Étiquette : L’Hebdo-Blog 45

Vers les Journées 45 : Quand on se quitte

Bandeau_web_j45_def

« Prince, il faut que vous preniez conscience que tout ce que vous avez promis à celle qui vous aimait était plus inconsistant encore qu’une poignée de neige qui tombe légèrement et doucement du ciel. » Quignard P., Princesse vieille reine, 2015

La rubrique Dossiers de L’Hebdo-Blog a inventé une manière de Faire Couple avec la préparation des Journées 45 de l’ECF: l’écriture sur commande ou ce que nous avons nommé plus joliment « des invitations à écrire ». Depuis le mois d’avril, nous avons publié une série de textes singuliers ayant comme fil rouge la rencontre. Chaque auteur a répondu et nous avons aujourd’hui un magnifique éventail de textes brefs et vifs qui rendent compte, chacun à sa manière, d’un instant inouï.

Un regard, céder à condition de se séparer, l’apparition d’un infime détail, la marque dans le corps, le paraître, l’apparaître... Oui, vous pouvez revenir en arrière en allant consulter la Rubrique Dossiers de L’Hebdo-Blog. Un simple clic et vous pouvez lire ou re-lire les fines trouvailles de chaque auteur. Pour poursuivre notre cheminement vers le rendez-vous parisien des 14 et 15 novembre nous avons décidé de changer de cap. Nous avons lancé une poignée d’invitations à écrire sur « Le moment de rupture ». Notre point de départ : là où la rencontre bouleverse, trouble, enchante, le temps de la séparation est presque toujours douloureux, laborieux, voire angoissant. La liste des raisons qui poussent à la rupture est longue. On se quitte en pleurant, en se disant tout, en ne disant rien, en tenant encore à l’autre ou en le détestant. Le nœud de la rencontre peut se défaire, pour se renouer autrement ou demeurer délié à jamais. Comment se défait-il, le nœud qui formait un couple ? Rapidement, doucement, par surprise? Se rompt-il ? Une fois attachés... liés à jamais? S’agit-il toujours d’une coupure radicale? Voici les questions que nous avons posées à nos invités. Nul doute que des surprises seront encore au rendez-vous. Allez vite lire le premier texte de la série, Dominique Szulzynger y met en évidence, dans un texte subtil, que le mépris d’un homme à l’égard d’une femme peut produire une décision irrévocable.  

Lire la suite

« Je l’ai remarquée, un matin. » À propos du livre Pas son genre, de Philippe Vilain

Dès le premier abord, il la remarque. Issus de deux mondes très différents, ils vont pourtant se rencontrer. L’écriture les réunira, avant de les désunir. Ce roman dont Dominique Szulzynger a extrait deux moments de bascule est un paradigme de ce qui tranche le nœud du couple, dans l’instant du mépris.

Clément, jeune prof de philo, parisien dans l’âme, est muté à Arras. En cette occasion il fait la rencontre de Jennifer, belle coiffeuse. Une rencontre ? Pas vraiment, plutôt la remarque-t-il dans le salon. D’emblée, il est séduit par « son regard concentré, absent » , alors que côté style justement, elle n’est pas son genre. Elle, elle rêve du grand amour, mais tombe toujours sur « des hommes pas faits pour elle […] les mariés » . D’ailleurs, la première fois qu’elle-même remarque Clément, c’est alors accompagné par « une jeune femme brune en tailleur chic ». Cette rencontre, qui n’en est pas une, indique comment chez elle aussi, le ratage amoureux se répète dans le symptôme. Pourtant, ces deux-là se choisissent ! Si la première rencontre se fait par hasard, dès la seconde ce n’est plus du hasard. Avec qui « fait-on couple » ? Osons proposer : avec son partenaire de fantasme. Leur histoire commence comme une romance, leur rapprochement ressemble à une découverte mutuelle des intérêts de l’autre. Elle l’initie à sa passion pour le karaoké, et pour la vie en général, car autant Clément est mesuré, autant Jennifer est pétillante. Lui, il lui offre l’horizon des livres. Elle avait déjà celui de la lecture des magazines et des romans populaires, avec lui elle découvre Dostoïevski, Zola, Giono… Ce goût commun constitue la trame de ce qui les rapproche, ce qui les couple. Or, c’est par le livre justement que la romance sentimentale bascule et ravive ce qui les coupe : Jennifer découvre que Clément lui a caché l’existence de son essai. Car l’écriture est son partenaire secret. Cette tromperie réactive chez Jennifer son savoir inflexible sur le couple : le détachement qui était la marque distinctive de Clément fait signe de son indifférence amoureuse. La seconde séparation aura lieu quelques semaines plus tard, durant le carnaval. Amoureux mêlés à la foule, ils croisent une collègue de Clément, Hélène, qui est en famille et la lui présente. Lui-même ne présente pas Jennifer… Cet « oubli » dévoile son point de jouissance : la honte que Jennifer lui inspire car elle n’est « pas son genre ». Et, plus honteux encore : le mépris qu’il lui porte est la condition nécessaire à son amour. L’image du couple heureux qu’ils formaient quelques instants auparavant, vole en éclats. Le carnaval s’étire. Les géants perdent de leur splendeur et dévoilent un envers du décor où Jennifer quitte la scène. Elle semble ravie par ses émotions, Clément, maladroit, s’excuse. « C’est oublié », répond-elle, lointaine. Le lecteur, comme Clément, comprend, dans l’après-coup, combien cet oubli sera décisif. Il dessine un programme précipitant le passage à l’acte de Jennifer. Ce programme, c’est : oublier ! Dans le plus grand secret, elle organise sa propre disparition, sans laisser d’adresse. Fin de l’histoire. Au-delà d’une lecture sociologique, quelle est la nature du couple Jennifer-Clément ? Couple libidinal, amoureux de la chair et des mots, mais peu enclin à la parole. Couple clandestin, lové dans une chambre d’hôtel, couple sans réelle inscription symbolique… Si ces deux-là s’aimaient, sans doute n’avaient-ils pas la même interprétation de l’amour. Pour Jennifer, aimer est être en couple. Elle veut « avoir des projets », elle veut « un homme jaloux ». Et si elle fait beaucoup d’efforts pour aller vers la culture de Clément, côté inconscient, ce savoir inflexible, à valeur de certitude, l’éloigne de son partenaire. Clément lui-même est aveuglé par son incroyance au couple. Ils sont séparés par l’insu fantasmatique qui gouverne leur relation au partenaire. Dans la séquence du carnaval, l’absence de signifiant qui viendrait nommer Jennifer et l’inscrire dans le semblant du couple, ravive l’impossible du ratage sexuel, et active un franchissement dans le réel. La trahison que la jeune femme dénonce porte sur leurs incapacités à construire un symptôme commun qui aurait pu nouer leur couple. En disparaissant, elle ne leur laisse pas le temps de tisser une solution commune pour inventer leur couple.

 

Lire la suite

Seminario Latino de Paris – L’Envers de Paris

El Seminario Latino de Paris vous invite à faire une lecture en espagnol du Séminaire de l’Orientation lacanienne, El Ultimísimo Lacan de Jacques-Alain Miller, édité par la Editorial Paidós.

Ce cours est consacré au tout dernier enseignement de Lacan où la primauté du symbolique, c’est-à-dire de la parole dans l’inconscient, est abandonnée en faveur d’une version de l’inconscient abordé par le corps pris dans ses trois dimensions : symbolique, imaginaire et réel. La psychanalyse est une praxis, un savoir-faire nous permettant d’opérer avec ce corps.

Avec l’éclipse de l’ordre symbolique, l’inconscient passe d’être structuré comme un langage à l’inconscient comme un mode de jouir de la langue qui laisse ses traces dans le corps. Dans cette métamorphose de la psychanalyse, nous avançons par un inconscient fait de la pure matérialité de la langue hors-sens, les événements du corps sont contingents, il ne s’agit pas d’une destinée.

Notre objectif est d’analyser les événements qui ont lieu dans notre société où la psychanalyse a son mot à dire. Nous sollicitons votre lecture engagée, à travers le prisme lacanien du corps parlant et de l’inconscient, sur les effets du discours scientifique et de son articulation au discours capitaliste ; l’administration de la vie par les bureaucraties contemporaines ; le terrorisme et les fondamentalismes ; l’art et la subversion, et les nouveaux modes de jouissance.

Vous êtes invités à suivre cet enseignement et à présenter vos travaux articulés autour de l’ultime enseignement de Lacan. Chaque soirée, un modérateur sera chargé de commenter El Ultimísimo Lacan, trois jeunes intervenants viendront analyser l’actualité à partir de leurs recherches et le public sera invité à poser des questions.

Le séminaire est ouvert au public. Vous pouvez dès maintenant contribuer à son work in progress et envoyer une demande d’inscription au Seminario Latino de Paris à la Direction du Seminario Latino de Paris : Eugenia Varela eugeniavarelanavarro@gmail.com

La première séance aura lieu le mercredi 25 novembre 2015 à 21h00 à la Maison de l’Amérique Latine, 217 boulevard Saint Germain, 75007 Paris.

Lire la suite
Effacement de la façade

Effacement de la façade

Dans un service médical traitant des patients atteints de sclérose en plaques (SEP), un médecin s’est laissé étonner par la douleur que présentait Harry, un patient de quarante ans. Le tableau clinique atypique pour cette maladie (une névralgie faciale du nerf trijumeau comme seule affection neurologique confirmée objectivement) l’a conduit à proposer à Harry la rencontre avec un psychologue.

La façade familiale

« J’ai toujours été chargé de maintenir la façade familiale » : cet aveu secoue, pour la première fois, la face du patient dans un spasme de douleur. Je suis étonnée de voir cette étrange crise douloureuse qui souligne avec intensité quelque chose dans sa parole. Or, pour le patient, cette souffrance « emphatique » est dépourvue de toute signification personnelle. Adepte du discours cartésien mis en avant par la médecine moderne, Harry annonce son intention de se faire opérer « pour enfin se sentir libre ».

Depuis toujours, il fait en sorte que « tout soit beau au regard extérieur », tandis que « dedans c’est pourri ». La façade de normalité comme semblant laisse voir l’image sociale d’un homme qui a très bien réussi dans sa vie professionnelle. L’importance du regard extérieur pousse Harry à limiter progressivement son activité professionnelle car sa névralgie s’est aggravée considérablement durant les dernières années.

La deuxième crise de l’étrange douleur survient au moment où il se dit être célibataire de longue date. Gardien de la façade familiale, Harry n’a jamais pu quitter le couple parental. Les paroles maternelles ont une valeur absolue, non dialectisable : « Si tu te maries, je quitte ton père. » Bien que le père soit décédé depuis longtemps, cet interdit ne s’épuise pas : dans le désir de l’Autre, le sujet est pris comme pièce maîtresse supportant le semblant de la famille. Aujourd’hui, Harry s’occupe des travaux de la maison, tout comme son père avant la mort.

Une gifle

« Ma mère était toujours très envieuse », dit Harry. Confronté au désir dévorateur de l’Autre, il cherche tout le temps à le boucher. Les biens matériels, la rénovation permanente de la maison, les sorties culturelles sacrifiés à sa mère constituent la solution salutaire.

Un autre souvenir provoque encore un spasme. « J’ai invité ma mère à un grand événement où elle a eu une place moins bonne que la mienne. Pour lui faire plaisir, je lui ai proposé ma place. Sans dire un mot elle se lève pour me gifler devant tous mes collègues ». Peu de temps après, la douleur faciale est apparue comme trace réelle, signe de la jouissance de l’Autre. Aujourd’hui, et depuis la mort du père, la mère « se laisse aller ». Devenue incontinente, elle refuse toute aide à domicile. La souillure de la jouissance maternelle endommage la façade de normalité bâtie par le sujet, amorce de l’identification au père.

La névralgie dont souffre cet homme se présente comme une écriture qu’il ne peut pas lire. En parlant du phénomène psychosomatique, J.-A. Miller fait reposer son diagnostic sur les trois conditions . Il s’agit d’une lésion dans le corps : contrairement à la conversion, il y a une atteinte réelle de l’organe (1). La causalité de cette lésion doit être signifiante et non organique (2). Le phénomène psychosomatique résiste à une interprétation en termes de métaphore (3). Nous retrouvons chez Harry ces trois conditions. Le sujet est entièrement représenté par le S1-tout-seul ancré dans le corps et non par la chaîne signifiante. Le S1 se répète sans que le passage à S2 soit franchi. La douleur faciale se répète sous forme de l’écriture « S1-S1-S1… ».

« Ma douleur n’est qu’à moi »

C’est la seule remarque qu’Harry fait au sujet de sa névralgie. Comme le président Schreber souffre de son intimité exclusive avec Dieu, Harry souffre du rapport à sa mère. De même que pour Schreber l’éloignement de Dieu est encore moins supportable, Harry dit « ne pouvoir jamais trouver mieux ailleurs ».

Ce versant persécuteur de la jouissance maternelle nécessite un bricolage subjectif. L’argent et les sorties ne suffisent pas pour refermer la gueule du « crocodile » . La névralgie qui connote le discours du sujet, relève d’une grande importance. Tout en étant pénible, elle semble protéger le sujet contre l’excès de la jouissance de l’Autre. « Ma douleur n’est qu’à moi : ma mère n’y peut rien, puisqu’elle n’y a pas accès », dit-il à la fin de notre deuxième – et dernière – rencontre. Un lien ténu entre S1 et S2 a pu s’établir. Muette jusqu’alors, cette douleur est entrée dans la chaîne signifiante, apportant un peu de sens là où il n’y avait que le silence angoissant d’un phénomène corporel énigmatique.

Mais la question que le sujet pose à propos de sa névralgie continue à s’adresser à l’Autre du corps médical et non pas à un psychanalyste. Peu après cette chirurgie qui a finalement eu lieu, j’ai brièvement revu Harry. Après l’opération, il se sent bien. Cela l’encourage à poursuivre son activité professionnelle, ainsi que les travaux dans la maison. « Il n’y a qu’une seule chose étrange », dit Harry : quelque temps après l’opération, il s’aperçoit d’une nouvelle douleur qui s’installe progressivement dans la région de l’oreille, à gauche. Mais, pour Harry, ce n’est pas grave. Son chirurgien lui dit que les cas comme ceux-là sont fréquents : « parfois, pour être guéri il faut plusieurs opérations ».

Lire la suite

Affaire de discours

La formule lacanienne « Faire couple », mise en valeur à l’occasion des prochaines Journées de l’ECF, a servi de vecteur à deux cartels dédiés à cet événement. Il s’agissait d’échanger avec d’autres disciplines et – pourquoi pas – donner le désir de participer aux Journées. Comment le couple du XXIe siècle, adossé à de nouveaux semblants, tient-il le coup face à des pousse-à-jouir toujours plus débridés. « l’homme, la femme n’ont aucun besoin de parler pour être pris dans un discours » , remarque Lacan. Comment repérer les effets de ce discours « dans le champ dont se produit l’inconscient, puisque ses impasses […] se révèlent dans l’amour » . Pour trouver des réponses à ces questions, les cartellisants se sont tournés vers les fictions modernes, et notamment le cinéma. Leurs travaux ont été présentés à Marseille le 24 septembre 2015 lors d’une soirée des cartels.

Laurence Martin repère dans Amour fou de Jessica Haussner les effets mortifères d’une jouissance qui, bien que singulière, conduit ici deux a-mants à faire couple dans une mort commune. « Incapable de vivre mais [refusant] de mourir seul et sans amour », Kleist cherche désespérément une « âme sœur qui comprendra [sa] souffrance et sera semblable à [lui] afin [qu’ils puissent] mourir ensemble ». Contre toute attente, sa demande en suicide rencontre chez une femme, Henriette, un consentement. « Je vois la vacuité de mon existence telle que vous me l’avez décrite ». Le signifiant va alors percuter son corps dans une étrange maladie. L. Martin montre comment l’œuvre laisse deviner, sous les semblants du romantisme, un réel discordant. À la place même de l’amour fou, das Ding.

À sa manière, Alain Cavalier fait couple lui aussi avec une morte. La femme qu’il a aimée, disparue en 1972 dans un accident de voiture, est l’unique objet de son œuvre et le titre de son film Irène. Ne cherche-t-il pas, à travers son œuvre, à restituer ce qui manque à l’image pour symboliser la mort ? Telle est la question de Jennifer Lepesqueur. Comme affronté à une impossible métaphore, l’auteur s’attache à suivre métonymiquement les objets du quotidien d’Irène, comme autant de divins détails d’un manque à être, porté à l’incandescence par la perte. Irène voulait mourir, il en a la certitude. A. Cavalier préfère certes « être seul dans [son] tête-à-tête avec Irène » , mais il réussit par son art des semblants à faire frémir en nous ce qui, du non rapport sexuel et de la mort, reste muet, insaisissable. « Comment deux personnes aussi différentes qu’elle et moi pouvaient-elles faire route ensemble ? »

La réflexion de Ianis Guentcheff, à partir du film Les mains négatives , nous reconduit curieusement à ce nouage du cri et de l’écrit dont parle Lacan dans la même page. « Un homme et une femme peuvent s’entendre [...] Ils peuvent comme tels s’entendre crier. Ce serait un badinage si je ne vous l’avais pas écrit. Écrit suppose, au moins soupçonné de vous […], ce qu’en un temps j’ai dit du cri » . Le film de Marguerite Duras est d’abord un écrit. Elle indique dans son recueil que l’écrit était inévitable, alors qu’il « était évitable de le filmer ». Nous sommes ici à la racine des conditions de structure qui font du faire couple, pour l’être parlant, à la fois une nécessité et un impossible. La main négative , parce qu’elle parvient à l’Autre et en raison de sa structure de coupure, est un cri. Telle est la thèse de I. Guentcheff : « Il n’y a pas trace d’un homme qui a crié, la trace est un cri. Un cri comme projection du vide insoutenable de l’être ». « Il y a au départ un exil de la langue de l’Autre. En résulte ce que M. Duras appelle le désir. Ce désir s’adressera à une femme » « J’appelle celle qui me répondra » , dit-elle. Pour M. Duras, le cri signe la préhistoire du désir en un temps où « le mot n’a pas encore été inventé ». Le manque à être est alors le premier partenaire, ce dont témoigne « la trace négative ». La partenaire du suicide, la partenaire du deuil, la trace négative… autant d’opérations qui consistent à faire passer du registre de l’objet imaginaire à une construction symbolique, faisant ainsi de ces couples fictifs autant de symptômes.

 

Lire la suite

« Ça parle du corps »

Titre formidable pour la journée annuelle du CPCT-Paris le 26 septembre dernier, qui, pour l’occasion, avait invité le CPCT-Marseille. Dès le départ, tel que le situe argument, l’enjeu est : « En quel sens la rencontre brève avec un psychanalyste au CPCT peut-elle permettre à un patient d’apercevoir quelque chose de la satisfaction pulsionnelle à l’œuvre au coeur de son symptôme ? »

Dans une série d’entretiens à relire d’urgence sur le site du CPCT-Paris , Éric Laurent, Lilia Mahjoub, Pierre Naveau, Serge Cottet, Hervé Castanet et Alexandre Stevens, se référant aux derniers séminaires de Lacan repris par Jacques-Alain Miller, développent avec précision les principaux concepts, véritable feuille de route pour les débats attendus.

Le matin, dans une ambiance aussi sérieuse que détendue, L. Mahjoub, dans sa présentation, nous rappelait comment Lacan, dans son dernier enseignement, définit trois types de jouissance : la jouissance du sens, jouis-sens, à la conjonction de l’imaginaire et du symbolique, et propre au blabla de l’association libre ; la jouissance phallique entre réel et symbolique, hors imaginaire et donc hors corps ; et la jouissance de l’Autre J(A) entre réel et imaginaire, hors symbolique, la jouissance féminine dont la femme précisément ne peut rien dire ; tandis que l’objet a, résultat de l’effet du signifiant sur le corps, se situe hors corps, au centre des trois registres. Puis L. Mahjoub poursuivait à partir de Joyce et d’Artaud. Ainsi, pour Artaud c’est la béance mortifère qui constitue le rapport du sujet psychotique à son corps, tandis que le cas du petit Hans nous montre comment, grâce à sa phobie, il réussit à métaphoriser la jouissance du corps et développer la jouissance phallique. Les trois cas qui furent ensuite présentés puis discutés vinrent illustrer par la clinique les propos théoriques.

France Jaigu avec Arnaud, un jeune garçon qui souffre de bégaiement, fait le lien entre ce symptôme et la relation particulière de ce sujet avec le temps entre précipitation et retenue. Elle montre comment, en l’invitant à prendre son temps,et en ménageant un espace à la parole du père, elle permet un apaisement du symptôme et une ouverture sur ce qui, du sujet, ne pouvait se dire, « les paroles perdues ». Pour Serge Cottet, on peut donc saisir ici les deux versants du symptôme, « le versant du discours, du sens et de la vérité du couple parental, et le versant de la jouissance, de l’objet a dont la fonction serait d’apaiser une suractivité du corps ».

Concernant Priscilla, Pamela King insiste sur le choix qu’elle a fait de respecter le symptôme « se remplir puis se vider » de sa patiente. Elle montre comment, de façon remarquable en si peu de séances, en « produisant un Autre vidé de toute demande » et en encourageant sa patiente à reprendre son activité d’accordéoniste, cet « excès pulsionnel, qui dévore et rejette ou se fait rejeter », lié au deuil de sa mère et au regard persécutant du père, va s’apaiser. Pour Alexandre Stevens le symptôme se serait constitué en deux temps ; le symtôme boulimique renverrait au trou de la disparition de la mère, tandis que les vomissements seraient liés au rejet par la tante. Pour S. Cottet, cette patiente construit son histoire sur le binaire imaginaire absorption-rejet, avec un versant mélancolique et le risque que,dans un passage à l’acte, la patiente n’en vienne à « se vider elle-même », identifiée à l’objet déchet.

Éva est, elle, atteinte d’un eczéma étendu depuis sa petite enfance, qui l’isole. Elle ne peut chercher du travail, refusant de s’exposer au regard des autres. Claude Quénardel nous montre comment dans un temps très court, sans chercher à soulager le symptôme, elle va permettre à sa patiente de trouver une solution à sa difficulté à être. Ainsi, lorsqu’à l’avant-dernière séance Éva arrive un casque sur la tête en train d’écouter sa voix, l’analyste en lui demandant d’écouter sa voix provoque « un renversement, une soustraction de jouissance » permettant à sa patiente de « lui montrer sa voix », lui ouvrant alors la possibilité comme artiste de « suppléer à sa tenue phallique ». Pour S. Cottet, il y a ici deux versants du corps : d’un côté le corps comme surface, le corps entier, atopique, non troué comme le corps pulsionnel, et de l’autre un corps qui fait d’elle un déchet, une image dégradée d’elle-même à laquelle elle tente de suppléer par le maquillage et où se retrouve « le binaire signifiant se vêtir et se dévêtir ».

L’après-midi débute par un riche exposé d’Hervé Castanet qui, s’appuyant sur le Séminaire La logique du fantasme de Lacan et le Cours de Jacques-Alain Miller de 1999 sur les six paradigmes de la jouissance, prolonge la réflexion sur les rapports du corps et de la jouissance en considérant que « quand il n’y a de jouissance que du corps, ceci répond à une exigence de vérité ». Sur les rapports du corps et du signifiant avec « le passage au signifiant qui se caractérise par son caractère différentiel », il se réfère au terme de significantisation proposé par J.-A. Miller pour nommer le passage du réel au symbolique par l’opération signifiante. Il isole le signifiant et le savoir comme incorporels, suivant Lacan, pour évoquer la corporisation comme l’opération par laquelle le signifiant entre dans le corps et affecte le corps en désorganisant son homéostasie.

Avec le cas de Catherine, Françoise Haccoun déploie comment, pour cette patiente dont les excès traduisent « un monisme pulsionnel », il est question du « Un tout seul » mettant en péril son existence même. Pour Sonia Chiriaco, par l’intervention non réfléchie de l’analyste – « cette soirée est une de trop » – après le récit d’une énième nuit d’ivresse par l’analysante, F. Haccoun introduit pour cette dernière la dimension de la série qui fait coupure, permet un apaisement pulsionnel, de ne plus « se saboter » et peut-être de se soustraire à la jouissance maternelle mortifère.

Alice, elle, est en proie à une angoisse qui la paralyse et l’empêche de travailler. Elle craint de devenir folle et s’identifie à un ami de son frère schizophrène. Au fil des séances, son angoisse s’apaise et une suppléance se met en place au travers de la thèse qu’elle a pu reprendre. Pour S. Chiriaco, Aurélie Charpentier-Libert montre bien comment l’effraction de son ex-ami, puis de ses parents dans son quotidien, alors qu’elle était venue seule à Paris pour ses études, a provoqué son angoisse alors qu’elle s’était toujours protégée du réel de l’excès de jouissance familiale, par « une bulle ». S. Cottet souligne que l’on retrouve un signifiant central « décalage », et s’interroge sur la structure de cette patiente.

Enfin, pour clore cette passionnante journée de travail, Sylvie Goumet nous propose le cas de Pablo qui est « en panne », se plaignant de rester silencieux, de ne jamais avoir de place. À la troisième séance, une intervention de l’analyste qui insiste pour lui garder une place pour sa séance, entraîne une bascule. Pablo, jusque-là identifié au père mort, se surprend à répondre à sa compagne « je suis un homme debout, pas un homme couché ». « L’érection du corps signe le réveil du désir » et un rêve vient en accuser réception où se manifeste que, dès lors, il consent à « écouter la jouissance des femmes ».

Il est temps pour Victoria Woollard de clore cette journée clinique si intense et nous donner rendez-vous pour les après-midi cliniques de cette année et pour la journée 2016.

Lire la suite

Scènes de la vie conjugale

Les Scènes de la vie conjugale (film de Ingmar Bergman) que Nicolas Liautard reprend au Théâtre national de la Colline (avec Anne Cantineau et Fabrice Pierre ) mettent en scène un couple dans lequel Marianne tient sa place d’objet a, épouse comblée et admirative de son époux jusqu’au moment où lui, pris entre la femme de l’amour et celle du désir, la quitte, détruisant la fiction du couple parfait. Ce laisser tomber provoque une modification de la position subjective de Marianne qui, dès lors, ne remplit plus sa fonction dans le fantasme de Johan qui s’en trouve marri. Anne Cantineau et Fabrice Pierre livrent à Christiane Page quelques réflexions sur le spectacle

Anne Catineau : C’est un couple fusionnel, une domination de Marianne par Johan. Tout à coup les choses s’inversent. Elle va essayer de se reconstruire à partir de cette rupture, alors que lui est déstabilisé par sa propre décision. Fabrice Pierre : Ce couple, c’est de l’ordre de l’universalité du couple. Il y a la spécificité de ces deux personnages, mais là où Bergman est génial, c’est que tous les couples peuvent se reconnaître. C’est la capacité de Bergman à écrire quelque chose d’intime et d’en faire quelque chose d’universel. AC : Il y a comme une Histoire du couple. Actuellement, les gens divorcent plus, les relations de couples sont moins durables, il y a beaucoup de familles recomposées. La pièce raconte le passage d’un mode traditionnel de la relation d’un homme et d’une femme à autre chose encore à définir. Est-ce que c’est encore un couple à la fin ? Oui, parce qu’ils se parlent, qu’ils continuent à se voir et à avoir des relations sexuelles, mais ce n’est pas forcément ça qui fait couple. FP : Je ne connaissais pas du tout Anne et elle ne me connaissait pas non plus. Nicolas a cherché des énergies qui pouvaient se correspondre. Il ne voulait pas qu’on compose des rôles, qu’on aille vers des personnages avec leur psychologie mais qu’on ramène les personnages à nous qui avons eu des vies amoureuses. Le spectacle est réussi quand à travers les mots de Bergman, on raconte nos faiblesses et nos grandeurs. AC : Il y a le souci que quelque chose se passe à chaque fois au présent tout en étant dans un cadre très précis car on ne fait pas n’importe quoi, on dit le texte. On sait ce qu’on doit faire, la pièce est écrite. Il faut absolument être dans ces rails là tout en étant présent au moment. Et c’est fort de sentir que c’est ça qui fonctionne dans la catharsis avec les spectateurs. FP : Une qualité nait au moment où on n’est plus dans la maîtrise, dans ce quelque chose où il faut assurer. On est dans une relation entre partenaires. Le spectacle est réussi si la scène se fait là où on en est et ça apporte cette qualité de vérité que recherche Nicolas. AC : La parole vient du fait qu’on a écouté et qu’on a reçu. C’est la manière dont je reçois qui va faire que je vais dire les choses de cette façon là. FP: Nicolas dit : « le spectateur n’est pas spectateur du spectacle, il est spectateur de lui-même. En voyant l’acteur il est en train de se lire lui-même. C’est au travers de son filtre qu’il a son émotion, pas au travers de quelque chose qu’on lui impose qui n’est pas lui ».

Lien vers l’interview : http://www.dailymotion.com/video/k8EqabQ1TM5zKad86hU

Illustration © Catulle

Lire la suite

Espace rédacteur

Identifiez-vous pour accéder à votre compte.

Réinitialiser votre mot de passe

Veuillez saisir votre email ou votre identifiant pour réinitialiser votre mot de passe