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Les facettes du corps

Pornographie, internet, numérique… sont des mots dont le parfum de nouveauté se fait insistant tant ils exigent encore et encore interprétation. Sur le chemin du Xème Congrès de l’AMP, Hebdo blog attrape quelques-unes des facettes contemporaines sous lesquelles se présentifie le corps parlant.

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Bouclage sur un clic

La lecture des chapitres consacrés à la pulsion du Séminaire 11 a fait écho pour moi à des questions qui revenaient régulièrement dans ma pratique clinique avec les enfants et les adolescents concernant, notamment, l’incidence d’Internet et des technologies numériques sur une supposée « subjectivité moderne ». Quel est le poids réel de ce qui se présente comme une évolution massive et généralisée dans les relations du sujet avec ces pairs, par l’intermédiaire de cette nouvelle « Autre scène » qu’est Internet et qui a tendance à exacerber les pratiques de jouissance ? Y a-t-il du nouveau dans l’expérience de satisfaction pulsionnelle contemporaine, celle qui passe par le réseau ?

Théo a 13 ans. Il se présente comme « geek » et s'est lancé depuis un an dans une carrière de Youtuber. Il a créé sa chaîne, s'est inventé un pseudo dont les consonances évoquent l'argent, la brillance et la masculinité. Il poste régulièrement des vidéos qui prennent modèles sur les standards de la culture Internet.

Il s’agit souvent de vidéos de « gaming » dans lesquelles il filme l’écran où apparaît le jeu vidéo auquel il est en train de jouer. Ce qui compte, au delà des astuces techniques, c'est le monologue qui accompagne la séquence. Dans ce « moment discute », un titre donné par Théo, le joueur commente ses performances, ses échecs. Il essaie d'être drôle, fait dans l'autodérision.

Cette activité n'est pas en effet un passe temps comme un autre. Être visible, même se faire voir, touche pour Théo à son existence même.

Comme sa mère, Théo est atteint d'une cécité presque totale depuis sa naissance. Il a bénéficié d'une greffe de cornée qui lui a permis de distinguer un minimum de formes et la lumière. Bien sûr ce handicap pèse un poids énorme dans sa vie mais ce n'est pas de cela dont il souffre. Il se plaint « d’être invisible, d’être un fantôme ». Il souhaiterait que ses parents « ouvrent les yeux » sur lui et sur ses difficultés et arrêtent de lui reprocher son addiction au écran. Il est de ce point de vu un « enfant normal », comme ceux de son collège.

Théo nous éclaire sur la distinction opérée par Lacan entre le regard et la vision. Cette dernière manque presque totalement à Théo mais il s’en débrouille et se déclare, d’une façon qui signe son rapport à l’autre, comme un « soit disant aveugle ». En revanche, être un objet inexistant dans le regard de l’Autre, sans marque d’un désir auquel se raccrocher, le plonge dans une profonde « dépression ».

Ses parents sont séparés, et sa mère a donné naissance à son second garçon il y a un an. Cette naissance perturbe beaucoup Théo. Il éprouve des sentiments très ambivalents face à ce frère et ne sait pas ce qu'on attend de lui dans cette situation. Les repères que lui offrait sa place d’unique garçon dans l’amour maternel sont aujourd’hui bouleversés.

Il rapporte avec nostalgie leurs soirées au cinéma ou sur le canapé devant des spectacles comiques. La figure de l'acteur et de l’humoriste est une image idéale aux yeux de sa mère et les tentatives de Théo de se filmer à cette place me semblent un effort pour se hisser à la hauteur de cette image. Il s'agirait donc de restaurer la part de narcissisme perdu pour retrouver l'appui qui lui fait aujourd'hui défaut.

Montage d’un circuit

Les leçons du séminaire 11 qui nous intéressent permettent d'aller au-delà de cette première interprétation. Quel est plus précisément ici le circuit propre à la pulsion ? Il s'articule autour de l'objet regard. A quel niveau situer le sujet ? Pas en tant que c'est lui qui regarde. Il s'agit ici de « se faire voir ». Et ce « se faire voir » comme Lacan le reprend à plusieurs reprises ne se met en place qu'à partir de l'introduction de l'autre dans le circuit pulsionnel.

Cette présence du petit autre se marque dans le réseau Internet par « le clic » nécessaire à l'utilisateur pour visionner la vidéo, qui indique au sujet qu'il est vu et qui vient même comptabiliser la jouissance. Cette comptabilité est très importante pour les Youtuber. Ils y font régulièrement références à la fin de leur vidéo et fêtent les seuils d’abonnés. Et c'est ce que nous indique de façon très crue Théo quand, à la fin d'un sketch, il interpelle son public, le remercie et dit «  à chaque clic j'ai un orgasme ».

Théo, en articulant l’« orgasme » à ses vidéos, nous permet de formuler une hypothèse sur ce dont il est question pour lui dans l’organisation de ce circuit : que quelque chose dans l’Autre vienne répondre de la réalité sexuelle à laquelle il est confronté. Il laisse entendre dans ses monologues, par des blagues, que ce qui « prend possession » de son corps comme il le dit, est de l’ordre d’une jouissance féminine qui le parasite.

Théo fait d’Internet son Autre, où il vient se faire représenter, se faire voir. En cela il est un enfant normal à l’heure où se faire voir est une activité généralisée. Des selfies, à Facebook en passant par les Vlog (vidéo-blog) le sujet se façonne comme objet du regard.

Les circuits de la pulsion restent structurés, il me semble de la même manière que ce qui était décrit par Lacan dans les années 60. Mais les objets de connexion à cet Autre ont des caractéristiques techniques qui changent la donne. Tout va dans le sens d’une libre circulation sans entrave de la pulsion. L’accessibilité illimitée, l’absence de barrière et « une singulière extension des possibles, des mondes possibles »[1] comme le notait Jacques Alain Miller donnent une prise plus importante à une pulsion qui dérive sans point d’accroche ou d’arrêt. C’est ce que recouvre le terme d’addiction qu’utilisent souvent les sujets aujourd’hui pour qualifier leur rapport à ces objets.

[1]   MILLER J.A., En direction de l' adolescence, http://www.lacan-universite.fr

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Par l’entremise du net

Entremetteurs, les sites web le sont tous... mêmes gratuits. La firme InterActivCorp possède Meetic et son évolution l'application Tinder. Différentes sources montrent que dans 47% à 66% des cas la motivation est le sexe et le coup d'un soir, le « fast sex ». Après avoir engrangé un maximum d'adeptes, Tinder lance une version payante pour continuer à voir défiler les photos dont les plus addicts ne pourront se passer. Tinder joue avec la règle et n'est pas très loin de se faire intermédiaire d'un commerce douteux. Nombre de fans de « fast sex » déçus de Tinder vont chez Okcupid qui permet de lever la dernière inhibition en renseignant le « casual sex » dans les critères de recherche. L'affaire Ashley Madison, site qui favorise les rencontres extraconjugales, ressemble à un démantèlement d'un réseau dans sa version Web. Ce n'est pas tant pour ses millions d'hommes dont un hacker a révélé l’identité avec les drames qui s'en suivent, mais plutôt par l'étude des 5.5 millions de fichiers des femmes (contre 31,5 pour les hommes) relayée par le seul journal La vie . L'entreprise au final a créé des « femmes imaginaires », ces hommes parlaient, dépensaient de l'argent cette fois-ci pour bien du virtuel. Le journal Capital montre comment l'infiltration de la finance dans l'exploitation de la rencontre est profonde. Il titre une page qui résume les quarante entreprises qui font le business du sexe dans le monde, du site aux magazines, en passant par les entreprises de sex toys, aux supports techniques financiers. Un doute s'installe à sa lecture, ce qui pouvait furtivement se vouloir être des révélations incongrues devient son envers, un conseil d'investissement dans les entreprises du CAC 40 qui les hébergent . Allons plus loin. Les sites internet, même gratuits, rapportent tous de l'argent. La première source de revenus est la publicité. De nombreuses régies multiples et variées proposent des publicités adaptées à votre public selon de multiples procédés. Si le site est gratuit sans publicité, sa vente est programmée pour recueillir les données des clients. Dans ces sites de rencontres, même les plus gratuits, se joue une affaire commerciale dont l'entremetteur est caché derrière une multiplicité de facturations et quelques semblants quand il en reste.

Erotique du temps 2.0. Internet est manifestement un accélérateur de rencontres étudiées ici sous le registre commercial. Un des idéaux contemporains recherché des internautes est de profiter de l'instant présent en multipliant les rencontres et en repoussant le moment d'une plus durable qui introduirait un amour et sa jouissance de la parole. Le net introduit une érotique du temps à l'envers de l'hystérique qui elle, instaure la continuité temporelle du désir sur la jouissance, c'est sa défense. Ici, la continuité temporelle se fait sur la jouissance avant le désir, s'il daigne faire signe. Cette position n'est qu'une autre version de la forclusion du temps sur continuité de jouissance. « Je suis incapable d'aborder quelqu'un au bar sans mon appli, je suis addict à Tinder : 70 coups en un an, je suis jalouse si une fille lorgne mes plans cul, j'ai subi une désynchronisation, j'ai eu l'impression de faire l'amour avec une machine, ou celui qui ne rencontre pas malgré des essais sur les sites » sont autant de témoignages d'une jouissance qui rate, même sur le net. Pas seulement, c'est aussi un Autre du signifiant bien là sur la toile. Jacques-Alain Miller donne à cet idéal « une fonction qui mérite d’être considérée comme motrice dans la cure analytique », mais un idéal comme nom du réel qui donne la possibilité à l'analysant de s'en plaindre et la chance d'entrevoir ce qui se joue pour lui. Parce que ces nouveaux symptômes sont rencontrés dans les cabinets d'analystes en place de cet idéal, « Il ne s’agit pas de rendre les armes devant ce symptôme et d’autres de même source. Ils exigent de la psychanalyse interprétation. »

Les Inrocks, n° 1026, juillet, août 2015. La vie, n°3659, octobre 2015. HYPERLINK "http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/tinder-et-meetic-vont-entrer-par-la-petite-porte-en-bourse-931292.html"http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/tinder-et-meetic-vont-entrer-par-la-petite-porte-en-bourse-931292.html Miller J.-A., « Introduction à l'érotique du temps », Mental, n°22, avril 2007, p.19. Le nouvel observateur, « La nouvelle révolution », n° 2646, juillet 2015, p. 35-36. Miller J.-A., L'expérience du réel dans la cure analytique, cours de 1998-1999, non publié, première leçon. Miller J.-A., « L'inconscient et le corps parlant », La cause du désir, n°88, 2014, p 107.

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Flash Scilicet – Anatomie

« Anatomie »[1]     Un corps sans bord Dans Under the skin[2], Scarlett Johansson incarne une alien d'apparence humaine en chasse dans un Glasgow miteux. En veuve noire, elle dépouille littéralement de leur intérieur les hommes qui se sont laissés tenter. Seules resteront leurs enveloppes flottantes entre deux eaux.

Si cet alien nous apparaît comme un instrument froid au service d'un Autre macabre, pour le sujet-alien il en va tout autrement. La rencontre fortuite avec son reflet dans un miroir poussiéreux va être décisive. Ne serait-elle pas une femme ? L'idée lui vient alors de se fondre dans la foule féminine du Glasgow chic. Trop affairée par le succès apparent de l'entreprise – être semblable aux autres femmes – elle chute : basculement décisif.

Aussi la nouvelle victime qu'elle approche au hasard des rues ne la convoite pas. Défiguré par des excroissances, lui qui ne s'est jamais autorisé à désirer une femme incarne l'humanité d'Elephant Man, soit ce qui reste quand les oripeaux imaginaires tombent : un homme divisé face à son désir.

Si le scénario funèbre a jusque-là bien fonctionné, cet homme va apparaître comme un véritable grain de sable. « Pour faire naître en moi, un désir pour toi, » semble-t-il lui dire, « il faudra plus que ta peau ». De fait, il aura la vie sauve, et pour elle se pose de nouveau la question de son être : que faut-il pour être une femme désirable ?

Commence alors une longue errance dans la lande écossaise d'une alien qui travaille sans relâche à dénouer sa question. Recueillie chez un « taré »[3], elle restera perplexe devant le show télévisé d'un comique écossais. Les mots ne font pas mouche pour elle, assignée à résidence d'un Autre non barré. Lui reste alors son corps, l'image de son corps.

Il croit voir une femme plus que désirable, comme tombée du ciel, venue de nulle part. Elle se croit femme, elle en a les formes. Aussi, quand il commence à lui faire l’amour, il est contraint de s'interrompre en plein élan. Elle se précipite sur le bord du lit et cherche à la lueur d'une lampe ce qui manque à sa simili enveloppe humaine : le vagin. Elle en est dépourvue.

Déjà prisonnière d'un Autre non barré, voici maintenant qu'elle découvre un corps sans orifice, donc sans bord, à la topologie sphérique, qui ne peut accueillir les modalités de la pulsion, lui barrant l'accès à la jouissance de ce bord absent.

Finalement, rien ne lui manque et c'est dans la plus grande perplexité que son errance se redouble, la ramenant à son point de départ : un désarrimage total du monde humain. Elle repart alors à nouveaux frais. Et c'est dans la forêt que va se jouer le dénouement du film.

La nature recèlerait-elle les racines du désir féminin ? Qui ose encore le croire aujourd'hui ? Assurément pas J. Glazer.

[1]  Meza A., “Anatomie”, Scilicet – Le corps parlant – Sur l'inconscient au XXIème siècle, collection rue Huysmans, Paris, 2015, pp. 38-40.

[2] Under the Skin, film de Jonathan Glazer, Juin 2014. Qui signifie littéralement « Sous la peau ».

[3] Comme il est qualifié dans le film.

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Flash Scilicet – Pornographie

Pornographie[1]  À qui l’heureux corps ?

Les élans du sexe, s’ils sont pris dans la trame du symbolique, ne se plient pas aisément aux prescriptions sociales. Havelock Ellis[2] l’avait noté : « le fait essentiel et intime du mariage, à savoir le coït sexuel, ne peut être un contrat, ni soumis à un contrat » sauf à en faire « une farce sinistre ». Les corps physiquement accordés ne peuvent ignorer l’incidence du réel, à l’occasion fauteur de trouble.

De nos jours, le porno se mêle fréquemment de la partie. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit du home-porno : un couple hétérosexuel utilise volontiers la caméra ou l’appareil photo au cours des relations, à la satisfaction de chacun.

Mais un jour, l’homme découvre dans un tiroir un DVD qui détaille les exploits de sa compagne avec un amant précédent. Elle lui avait parlé de cet homme mais bien sûr sans décrire leurs modes de jouir. Ainsi commence le tourment : il décide de ne pas lui parler de sa découverte, mais ne cesse d’y penser et il est parasité par telle image indélébile qui nourrit sa douleur. À partir de là, il bute sur la question : qui de lui ou de l’autre est le meilleur partenaire de la dame ? Par volonté de maîtrise, il intensifie notablement la fréquence de leurs rapports mais son angoisse subsiste.

L’existence du DVD le réduit à être un œil vorace, un sujet capté par l’image d’une jouissance qui lui échappe. C’est sa position de voyeur. En même temps, au-delà de cette image trop réelle, ça le regarde. Ce que Lacan thématise dans le Séminaire XI comme le point lumineux, le point de regard en provenance de l’Autre, le second versant de l’aliénation qui obnubile cet homme. Cela passe par l’écran et non plus par l’image. Il se sent à la merci d’une diffusion sur la « toile » des photos de son aimée lutinée par l’autre subitement en mal de vengeance. Il serait alors embarqué dans le spectacle mis sur le web. Horreur !

L’enjeu de cette quête harcelante, c’est d’arriver à articuler la jouissance phallique à la castration. Serge Cottet rappelait récemment que « ce n’est pas le porteur de phallus qui jouit mais le phallus ». Cela ne dégage en rien la responsabilité de notre patient. Ses désarrois tiennent au fait que si, comme le dit Lacan, « la femme trouve le signifiant du désir dans le corps de l’homme », il veut savoir si c’est bien de son corps qu’il s’agit pour sa partenaire, si c’est bien lui qui détient le record.

[1] Francesconi P., “Pornographie”, Scilicet – Le corps parlant – Sur l'inconscient au XXIème siècle, collection rue Huysmans, Paris, 2015, pp. 251-253.

[2] Havelock Ellis, essayiste anglais contemporain de S. Freud, investi dans la sexologie et à l’origine des notions d’autoérotisme et de narcissisme.

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Un peu de Rio à Paris !

Sans titre1

Nous sommes le 6 février. Le thème de la première séquence « Le corps parlant dans la séance analytique », présent en filigrane dans l’ouvrage d’Hélène Bonnaud, nous pousse au travail.

L’on parle des effets de savoir, de trou dans le savoir dans l’après-coup d’une séance d’analyse, d’un contrôle, d’une séance de cartel, mais  il y aussi ce qui se produit lorsque l’on travaille un livre, que l’on se laisse emmener dans sa lecture, que l’on écrit dans un effort d’extraction d’un bout, de bouts, qui soient transmissibles à d’autres. J’ai pour ma part d’abord rencontré un livre « Le corps pris au mot – ce qu’il dit, ce qu’il veut », le titre a eu valeur d’appel. J’ai ensuite rencontré l’auteure, Hélène Bonnaud, et nous avons préparé ensemble, rejointes par Camilo Ramirez, cette séquence. Hélène Bonnaud nous a parlé de son livre, de ce qui l’avait poussée à écrire à la fin de ses trois années d’enseignement de la passe. L’écriture face au vide, laisse-t-elle entendre. Hélène Bonnaud nous a surtout parlé avec précision et de manière incarnée, de la praxis analytique, faisant valoir la fonction du symptôme, et indiquant de manière précise et lumineuse comment le corps parlant est le corps percuté par un signifiant, un Un tout seul, hors-sens. Il faut une longue analyse pour en retrouver la trace. La conversation avec les participants nous a amené au point de saisir que nous ne pouvons retrouver l'entièreté de ce qui a fait trou, l'analyse porte le sujet dans la trouvaille d'une formule hors sens qui a percuté le corps. Pas sans la pulsion, comme nous le proposait Camilo Ramirez. Hélène Bonnaud, dans son style, montre que chaque parlêtre a à faire avec les signifiants entendus dans l’enfance, les signifiants rapportés, que c’est bien la rencontre du corps avec la langue qui fait traumatisme. J’étais sensible pour ma part au soucis d’Hélène Bonnaud de nous expliquer ce qui pousse le parlêtre à l’analyse : « On vient à l’analyse quand on sait que quelque chose ne peut fonctionner du côté de l’idéal et que le symptôme résiste à ce discours qui vous promet tant, sans vous prévenir de l’inertie propre au symptôme. Ce réel, ce réel du symptôme, les analysants disent en souffrir, les obligeant à osciller entre désir et renoncement, choix impossible et sentiment de rester à la même place. Le réel du symptôme, c’est son invariabilité. Le corps est alors éprouvé comme une énigme, ou recelant un trop. C’est lui, le corps, ou quelque chose dans le corps qui se manifeste et les attache au symptôme. » Le symptôme pas sans l’angoisse indique-t-elle aussi : « L’angoisse, je l’ai écrit dès la première page de mon livre, est l’envers de l’idéal, et se manifeste dans le corps. L’angoisse réduit le corps à ce sentiment d’oppression qui peut envahir certaines parties du corps, voire tout le corps. Le corps est donc absolument l’objet dont il s’agit dans une analyse. C’est lui le symptôme, corps parlé, joui par l’Autre dans la psychose et corps affecté par certaines paroles, oubliées, déniées dans la névrose. C’est pourquoi, le psychanalyste ne considère pas les symptômes comme des maladies mais comme des inscriptions parlantes si je puis dire, des formations signifiantes propres à chacun, et même incomparables les unes par rapport aux autres. »

Les questions de départ, quelles étaient-elles ? Que dit, que veut un corps allongé ou un corps en analyse ? Dans l’intimité et l’espace/temps particulier, qui se répète, du cabinet de l’analyste, comment les mots dits, les interprétations, les silences résonnent-ils dans le corps ? Les mots et silences de l’analysant et les mots et silences de l’analyste ?

Le corps dans ce qui s’y dit, dans ce qui y palpite, est entendu dans ce livre, il est effectivement pris au mot et le propos d’Hélène Bonnaud a marqué fortement ce point. Et son intervention nous a fait saisir à quel point le corps de l’analyste est présent lui aussi, un corps parlant, qui sait ce qu’il en est pour lui de la percussion du signifiant sur le corps, et qui prend au mot le corps de son analysant. « Le psychanalyste fait de son corps une présence intraitable, inconditionnelle et il en fait un lieu.  Un lieu et un lien. Il incarne à la fois le lieu de l’Autre et le lien à l’Autre. Son corps est un corps parlant en tant que son corps est porteur d’un sinthome qui s’appelle psychanalyse. »

S’il est question de nouage entre corps, symptôme et jouissance, il y a eu nouage aussi dans le travail de préparation de cette séquence : trois corps parlants, taraudés par des questions, soucieux qu’une transmission soit faite sur des points clés de la psychanalyse et qu’une conversation s’engage. Les échanges furent au rendez-vous et les analysants d’Hélène Bonnaud, auxquels elle fait la part belle dans son livre, étaient présents dans les questions : la théorie pas sans la clinique, ces énoncés précieux recueillis au plus près par l’analyste.

Emmanuelle Edelstein

À propos des interventions d’Esthela Solano et de Jean-Luc Monnier autour du Scilicet « Le corps parlant - Sur l’inconscient au XXIème siècle »

Esthela Solano nous a proposé un déploiement de son texte « compressé », paru dans le Scilicet consacré à la préparation du Xème congrès de l’AMP, et de le traiter comme « une fleur de papier qui se déplie dans l’eau ». Cette image poétique illustrait parfaitement son travail : son écrit paru dans Scilicet se déployait et prenait forme.

Cet exposé minutieux et précis a resitué le concept de l’Un articulé à celui du corps, dans l’ensemble de l’enseignement de Lacan. Voilà le tour de force ! Nous avons entendu comment Lacan a constamment, guidé par sa pratique, retravaillé ses formules et fait évoluer le statut du corps et du Un. Esthela Solano a déplié quatre points, l’Un unifiant, l’Un du trait, De l’Autre à l’Un, l’Un corps et le nœud à quatre, mettant en tension le rapport de l’Un au corps, et du corps comme Un.

Lacan est passé de l’image du corps unifiante donc non trouée (avec le stade du miroir et la primauté du registre imaginaire) au corps comme Un, résultant du nouage de la parole, de l’image et de la jouissance par le sinthome. Je m’attarderai sur un point de cet exposé qui m’a particulièrement interpellée : comment Lacan a-t-il visé, dans la cure, à atteindre la jouissance phallique du corps ? A la fin de son enseignement, il rompt avec l’intention de signification en faisant un usage du signifiant dans l’interprétation analytique comme d’une pure matière sonore, hors-sens. Afin d’illustrer cette question, Esthela Solano a témoigné de « la pratique à contre-sens » du docteur Lacan, une pratique de « contre-analyse » : « il s’employait à ne pas orienter la lecture du symptôme au niveau des effets de sens du langage mais à produire dans chaque énoncé, une rupture de l’articulation S1-S2. La phrase venait d’être commencée et la séance était déjà terminée ». L’effet de non-sens et de trouage de la phrase produisait dans l’après-coup de la séance « l’ouverture vers le dire, au-delà du dit ». Il vidait l’étalage de la jouissance phallique dans le corps et chaque séance touchait à la chair. Esthela Solano nous a fait partager les séances fulgurantes avec Lacan, qui par l’impact de la coupure allaient directement toucher au corps et à sa jouissance produisant alors un allègement ou un éprouvé inédit.

L’intervention de Jean-Luc Monnier s’est construite autour de cette citation de Jacques-Alain Miller : « l’inexistence du rapport sexuel est le réel du lien social ». Il nous a proposé une lecture psychanalytique de notre monde moderne en resituant tout d’abord le concept de lien social dans l’enseignement de Lacan, qui à partir du Séminaire XX place la jouissance au devant de la scène : reste de jouissance condensée dans l’objet a et jouissance du corps.

La jouissance de l’objet plus-de-jouir, désymptômatisée, encouragée par le monde contemporain, est particulièrement à l’œuvre dans les addictions et la pornographie en est une des déclinaisons. Cette lecture d’un symptôme de notre monde moderne va plus loin avec le concept d’itération qui désigne la jouissance Une, sans Autre et l’inexistence du rapport sexuel. Jean-Luc Monnier propose de faire de la psychanalyse « une fonction de déchiffrage et d’interprétation des formes actuelles du malaise dans la civilisation et des modes contemporains de l’insertion des parlêtres dans la dite civilisation. » La lecture du phénomène d’exhibition notamment sur internet que J.-L. Monnier nous a proposé a été particulièrement éclairante. En effet, le selfie pourrait être appréhendé comme un usage de l’image afin de témoigner de sa place singulière dans le monde « et fait signe dans cette closule de moi à moi du trou du corps et du non rapport sexuel. » Alors qu’en est-il de la place du regard ? Qui regarde qui ? Dans l’addiction au porno, c’est le sujet qui est regardé car il ne peut pas se voir et le porno s’évertue à démontrer qu’il n’y pas de jouissance de l’Autre ni de rapport sexuel. Alors comment pourrait-on lire le succès des programmes de téléréalité qui tentent de former des couples (L’amour est dans le pré, Le Bachelor...) ? Sont-ils également une tentative d’attraper ce qui ne peut se dire ni s’écrire ? Comment appréhender la place du téléspectateur, regard omnivoyeur plongé dans l’intimité des parlêtres, des Uns tout seul...

Cette après-midi d’étude nous a éclairé sur ce concept complexe qu’est le « corps parlant » mais a surtout ravivé notre désir de travail. Les exposés brillants mais également les discussions animées nous ont fait cheminer un peu plus vers Rio.

Vanessa Wroblewski

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