Orientation

L’Être mère : à chaque mère, une solution !

Notre après midi du 18 octobre a donné la parole à L’ÊTRE MÈRE À NANTES. Ce qu’enseigne la psychanalyse c’est que l’être mère pose la question de lecture au cas par cas. Comme le questionne Christiane Alberti dans l’argument des journées, être mère n’est pas quelque chose qui se passe dans son corps uniquement. Avec l’enseignement de Lacan, nous pouvons avancer sur le fait qu’avoir un enfant, dans son ventre ou dans la réalité, est tout autre chose que de l’avoir dans sa préoccupation, dans son esprit.

Avoir un enfant cela peut être tout à fait satisfaisant pour la mère, mais cela peut tout aussi la confronter à un moment d’étrangeté. Dans la clinique nous pouvons rencontrer des mères pour qui l’enfant qui est là représente à la fois l’objet qui lui manque, la comble, mais aussi l’angoisse, l’inquiète. Et pour chacune des mères cela n’est pas chose facile.

Alors on peut répondre par un enseignement aux mères, à s’exercer à ce métier de la maternité, en donnant des modes d’emploi. Heureusement, Lacan nous indique dans sa Note sur l’enfant, que tout cela ne vaut que pris dans « un désir qui ne soit pas anonyme »[1].

À chaque mère, un lien à un enfant. Être mère est une solution que chacune trouve pour faire entrer son enfant dans ce qu’on appelle couramment sa préoccupation maternelle. Être mère, c’est aussi trouver une manière de faire avec cette question, trouver un arrangement, une solution singulière que la rencontre avec un psychanalyste peut aider à élaborer.

Chez Freud, être mère a été la première réponse phallique : au manque de la femme répondait l’avoir de la mère. L’enfant est alors un substitut phallique, la femme ayant trouvé dans l’enfant ce petit avoir qu’elle n’a pas et que son père ne peut lui donner.

Dans son rôle œdipien le père venait barrer la jouissance maternelle, celle de posséder son produit. Le père était le garant de la séparation de la mère et de son enfant ; par son intervention il empêchait la mère de dévorer l’enfant. Cette figure de dévoration, Lacan l’a transformée en celle de la bouche du crocodile que le phallus paternel vient empêcher de se refermer sur l’enfant[2]. Quand le Nom-du-Père peut barrer la jouissance de la mère, celle-ci devient symbolique : au désir de la mère peut se substituer le Nom-du-Père, laissant alors à l’enfant la possibilité de s’inscrire dans la castration, le manque et donc le désir. Lorsque l’enfant ne répond pas à la demande, il l’oblige à désirer en dehors de lui : la mère est d’abord une femme et son désir d’ailleurs permettra à l’enfant de se confronter à un manque et de cheminer vers son désir. Lorsque l’enfant satisfait la mère, ce n’est qu’au travers de son image phallique à elle la mère : ce que sa mère désire en lui, sature en lui, satisfait en lui, ce n’est rien d’autre que le phallus[3]. Ne pas être ce phallus de la mère crée une « discordance imaginaire »[4]. Il divise alors la mère, entre mère et femme.

Derrière la mère, une femme. Et Jacques-Alain Miller le rappelle[5]: une mère, quels que soient les soins qu’elle apporte à son enfant, cela ne doit pas la détourner de désirer en tant que femme. Sinon, c’est l’angoisse: un enfant qui comble sa mère l’angoisse au sens où elle ne désire plus en tant que femme. Autant la vraie femme est celle qui, sous la figure de Médée, peut aller jusqu’à tuer la progéniture de son mari Jason pour rester femme, autant la mère est celle du don symbolique, de l’amour, soit de ce qu’elle n’a pas. Le texte de Nathalie Leveau ouvre la discussion en effet sur cette division entre la mère et la femme.

[1] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373. [2] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 129. [3] Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 56. [4] Ibid., p. 57. [5] Miller J.-A., « L’enfant et l’objet », La petite girafe, n° 18, Agalma, 2003.

Lire la suite

Le « ou mère/ou femme » de la névrose

La maternité serait-elle une solution fétiche à la féminité se demande Jacques-Alain Miller[1]. Le fétiche est un voile qui sert à masquer le manque, pour faire croire qu’il y a, là où il n’y a rien. Lacan en parle à propos des perversions. Quand l’enfant reste pris dans la relation imaginaire à la mère constituée du couple mère-phallus, il a comme solutions de s’identifier soit à la mère – qui ne l’a pas – soit au phallus qui lui manque. Ainsi il ne sort pas de l’univers de la mère et du phallus. Lacan qualifie cet univers de « phallocentrisme » et le retrouve chez le petit Hans, un cas de névrose. Hans, cinq ans, déclenche sa phobie après la naissance de sa petite sœur dans un moment où pour lui le phallus, jusque-là imaginarisé au champ de la mère, devient réel. Avec ses premières érections, Hans l’appréhende désormais dans son corps. Ce phallus lui est solidement accroché. La mère dont le désir est tourné vers le phallus va le dévorer – le phallus et Hans avec ! Hans s’en sortira à condition de faire advenir le phallus comme signifiant. Il trouve la solution de la vis : le phallus se visse et se dévisse au gré des besoins.

Mais Lacan souligne que cette solution reste névrotique. La névrose c’est croire au phallus en tant qu’un objet pourrait combler le désir. L’enfant s’aperçoit que la mère manque, mais il ne l’accepte pas. J.-A. Miller parle de « scandale »[2] pour la castration maternelle : c’est un scandale ! Le sujet névrosé n’en veut rien savoir. Seule l’analyse permettrait de l’admettre, en découvrant qu’aucun objet ne sature le désir, que la mère ne peut être satisfaite, que le sujet ne peut combler la mère, ce qui constitue un soulagement. La sortie de la névrose se ferait donc par cette clé : admettre que la mère soit une femme.

Alors comment entendre la disjonction mère/femme? Est-elle à mettre au compte de la névrose ? Au sens où pour le névrosé la mère n’est pas une femme. On aurait donc : ou la mère / ou la femme. Car J.-A. Miller indique que c’est « dans l’inconscient » que la mère est le contraire de la femme.

Ce n’est pas sans conséquences. Pour le névrosé, si la femme c’est le contraire de la mère, faut-il refuser d’être une mère pour rester une femme ? Toute une clinique est là convoquée : aléas des femmes pour avoir des enfants, mener à terme une grossesse ou se décider pour le bon géniteur, embrouilles des hommes et des femmes pour concilier vie de couple et vie familiale. Certains couples semblent s’accommoder très bien de cette disjonction, « couples exemplaires »[3] selon J.-A.Miller. Mais pour lui le soupçon pèse sur le secret de leur réussite : la femme consentirait à être une mère pour son homme. D’autres femmes voient dans la maternité un refuge à la féminité. Le dénuement qu’implique la position féminine, parfois vécu comme insoutenable, peut les précipiter dans « l’avoir des enfants »[4]. Souvent en rejetant l’époux, parfois le père. Ce qui est une manière de régler la disjonction.

Ainsi comment sortir de cette disjonction ? Comment le sujet peut-il en sortir autrement que par des solutions toujours coûteuses ? L’analyse n’offrirait-elle pas une voie de sortie meilleure en la dépassant ? Ce qui comporte d’accepter que la mère soit une femme, que la Mère n’existe pas, qu’elle n’est pas-toute, qu’elle n’absorbe pas-tout du manque et de la féminité. Ainsi le chemin est long, mais, passé le « scandale », l’« être mère » aurait chance de devenir plus supportable.

[1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Donc », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 30 mars 1994, inédit. [2] Ibid., leçon du 6 avril. [3] Ibid. [4] Ibid.

Lire la suite

De mère en fille, un « se jouir » dévorant

Dans un petit texte produit avant le congrès de l’AMP sur l’ordre symbolique au XXIe siècle, Dominique Laurent précise la logique du lien mère-enfant : l’enfant participe de ce qu’elle appelle « l’appareil à jouir » de la mère, dans une articulation logique entre le phallus (-φ) et l’objet a. « L’enfant est inclus dans la consistance logique de l’objet a, mais il n’en reste pas moins pris dans la valeur de (-φ). Il participe de l’appareil à jouir qu’est le fantasme. Le corps de la mère se jouit de l’enfant qui la remplit, bien qu’il reste un semblant dans la série des objets perdus. »[1] Lorsque seule la jouissance de l’enfant comme objet est en jeu, l’enfant est réduit à incarner l’objet cause du fantasme maternel ce qui le met en impasse quant à l’accès à un désir propre.

Dans la première partie de son enseignement, Lacan indique que c’est la métaphore paternelle qui régule la jouissance dans le lien mère-enfant. Dans son dernier enseignement, avec « R.S.I. », il parle des objets de la mère que sont ses enfants, et évoque le père qui se fait respecter non parce qu’il fait la loi, mais parce qu’il choisit une femme comme objet cause de son désir[2]. Chacun a donc son objet, une femme pour le père, l’enfant pour la mère. Ici c’est la père-version qui prend le relais de la métaphore paternelle. Chaque Un, dans le couple dit parental, doit trouver l’usage qui convient de sa version du père comme traitement de la jouissance, c’est ce dont il s’agit dans le Séminaire Le sinthome. Ainsi la recherche d’un juste écart entre une mère et ses objets-enfants ne procède pas toujours de la métaphore paternelle ni forcément du lien à un homme.

Aline refuse que l’allaitement cesse avant la scolarisation de sa fille. Elle s’appuie sur la promotion contemporaine de la santé de l’enfant via l’allaitement pour justifier la jouissance de cette dévoration réciproque. Au fil des séances, elle s’aperçoit qu’elle vit chaque progrès de sa fille comme une perte. Ce dire fait de l’avidité de l’allaitement un symptôme, et ouvre la question de la séparation.

Cet exemple témoigne du lien de la mère à la castration, mais permet aussi de repérer comment une mère tente de nourrir l’illimité de la jouissance féminine par sa localisation dans un corps à corps avec l’enfant. La métaphore paternelle ne suffit pas à traiter la jouissance en cause. Son mari est très amoureux d’Aline, elle l’aime aussi, dit-elle, et consent à le laisser s’occuper de l’enfant et l’éduquer avec elle. Mais elle estime qu’elle seule, du fait d’être la mère, sait naturellement ce qui convient en matière d’allaitement. Ceci ne l’empêche pas de se plaindre que son homme ne l’aide pas assez en matière de soin aux enfants.

Ce moi seule peut-il ouvrir l’espace d’une autre singularité ? La cure vise à favoriser l’invention d’une autre réponse à ce qui, pour ce sujet féminin, reste énigmatique quant à ce qui fonde son existence. Aline se jette à corps perdu dans le travail qui la lie au corps médical. Mais c’est pour retrouver le même appétit de dévoration subie : elle se fait « bouffer » par son travail, et n’a pas assez de temps pour manger. Elle reconnaît là l’écho du refus anorexique qui animait le ravage entre elle et sa mère. Elle reste donc en attente d’une autre alliance entre le corps et la langue qui lui permettrait de s’orienter entre les femmes et les mères, sans que sa fille soit tenue de lui donner consistance de corps.

[1] Laurent D., « Mère », L’ordre symbolique au XXIe siècle, Scilicet, Collection Rue Huysmans, École de la Cause freudienne, Paris, 2013, p. 229-231. [2] Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 21 janvier 1975, inédit.

Lire la suite

Imre Kertész : une écriture de fiction, pour survivre.

Produit de travail d’un cartel en cours, ce texte résulte de l’immersion de Michèle Bardelli dans l’œuvre écrite d’Imre Kertész commencée avant le cartel et qui se poursuit. Il met en évidence la fonction singulière de l’écriture dans l’impossible transmission du réel unique de la Shoah.
 

« Il n’y a aucune absurdité qu’on ne puisse vivre tout naturellement, et sur ma route, je le sais déjà, me guette, comme un piège incontournable, le bonheur. Puisque là-bas aussi, parmi les cheminées, dans les intervalles de la souffrance, il y avait quelque chose qui ressemblait au bonheur. […] Tout le monde me pose des questions à propos des vicissitudes, des “horreurs” : pourtant en ce qui me concerne, c’est peut-être ce sentiment-là qui restera le plus mémorable. Oui, c’est de cela, du bonheur des camps de concentration, que je devrais parler la prochaine fois, quand on me posera des questions. »[1] Ainsi se termine Être sans destin, premier roman d’Imre Kertész. I. Kertész a été déporté à Auschwitz en 1944 à l’âge de quinze ans et libéré en 1945 du camp de Buchenwald.

L’écriture deviendra la question de toute sa vie, de sa survie, de son existence.

L’écriture comme opposée à la parole

Dans Dossier K., il dit qu’il a écrit les choses « peut-être justement, pour ne pas avoir à en parler. »[2] C’est une première fonction de l’écriture : ne pas avoir à en parler, sans se taire. Écrire devient une nécessité par rapport à l’impossible à dire.

L’écriture comme fonction de séparation

Dans le roman, il donne la parole à un adolescent qu’il crée : « dans la vision naïve et classique d’un enfant. C’est seulement alors que l’acceptation de l’inacceptable est une évidence, car la barrière entre les événements et le personnage est tombée »[3]. I. Kertész peut alors faire dire à l’adolescent qu’il y avait là-bas aussi quelque chose qui ressemblait au bonheur parce que les préjugés communs sont tombés. « Toutes les monstruosités que j’aurais pu désirer décrire, je devais y renoncer en tant qu’elles ne touchent pas le langage, qu’elles ne s’intègrent pas dans un langage, dans une langue. Puisque je ne pouvais pas décrire dans le langage comment on m’a cogné, etc., alors il fallait que je trouve quelque chose dans la dimension du langage. »[4]

Il isole deux statuts à l’écriture : le premier, c’est la fixation. Ici s’écrit la description répétitive et fascinée de la « banalité du mal » : arrivée à Auschwitz, sélection… descriptions des horreurs. Le second : la fiction. La différence est essentielle : « Dans le roman, il m’appartenait d’inventer et de créer Auschwitz. Je ne pouvais pas m’appuyer sur des faits historiques, extérieurs au roman. Tout devait naître de manière hermétique, par la magie de la langue, de la composition. »[5] Il cherche une nouvelle langue, car le trauma a rompu la chaîne signifiante qui le tenait avant sa déportation, le laissant avec un S1 tout seul, hors sens, sans le S2 du savoir pour se raccrocher. Le sujet est effacé sans l’écriture, il « inexiste ». L’écriture devient une condition de survie, un devoir de survie. C’est par le choix d’une écriture « romanesque » qu’I. Kertész peut s’éloigner du réel insensé d’Auschwitz, border le trou créé par le traumatisme, se séparer des souvenirs qui n’ont plus alors le même statut.

L’écriture comme fonction de transmission

I. Kertész parle de son devoir de transmission, différent du devoir de mémoire.

« En réalité, je cherchais la fameuse troisième langue, qui ne serait ni la mienne, ni celle des autres, mais dans laquelle je devais écrire. »[6] Pour lui, Auschwitz a été une expérience linguistique, le meurtre du langage : meurtre de sa langue à lui, sa lalangue qui a été anéantie par son expérience, mais aussi meurtre de la langue des autres, le hongrois qui ne doit plus avoir d’usage car c’est la langue du totalitarisme qui préparait logiquement la Shoah. Cette troisième langue est une langue de jouissance, transmettant par son esthétique l’indicible, c’est une transmission hors sens, au-delà du langage. Pour lui « seule l’œuvre est transmissible »[7]. Dans Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, il explique pourquoi il a refusé la paternité. « L’homme n’était en vérité que du bétail dans l’abattoir de l’histoire. Tout cela – je frissonne rien que d’y penser – ce sera à moi de l’apprendre, mon enfant… »[8] Universaliser l’Holocauste est pour lui une décision culturelle, un « devoir d’art ». Par l’esthétique de son écriture, I. Kertész s’approche au plus près de l’inexprimable d’Auschwitz. Il a reçu le prix Nobel de littérature en novembre 2002.

[1] Kertész I., Être sans destin, Babel, Actes Sud, 1998, p. 361. [2] Kertész I., Dossier K., Actes Sud, 2008, p. 9. [3] La Cause freudienne n°77, Rencontre avec Imre Kertész (27 novembre 2010, Berlin), Le roman de l’échec, p. 112. [4] Ibid., p. 110. [5] Kertész I., Dossier K, op. cit., p. 17. [6] Ibid., p. 152. [7] Kertész I., Journal de galère, p. 142. [8] Ibid., p. 145. Après ce travail produit en cartel, j’ai pu lire l’ouvrage collectif L’homme Kertész. Variations psychanalytiques sur le passage d’un siècle à l’autre, sous la direction de Nathalie Georges-Lambrichs et Daniela Fernandez, Paris, Michèle, 2013.

Lire la suite
Page 11 sur 11 1 10 11

Espace rédacteur

Identifiez-vous pour accéder à votre compte.

Réinitialiser votre mot de passe

Veuillez saisir votre email ou votre identifiant pour réinitialiser votre mot de passe