Monsieur P. s’adresse au CPCT après de nombreuses tergiversations car les relations avec sa compagne se dégradent. Le couple se déchire quant aux choix pour leur fils âgé de cinq ans et pour lequel un diagnostic d’autisme est en discussion.
Un défaut d’inscription phallique
C’est un homme qui ne porte ni son âge ni le phallus. Ses phrases sont truffées de mots vagues qui ne disent rien de lui. Incapable de se faire sujet de son histoire, il ne livrera que quelques éléments épars de sa vie sur sollicitation de ma part.
Issu d’une famille de musiciens, il a d’abord fait une école d’ingénieur en électronique car il a toujours été passionné par la mécanique. Enfant, il a inventé un système pour le déclenchement automatique de la chasse d’eau. Il est aujourd’hui professeur dans un conservatoire de banlieue. Son instrument de musique est le violoncelle qu’il a choisi très jeune, pour sa forme et du fait que c’est un instrument qui repose sur le sol. Il fait également partie d’un groupe de musiciens singulier qui produit et arrange des sons enregistrés à partir du bruit obtenu par le détournement de l’usage d’objets de la vie quotidienne.
Cet homme reste insaisissable. Il se dérobe à toutes mes interventions. Incapable de prendre appui sur la parole de l’autre, il se borne à égrainer les hésitations du couple quant à leur projet de vie dont l’unique coordonnée est de trouver un établissement scolaire pour leur fils qui a déjà fréquenté deux crèches et trois écoles maternelles.
« Terminus » un instant de voir
Il me rapportera, lors d’une séance, une scène familiale particulièrement frappante. La mère se met violemment en colère car leur fils, au lieu de dessiner, a écrit un mot : « terminus ». Ce qui a mis la mère hors d’elle, est que ce mot renvoie à l’obsession de son fils concernant les trains. Le père, lui, a bricolé un train avec son fils et l’a aidé à visser les petits boulons pour faire tenir les wagons ensemble. « Votre fils est génial, il sait déjà écrire et il écrit terminus ». Le père rit, gêné, et dit: « on ne peut quand même pas penser que ce qu’il dit c’est que c’est fini entre sa mère et moi ?». Je lui réponds que son fils indique, sans doute, qu’il faut que cela s’arrête et qu’il ait une place où se loger pour se construire. Je l’invite à interroger sa compagne sur le message adressé par l’enfant, essayant de faire circuler ce signifiant au sein du couple.
Mr P. s’absente tout l’été, mais il trouve finalement un arrangement avec sa compagne qui s’installe en Espagne, près de sa mère avec leur fils. Il les rejoint chaque fin de semaine et note un effet de soulagement.
Une nomination
Le traitement fait surgir cette question de son défaut d’appui au symbolique. Il arrive à la 15ème séance avec son violoncelle qu’il me désigne comme étant son deuxième enfant. Je saisis la balle au bond : « Et comment va-t-il cet enfant ? » Il me répond « Celui-là est silencieux, il ne me demande rien ». Le paradoxe du violoncelle, instrument silencieux, est peut-être la formule qui lui permet de rassembler son être. Un objet qu’il me présente en toute fin de traitement et qu’il a choisi dès l’enfance parce qu’il repose sur le sol, qu’il s’y tient en quelque sorte. Il se définit comme « un sideman, un accompagnateur ». J’appuie cette nomination, il faut qu’il se tienne à côté de l’autre, qu’il suive. Il s’étonne alors de constater qu’en effet il n’a jamais pu porter un projet, qu’il lui faut chaque fois s’en remettre à l’autre.
Le couple puis la paternité ont fait surgir une énigme insupportable. Il conclura pourtant par cette affirmation : « J’ai besoin de faire un duo ». Reste, pour lui, à définir le bon partenaire sur lequel il pourra trouver l’appui qui lui fait défaut. La fin du traitement laisse cela en suspens, peut être, son violoncelle ?