l’année dernière, nous nous retrouvons pour le Congrès de la New Lacanian School, au cœur de la capitale ; Son affiche y intègre son thème « Autour de l’inconscient- Place et interprétation des formations de l’inconscient dans les cures psychanalytiques ». Elle présente l’œuvre de la photographe Nathalie Rodach(1) qui expose à sa façon singulière l’enjeu du congrès : « je raconte des histoires. Interrogeant le rapport de l’Homme à son destin, tout est prétexte à résonner. […] La vie qui nous traverse, celle que l’on décide et les maillages qui nous retiennent. Je tisse des liens entre le spirituel, l’organique et le trivial. J’explore des chemins de vie, brode les interrogations de la femme et de l’homme, du passage des saisons, la fuite, la magie des rencontres(2) ». Alors suivons l’artiste en tirant le fil rouge autour de l’inconscient et entrons au cœur même de la découverte freudienne pour ce congrès avec son parterre de surprises inédites, sa vivacité telle la fulgurance des formations de l’inconscient, ces ratés mis à l’honneur.
Ce congrès, avec brio, a donné et mis en exergue cette interrogation majeure de la psychanalyse à partir de l’hypothèse de l’inconscient faite par le génie de Freud. Nous avons pu y entendre au cas par cas combien pour l’orientation lacanienne, analyste et analysant ne sont pas des termes exclusifs, bien au contraire !
Dans les entours du trou, zone où la jouissance est à l’état libre, à partir de la faille de l’inconscient, les démonstrations cliniques ont témoigné avec finesse de l’impossible de dire les mots et les choses. Ainsi les quatre séquences cliniques du samedi – Rêve et une-bévue, les Surprises de l’inconscient, les court-circuit de l’inconscient, L’inconscient interprète vs l’interprétation produit l’inconscient- mais aussi de la Conversation clinique animée pour notre plus grand bonheur par Jacques-Alain Miller ; échanges foisonnants, éclairants et riches autour de la clinique, celle de la psychose ordinaire revisitée à partir de cas où les failles, les ratages mettent en lumière comment le registre de l’inconscient se produit aux confins des mots et des corps des parlêtres. Les séquences illustraient magistralement qu’il n’y a d’inconscient que chez l’être parlant, qu’un rêve, un lapsus n’est pas le réel mais un matériau pour appréhender le réel. Relevons une phrase d’un débat clinique extraite du séminaire II de Lacan portant sur la perversion foncière du désir humain. Elle a particulièrement éveillé l’intérêt de Jacques-Alain Miller et le nôtre : La perversion humaine-, c’est jouir de son propre désir. Le passage à l’acte comme venant à la place de l’inconscient- le réel se presse poussant le sujet au-delà de lui-même- la disparition du sujet pour devenir autre à lui-même, a été porté en contrepoint avec l’acting out comme demande d’interprétation recelant l’inconscient en souffrance.
Ce congrès a opéré un véritable nouage d’orientation lacanienne entre apports cliniques, conceptuels, politiques mais aussi éthiques. Il a constitué un véritable phare de notre clinique lacanienne exposée dans ces différentes séquences où les divins détails de chaque cas ont été mis en exergue. Nous avons ainsi tourné autour de l’inconscient à la manière moëbienne, telle une structure de bord, de béance. J.-A. Miller(3) a énoncé une thèse ferme rendant compte de l’enjeu des échanges cliniques : pour Lacan, l’inconscient est la découverte de Freud « qui fait trou dans le discours universel ».
Enfin, le congrès se clôt sur un véritable feu d’artifice des formations de l’inconscient par les Analystes de l’École ! Rappelons cet énoncé de Lacan : « je n’ai jamais parlé de formation analytique. J’ai parlé des formations de l’inconscient(4) ». Nos neuf AE dans une énonciation vive et rigoureuse ont démontré ce dire de Lacan : « La clinique psychanalytique doit consister non seulement à interroger l’analyse, mais interroger les analystes, afin qu’ils rendent compte de ce que leur pratique a de hasardeux, qui justifie Freud d’avoir existé(5) ». Le désir de l’analyste n’est pas un désir pur(6) mais un désir averti(7) Pari tenu. Produit de sa propre cure, il opère à partir de restes symptomatiques. Mais ces restes relèvent-ils encore de l’inconscient ? Vérité versus réel ; A partir de la rencontre d’un réel qui se dérobe et où vient se loger la jouissance, Éric Laurent en donne un commentaire éclairant à partir de la singularité de chaque AE : on n’arrive pas à faire la carte de la jouissance, la seule façon, c’est le trou.
Enfin, ce congrès est politique face aux nombreuses tentatives pour éradiquer la psychanalyse avec le maître à tout évaluer. Ici, place a été donnée avant tout à la politique du symptôme hors norme ; la clinique ne rentre pas dans les cases préformées par le discours du maître. Les entours des dits et des dires, autour de l’inconscient, en est la preuve en acte. Mais aussi faisant suite au grand forum inoubliable anti-haine la veille même dans ce même lieu, la phrase de Lacan, L’inconscient c’est la politique a été mise à l’honneur, séquence après séquence, indiquant qu’il tient avant au lien social.
Comment fonctionne l’inconscient ? Et à quoi sert l’inconscient ? Une réponse se déduit de ces deux journées de congrès : – Il sert à la satisfaction pulsionnelle, il sert pour la jouissance. Le vouloir jouir pulsionnel de l’inconscient, ce x dans le réel tel « une boule dans un jeu de quilles » n’a pas fini de nous surprendre.

1 Les passages, scanner, livre I.

2 Extrait du site : http://www.rodach.com/biographie/

3 Miller, J.-A., « L’inconscient réel », Quarto n° 88-89, Décembre 2006, p.6.

4 Lacan, Jacques, intervention au congrès de la Grande Motte le 3 novembre1973, Lettres de l’École freudienne de Paris, 1975.

5 Lacan, Jacques, « Ouverture de la Section clinique », 1977

6 Lacan, Jacques, Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 248.

7 Lacan, Jacques, Le Séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 347.




Une Europe des formations de l’inconscient

Si le cœur politique de la psychanalyse est la condition pulsatile de l’inconscient, Freud a légué à ses successeurs une tâche, celle de ne jamais cesser d’interroger ce qu’est l’inconscient à chaque moment du malaise dans la civilisation. Lacan s’est mis dans les pas de cette discontinuité, celle de la faille mais aussi de la trouvaille allant jusqu’à la fin de sa vie, à s’en expliquer semaine après semaine dans son séminaire, à chercher à en formaliser des accroches inédites en structurant les nœuds borroméens.

Le XVe Congrès de la Nouvelle École Lacanienne de Psychanalyse en a présenté une approche rigoureuse et renouvelée à travers l’organisation dynamique précise et scandée des 29 et 30 avril : comment les formations de l’inconscient se construisent en variant tout au long d’une cure, en fonction de l’opération interprétative d’un analyste ?

Le samedi, c’est à travers quatre séries de tables rondes de cas longuement déployés et discutés que le matériel des formations de l’inconscient s’est déployé dans l’exposition de ses formes singulières. La première à partir du rêve fût scandée par la ponctuation de Sophie Marret-Maleval, sur l’ombilic du rêve, la deuxième sur les surprises de l’inconscient, scandé par Pierre-Gilles Guegen, …en passer par le déchiffrage, la troisième, sur les courts-circuits de l’inconscient, ponctuée par François Ansermet sur l’acte ou l’inconscient ? La quatrième l’interprétation produit l’inconscient, scandé par Philippe La Sagna : L’inconscient sait écrire.

Le vouloir jouir pulsionnel, crève en permanence l’écran des images, ça – trou de l’inconscient, du « non-réalisé  – se faufile entre les mot ; la jouissance ne s’évoque, ne se troque que dans les surprises des failles, des équivoques, des ratés. Les mots qui blessent, les postures défensives, l’analysant s’essaye à en déchiffrer le chiffrage de jouissance, pas sans les ponctuations d’un analyste, les deux tissant, provoquant remaniement, déplacement, dissolution pour appareiller autrement la jouissance de corps dans le langage.  Les parlêtres sont produits de la langue qui s’en jouit de manière variable.

Le dimanche, deux séries de conversations animées par Jacques-Alain Miller, ponctuées par 4 discutants. La première série sur l’impossible du rapport sexuel : le trou recouvert par l’imaginaire, et la femme fatale à elle-même ; la deuxième série, autour des cauchemars et de l’angoisse. Analyse longue, complexe, jouissances scénarisées en trio, dans des cauchemars, ce sujet y calcule une position qui risque toujours de disparaître : l’homme qui fond. Pour le dernier cas, le réel affleure, angoisse de mort précoce et la difficulté de construire un bord transférentiel qui barrerait la jouissance de la disparition.

Dernière séquence : la fulgurance des AE. Caroline Doucet : jouer de l’objet voix articulé à la cause analytique ; Fabian Fajnwaks : précarité de la langue et de l’analyste : haïkus ; Hélène Guilbaud : trou du rapport de ce qui ne s’écrit pas, dans la lecture équivoque de l’analyste ; Jérôme Lecaux : la haine comme reste, s’en extraire en la combattant ; Dalila Arpin : rire de son propre aveuglement ; Laurent Dupont : seul au bord du chemin, pas sans rire avec d’autres ; Dominique Holvoet : l’arracheur de temps : Daniel Pasqualin : l’abîme du cache-mire : s’en passer, s’en servir : Dominique Voruz : la chair vivante fait trou dans le savoir des concepts.




Nous n’avons pas tourné en rond !

De retour du Congrès de la New Lacanien School, certaines accroches ne cessent de m’animer.
C’est par la maire de Paris, Anne Hidalgo, femme engagée, amie de la psychanalyse, que nous sommes accueillis. Le Forum “Arme du vote contre le parti de la haine et MLP” de la veille était je crois dans l’esprit de chacun. Qu’il ait eu la possibilité d’y assister ou non. Lilia Mahjoub, Présidente de la NLS, va situer d’emblée ce qui fait notre Nord : « les formations de l’inconscient, ce n’est pas l’inconscient ». Car l’inconscient se loge dans la bévue, la faille, la faillite du sens : la question « qu’est-ce que ça veut dire ? », n’est pas l’énigme du : « qu’est-ce que à dire, ça veut ? » souligne-t-elle.
Et c’est avec le rappel d’un « lapsus d’écriture » réalisé par Lacan, lors de son Séminaire XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue, s’aile à mourre » de 1976-77, que L. Mahjoub illustre le pas du réel. Au terme de sa leçon VIII, l’obscurcie subite qui affecte l’ordre du semblant et de la vérité, du signifiant-maître S1, et du savoir S2, lors de l’écriture du discours analytique sur le tableau noir, révèle une faille. C’est une « bévue heureuse », démontre Lacan lors de la séance suivante, dans la mesure où elle vient supprimer la béance entre S1 et S2, illustrant, par là même, en quoi le symbolique, la recherche de sens, tourne en rond. Tandis que l’ouverture gît dans l’équivoque du S2 : il suffit de connoter le S2 d’un sens double pour que S1 prenne sa place : S2, ce n’est pas seulement le 2e signifiant dans le discours du maître, c’est l’index de l’équivoque.
Première accroche : « Lit-on toujours les rêves de la même façon que Freud ? » demande L. Mahjoub. Ne s’agit-il pas d’opérer, dans ce réservoir de sens qu’offre le rêve, une trouée qui isolerait des S1 propices à conduire le sujet sur la voie de la jouissance ?
Deuxième accroche : inconscient et acte ne sont pas antinomiques, de leurs ratés même, ils (s’) illustrent. Encore faut-il la grâce du transfert, pour atteindre cette percée vers l’inconscient réel, ce que chaque présentation de cure illustre lors de cette première journée, agréablement rythmée. Sans transfert, pas de surprise du sujet d’être Autre à soi-même, lorsque la chute des identifications, au gré des interprétations de l’analyste, fraye l’approche du trou, ponctue Pierre-Gilles Guéguen. Le transfert toujours, nécessaire pour transformer des passages à l’acte, shunt de l’inconscient, en « actes de passages » susceptibles d’offrir une « nouvelle origine » au sujet devenu autre, ajoute François Ansermet qui rapproche « radicalité » de « racine ».
Alors résonne possiblement l’équivoque qui, elle, ne va pas sans l’écriture. C’est ce que la formidable démonstration de Russell Grigg illustre, avec l’analyse de cette jeune fille chinoise, vivant en Australie, dont le symptôme se décrypte à la faveur d’un caractère chinois (dont elle enseigne la graphie à son analyste) lequel inscrira le signifiant-maître révélé dans un double sens.
Loin de se clore sur une boucle, cette première journée reste en suspens. Ainsi que Philippe La Sagna le scande (avec l’appui de François Cheng qui introduisit Lacan aux richesses de la culture chinoise) : « Un tableau fini est un tableau raté. Tendu vers d’autres métamorphoses ».
Le dimanche n’a pas démenti la course de la veille. Energiquement, Jacques-Alain Miller mène la conversation clinique qui nous invite à arpenter des terres dont il souligne les contrastes. La tranquillité des Flandres, où la jouissance sourde sur fond de Nom-du-Père toujours solidement arrimé (exposée par Joost Demuynck) détonne face à l’ambiance contemporaine de « montée au zénith de l’objet (a) » de Tel Aviv, où la belle Nina (dont le parcours analytique est rapporté par Susana Huler) nous fait don de ce slogan féministe (venu des USA) « Pussy says no ! » : marque d’un arrêt dans sa collecte d’hommes maltraitants qui indexait « sa haine de soi » selon son analyste.
Dernière accroche, enfin. Et peut-être la plus surprenante pour moi : alors qu’un florilège de formations de l’inconscient nous est offert par les Analystes de l’Ecole, une formule se distingue : avec la Passe, on devient lecteur de l’inconscient. Un inconscient à peine déguisé dans les rêves d’outrepasse, nous démontre, me semble-t-il, Caroline Doucet. Quelle levée de rideau finale !
Non, nous n’avons pas tourné en rond lors de ces deux journées de travaux de la NLS, où j’ai récolté un désir de tordre et retordre ces agrafes de savoir, et d’autres.




Les métamorphoses de l’inconscient

A travers les cas cliniques, les ponctuations théoriques ainsi que les témoignages de cure, le XIème congrès de la New Lacanian School – « Autour de l’inconscient » – a permis une mise au jour de ce que deviennent de nos jours l’inconscient, ses formations, et son interprétation, ainsi que ce qu’il en reste après une analyse.
A l’heure où le déclin des repères symboliques se corrèle à une primauté des modes-de-jouir, François Ansermet nous en rappelle une conséquence : le court-circuitage de l’inconscient – à distinguer du court-circuitage inconscient. Il prend l’exemple de la radicalisation pour illustrer en quoi les passages à l’acte peuvent être des actes de passage là où les rites de passage symbolique n’existent plus.
Pour autant, « l’inconscient n’est point une affaire classée » comme l’écrit Lilia Mahjoub dans l’argument du congrès. Comment interpréter ses formations et quel est son devenir à la fin de la cure analytique.
Sophie Marret-Maleval a ouvert la première ponctuation de la journée, à propos du rêve et de son usage dans la clinique contemporaine post-interprétative. Que devient le rêve, tel que l’avait défini Freud, réalisation d’un désir refoulé et déchiffré grâce aux interprétations ? « Le rêve est entre l’interprétation et l’indice d’un réel en jeu ». Le réduire à un déchiffrage ne fait que le chiffrer à nouveau, là où il s’agit de viser l’échec, l’ombilic du rêve, le trou d’où émane la formation du rêve. L’effet d’interprétation en passe donc aussi par l’ombilic du rêve.
L’interprétation : s’en passer à condition de s’en servir ?
En effet, dans une seconde ponctuation, Pierre-Gilles Gueguen souligne que les surprises de l’inconscient en passent par le déchiffrage. Pour viser le hors-sens, encore faut-il qu’il y en ait un auquel on croit. Le déchiffrer pour mieux le déconstruire et viser le réel de l’inconscient : « l’inconscient réel n’est pas à comprendre mais c’est un trou dont on s’approche qui permet de remanier le programme de jouissance inscrit sur le corps ».
Du sens à la jouissance, de la lecture à l’inscription. C’est ce que ponctue Philippe La Sagna à la fin de cette première journée : l’inconscient s’interprète par ses formations, il se lit tout seul, mais il sait aussi écrire. Que devient l’inconscient ? « Il doit aller vers d’autres métamorphoses » puisque derrière ce qui se parle et s’interprète, il y a la jouissance du trait qui s’écrit et ne cesse pas de s’écrire dans son rapport au signifiant. Il applique cette métamorphose à la société contemporaine, imbibée de jouissance à chiffrer : « l’inconscient mondial à venir va plutôt s’écrire ».

Ce trajet de la réduction du sens vers l’écriture de la jouissance s’entend chez les Analystes de l’Ecole qui témoignent, à travers leur cure de la variation des formations de l’inconscient au fur et à mesure de son élaboration et son élucidation, comme l’écrit Lilia Mahjoub.
Que devient l’inconscient à la fin d’une cure ?
Éric Laurent commente : « après l’analyse, on continue à rêver, on ne se réveille pas absolument mais quand même davantage, puisqu’on va vers l’écriture ». L’inconscient ne laisse pas la place à la jouissance, mais il l’écrit. La jouissance ne disparaît pas mais son devenir s’écrit. Pour Fabian Fajnwaks, un rêve parle de ce passage du « tsunami de jouissance » aux « canaux de jouissance », grâce au déchiffrage signifiant. La preuve que même une fois les fictions dissoutes, l’inconscient continue de produire. Un point de jouissance reste intraitable, ne se « dissout » pas, celui de « la haine » pour Jérôme Lecaux. Traiter sans cesse sa propre haine est une position éthique nous dit Éric Laurent pour qui, « s’habituer au réel est le contrepoint de l’éthique de la vérité ». A la différence de l’habitude aristotélicienne, la psychanalyse et son éthique ne visent pas une existence de confort, mais d’être plus lucide quant au réel et faire avec.
Que fait-on de ce qui reste intraitable ? Une position éthique donc, mais aussi une opération de sublimation de ce trou, constate Éric Laurent, suite au témoignage de Dalila Arpin et Laurent Dupont.
Ce congrès a été riche dans cette mise au jour du concept d’inconscient – sans lequel la psychanalyse n’existerait pas, ne l’oublions pas – et de ses métamorphoses que l’expérience ne cesse d’enseigner à la théorie, et qui trouve à s’articuler au réel qui traverse les parlêtres du XXIème siècle.