Sydney est un adolescent adressé au CPCT pour des « mauvais comportements » en classe. Il est souvent exclu de cours car il perturbe le fonctionnement de la classe. La mère, violentée par la père durant de nombreuses années, va mieux et a refait sa vie avec un homme qui la respecte et que Sydney nomme son beau-père. Le couple exprime cependant leur exaspération vis-à-vis des problèmes de discipline. Ils espèrent que la venue au CPCT fera changer les choses.
Lors de notre première rencontre Sydney rapporte de grandes difficultés de concentration. Ceci l’empêche d’exploiter ses capacités, mais de toute manière il ne s’aime pas beaucoup alors : « à quoi bon ? ». C’est plus fort que lui, il « fait le clown ». Je perçois une fonction que l’adolescent s’assigne « de distraire l’Autre ». Il n’aime pas « voir les gens malheureux », comme l’a été sa propre mère, ayant subi les mauvais traitements du père.
Comment faire pour que Sydney s’approprie le dispositif analytique et opère un déplacement afin de formuler sa demande ? Nous ferons accueil à une question amenée en début de cycle qui divise le patient : quelle place occupe-t-il pour ce père violent désormais absent ? Il découvre alors une ambivalence à l’égard du père et s’étonne de ressentir un manque, malgré tout ce qu’il leur a fait subir à lui et sa mère. Il exprime alors des affects de tristesse, un premier effet de soulagement se produit. Cependant l’adolescent reste très anxieux, il ne dort pas, ressent une boule dans le ventre, n’arrive pas à manger, il est dans une activité permanente sans parvenir à se reposer. Nos interventions visent une limitation de la jouissance et l’accueil de la parole de l’adolescent qui dévoile sa souffrance. Quelques jours avant les vacances scolaires, un premier moment de bascule survient. Suite à un malaise, le masque tombe en classe, le « clown triste » se laisse aller et raconte son histoire à une camarade de classe qui l’accompagne à l’infirmerie. Malheureusement Le patient se heurte à de l’incompréhension de la part du reste de ses camarades qui croient déceler une façon de se rendre intéressant. Le patient exprime alors des idées suicidaires qui alertent tour à tour sa petite amie et la mère du patient. Nous recevons la mère et le patient au CPCT et les orientons vers les urgences. Finalement Sydney n’attentera pas à ses jours mais aura recours à des scarifications superficielles sur les avants-bras.
Le deuxième point de bascule au cours du cycle survient quelques semaines plus tard suite à la séparation avec cette même petite amie, celle-ci se venge en diffusant au lycée des photos d’automutilations que le patient avait pris de lui-même en selfie et lui avait envoyée. Le patient subit alors un déchaînement de violence au lycée, et se voit taxer de « manipulateur » et de « mythomane » par des camarades qui ont pris fait et cause pour l’adolescente éconduite. Le réel de la violence du père qu’a vécu Sydney fait retour au lycée et se répète. Nous accueillons la détresse du sujet au CPCT, qui ne souhaite plus retourner au lycée, et orientons les parents vers le proviseur du lycée qui intervient dans la classe. Nous soutenons également l’initiative des parents de limiter l’accès au téléphone portable qui était devenu un des vecteurs du harcèlement subi par le patient. Peu à peu la crise retombe, l’adolescent poursuit sa scolarité sans autre passage à l’acte. Il renoncera aux scarifications, et aux selfies. Il passera par la parole pour exprimer son mal-être et par l’usage des signifiants ; il y verra au final un moindre mal.