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Éditorial

« La psychanalyse, à travers tous ses boniments, a bon pied, bon œil, et elle jouit même d’une espèce de respect, de prestige, d’effet de prestance tout à fait singulier si l’on songe tout de même à ce que sont les exigences de l’esprit scientifique »[1].

1967. Il y a presque un demi-siècle déjà, Jacques Lacan s’étonnait : la psychanalyse, ça tenait, cette « chose » elle était « toujours là »[2].

2015. L’Orientation lacanienne jouit encore d’un prestige certain, mais elle est attaquée et il nous faut rester vigilants. Sa force ne tient-elle pas à ce qu’elle sait rompre avec l’ennui et le pour tous, vise à serrer le réel le réel en jeu ? Elle pousse chacun à parler à partir d’une place précise, à partir de son manque-à-être, non de son savoir statufié. Ce principe, développé par Jacques-Alain Miller dans Politique lacanienne 1997-1998[3], est au cœur de notre orientation et le choix du thème de nos Journées participe de cette tension vers le réel, le symptôme, la solution intime, unique, et aussi vers la « tension entre l’un et le deux, soi et l’autre », comme l’écrit Christiane Alberti, directrice de ces Journées, dans l’argument qui les présente.

Les Journées de l’ECF, vecteur majeur de notre communauté, propulsent ACF et CPCT vers ce thème : Faire couple. Liaisons inconscientes. Nous tenterons, dans l’édition spéciale que nous consacrons ici à ces 45es Journées, de débusquer ce fameux « effet de surprise » évoqué par Lacan[4], qui happe et capte. Et la question du comment « faire couple » n’est-elle pas propice à accélérer cette traque en recentrant le propos sur la façon dont se décline, pour chacun, le non-rapport sexuel ?

Depuis plusieurs années, les Journées de l’École n’ont plus pour seule fonction de nous réunir dans l’intimité d’un pesant « entre nous », à l’image d’un colloque de spécialistes. Notons encore que Lacan, dans la conférence citée, nous alertait sur « la faiblesse du psychanalyste » dont le penchant est « qu’il se tient à carreau »[5]. Cette posture, prudente, prude et retenue, n’est pas – vous l’avez saisi ! – celle qui qualifie la direction de ces J45 !

Avançons sans rien sacrifier à la rigueur du concept dans la clinique. La langue qui s’y fait entendre porte la marque de l’ouverture. Le pari qui s’entend derrière ce qui s’y dit est celui d’énoncer clairement ce que nous découvrons dans notre pratique, mais aussi d’entendre ce que d’autres disciplines peuvent nous enseigner. C’est pour cela qu’autour de textes sur le thème lui-même, nous avons fait la part belle dans ce numéro spécial aux échos des après-midi préparatoires : manifestations du désir impulsé par les Journées bien avant l’événement lui-même. Vous trouverez également ici un volet politique essentiel avec trois textes sur les enjeux de la diffusion : « rencontre publique », « échanges », « conversation », tels sont les signifiants qui circulent sur les affiches des événements en région cette année.

Ces Journées impulsent une nouvelle façon de diffuser et, comme le rappelle Jean François Cottes, responsable de la e-commission, « il est bien connu que chaque changement technique du recueil et de la diffusion de l’écrit a un effet sur la forme du message ». Parions, et le pari a déjà fait ses preuves, que cette diffusion adressée qui, sans être tous azimuts ne laisse rien au hasard, sera homogène à l’époque des réseaux ! Pour sa part, la rubrique « Dossier » ajoute deux petits cailloux dans le soleil de la série ouverte par le Copil des J45 et le texte de C. Alberti Match-Point publié dans L’Hebdo-Blog le 8 juin dernier. Vous pourrez lire deux textes vifs qui rendent compte de l’instant de la rencontre par deux voies différentes convergentes en ce même point : le minuscule laps de temps où un homme, ou une femme, sont frappés par un détail qui réveille la folle envie de faire couple, coûte que coûte.

Les rubriques ACF, nourries de textes émanant de la préparation des Journées en régions, et Arts & Lettres, ne sont pas en reste et vous livreront de nouveau quelques traits de couples exceptionnels…

Allegro ma non troppo !

L’automne n’a pas éclos et avant Paris n’oublions pas que nous sommes attendus à Bruxelles ! Deux textes issus de Marseille et de son rendez-vous du CPCT du 5 juin 2015, « Victimes et victimisation », nous accompagneront, eux, vers PIPOL 7.

[1]           Lacan J., Mon enseignement, Paris, Seuil, 2005, page 23. [2]           Ibid. [3]           Miller J.-A., Politique lacanienne, 1997-1998, Paris, Collection Rue Huysmans, 2001. [4]           Op.cit. [5]           Op.cit., p. 19.

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« Coquelicot », « Cercle » de Yannick Haenel

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« Et puis j’ai rencontré la femme du pont des Arts : Coquelicot, la fille en rouge. Elle s’appelait Anna Livia. C’était sur les berges, le 8 mai, juste en bas de l’hôtel Cascade […] Je regardais vers l’est, en direction du Petit-Pont. Elle était-là. C’était bien elle. J’ai reconnu tout de suite son allure de princesse frêle et altière.

Tout crépitait, plein de sève. Je me disais : c’est un jour à tapis volant, l’un de ces jours où l’on traverse des murs.

On est entré boire un café au Mistral, sur la place du Châtelet. Les murs sont tapissés d’affiches de danse, et en montrant l’affiche d’un spectacle de Pina Bausch : Tabula rasa, avec une femme aux seins nus, le visage caché par une chevelure de nuit étoilée de fleurs, un bras tendu de nymphe et la jupe longue écarlate dont les plis font un éclair dans un champ de fleurs chaudes, je lui ai dit : c’est exactement ça que je cherche avec des phrases, ce mouvement-là, un mouvement si violent qu’il en devient pudique, une saturation de couleurs vives, une beauté calme qui se dessine à travers les lignes : le mouvement de la déesse lorsqu’elle sort des eaux, une sorte de naissance, quelque chose qui s’arrache au désir et en relance la mise : c’est ce geste, précisément ce geste que je cherche avec des phrases.

Anna Livia a eu l’air surprise, elle m’a regardé intensément, comme si elle interrogeait chaque partie de mon visage. Je lui ai demandé si ça allait. Elle a levé sa main vers l’affiche, et sans me quitter du regard, elle a dit « Sur l’affiche, la femme, c’est moi ». Yannick Haenel, Cercle[1].

La « psychologie du coup de foudre » comme déclenchement d’un « attachement mortel »[2] disait Lacan, trouve son image paradigmatique chez le jeune Werther qui déclare avoir assisté au « plus ravissant spectacle que j’aie vu de ma vie »[3] : Mlle Charlotte entourée de six enfants, distribue des morceaux de pain à chacun d’eux. La passion de Werther est immédiatement déclenchée par cette image maternante et nourricière.

Ravissant, Ravissement, ce phénomène, soutient Lacan au début de son enseignement, est le résultat de la coïncidence de l’objet avec une image fondamentale pour le sujet. En reprenant le terme Verliebtheit de Freud, Lacan signale que si l’amour est un phénomène qui se passe au niveau de l’imaginaire (arrêt sur l’image), il provoque par la suite une véritable « subduction du symbolique »[4], à partir d’une profonde perturbation de la fonction de l’Idéal du moi. Tout idéal devient la personne aimée, l’idéal du moi devient le semblable. La formule du coup de foudre serait donc, dans un premier temps : i(a) = I(A) ; au moment de cette confusion, nulle régulation possible « quand on est amoureux, on est fou »[5].

Mais le ravissement à une autre facette bien précise : celle de la surprise ; non pas La Surprise de l’amour où Marivaux décrit ce combat mené face à une passion qui veut être ignorée par le sujet lui-même. Ravi est celui sur qui porte le coup, la soudaineté est une constante qui rend le sujet, dans son discours, irresponsable de ce qui lui arrive : ça lui tombe dessus, il ne sait pas comment, c’est l’inattendu. Alors, comme le note remarquablement Roland Barthes[6] ce qui se présente comme un tableau (visuel ou langagier) vu (ou entendu) pour la première fois, comme une image fixe et idéale, est paradoxalement un rideau qui se déchire, « une faille soudaine dans la logique de l’univers »[7]. L’instant du coup de foudre est coïncidence et faille, idéal mais aussi rupture face à une certaine répétition car la vie n’est plus la même. Chez le personnage du roman d’Haenel, cette image du corps qui danse est la phrase qu’il n’arrive pas à écrire. D’un coup, ce corps est là. Il est la promesse d’une écriture, de quelque chose qui pourrait enfin cesser de ne pas s’écrire.

[1]           Haenel Y., Cercle, Paris, Gallimard, 2007, p. 122-127. [2]           Lacan J., Le Séminaire, Livre 1, Les Écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975, p. 163. [3]           Goethe, Les Souffrances du jeune Werther, Paris, Le Livre de poche, 1999, p. 59. [4]           Lacan J., Le Séminaire, Livre 1, op. cit., p. 162. La subduction est le processus par lequel une plaque lithosphérique océanique s’incurve et plonge sous une autre plaque. [5]           Ibid., p. 163. [6]           Barthes R., Fragments d’un discours amoureux, in Œuvres Complètes, t. III, Paris, Seuil, 1995, p. 633. [7]           Duras M., La Maladie de la mort, Paris, Minuit, 2006, p. 52.

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L’instant où Anjelica Huston a rencontré Jack Nicholson

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« Dix-sept ans d’amour fou », tel est le titre imparable accompagnant l’image du couple légendaire à la une du dernier Vanity Fair : Anjelica Huston et Jack Nicholson. Si l’on parle beaucoup d’eux ces temps-ci, c’est à cause de la sortie toute fraiche de l’autobiographie d’Anjelica[1]. Elle livre un récit frivole, toute occupée qu’elle est à faire briller jusqu’au vertige les insignes d’une vie dans le luxe et le velours, récit qui n’empêche pas de se rendre à l’évidence : elle a aimé follement cet homme. Et pourtant, la fulgurance de la première rencontre, en deux temps, donne déjà le cadre de ce qui, au cœur de cet amour, sera aussi pour elle son tourment.

Anjelica a 22 ans et parcourt un soir Mulholand Drive à bord d’une Masseratti rouge aux côtés d’une amie qui l’a convaincue de l’accompagner à une fête chez Jack. Elle ne l’a jamais rencontré en chair et en os, mais est loin d’avoir oublié son impression, l’ayant vu pour la première fois crever l’écran d’un cinéma londonien dans Easy Rider. Sa plume rend alors compte de l’éclat de la première rencontre : « La porte d’une modeste maison à un étage style ranch s’est ouverte, et le fameux sourire est apparu ». Apercevant pour la première fois celui dont le sourire sera appelé plus tard « le sourire du tueur », elle se dit : « voilà un homme dont on peut tomber amoureuse »[2].

Ils passeront la nuit ensemble et il lui donnera rendez-vous quelques jours plus tard pour une première sortie romantique qu’il annule le jour même, prétextant un autre engagement. Déçue de « passer en second », elle se console en allant au restaurant avec un couple d’amis. À peine est-elle arrivée au resto qu’ils lui annoncent que « l’engagement » de Nicholson est en réalité une jolie blonde avec qui il vient de monter à l’étage. Cette première rencontre avec le mensonge du partenaire s’accompagne aussitôt d’un choix subjectif : non pas quitter la scène dans ce qu’elle a d’intenable, mais s’y inclure : « J’ai saisi mon verre à vin et, le cœur battant, j’ai saisi l’escalier à mon tour. Jack était en compagnie d’une belle et jeune femme que j’ai immédiatement reconnue : son ex-petite amie Michelle Phillips […] J’ai levé mon verre joyeusement en lançant : " Je suis en bas, et je voulais simplement dire bonjour ". Imperturbable, il m’a présenté Michelle »[3]. Nicholson et Huston commenceront à vivre ensemble peu après.

L’instant de la rencontre contient déjà la matrice de mille autres scènes où elle sera à chaque fois à la place de la femme que l’on trompe et à qui l’on ment. Rencontre amoureuse, certes, mais aussi avec une jouissance qui, à la différence de Nicholson, sera sa fidèle partenaire. À peine descendues les marches du Festival de Cannes, Nicholson part sur la mobylette de la première admiratrice croisée. Voilà que la femme qui faisait la une des magazines de luxe et qui, dix minutes plus tôt était bombardée par les flashs des photographes de la Croisette, devient un objet délaissé sans un mot, sanglotant sur un trottoir. Avec ou sans voile, la tromperie du partenaire fera toujours pleurer cette femme pour qui la question n’est pas de savoir s’il faut le quitter ou pas, mais ce qu’il va faire pour se faire pardonner.

Sait-elle quelque chose du fantasme et de la jouissance palpitant au cœur de ces scènes qu’elle décrit néanmoins comme un martyre ? Rien ne le prouve. Cependant, elle n’est pas sans savoir trois choses. La première concerne l’aveu sur le type d’homme qu’elle peut aimer : « Même s’il m’est arrivé d’aspirer à ce qu’on attend généralement d’une relation sentimentale – réciprocité, partage, affection et fidélité – la dure réalité est que ces qualités-là ne m’excitaient pas forcément. J’ai toujours été attirée par […] des hommes sur qui on ne peut pas compter »[4]. De ce point de vue, avec Nicholson qui déclinera jusqu’au bout sa demande de l’épouser, elle sera servie.

Deuxièmement elle sait qu’elle a choisi Nicholson pour sa ressemblance avec un autre homme, marqué lui aussi par les signifiants « coureur de jupons » et « dédain dévastateur » et auquel elle n’a cessé de déclarer sa flamme du début à la fin de sa biographie. Cet homme est son père, le réalisateur John Huston, dont le portrait amoureux ouvre le livre : « Un mètre quatre vingt-dix et des longues jambes, mon père était plus grand, plus fort et doté d’une plus belle voix que tout autre. Il avait les cheveux poivre et sel, le nez cassé des boxeurs et une dégaine spectaculaire »[5].

Le troisième point concerne un aperçu sur sa manière de reproduire la vie amoureuse de ses parents. Comme eux, elle finira par répondre en miroir à la tromperie répétée du partenaire : « Quand il m’est devenu impossible de me voiler la face plus longtemps, je n’ai pas su comment réagir. J’aurais beaucoup aimé parler de ce dilemme à ma mère. J’ignore si ses aventures l’avaient réconfortée ou n’avaient eu d’autre but que de contrarier mon père. Elle n’avait jamais évoquée en ma présence l’infidélité de son mari ni même la douleur qu’elle éprouvait. Elle avait intériorisé énormément de choses et je reproduisais le même schéma »[6]. Elle ne pourra quitter Nicholson que le jour où il lui annonce que « quelqu’un va avoir un enfant ». Point d’insupportable touchant au réel de sa difficulté à avoir des enfants avec le seul qu’elle voyait, c’est le cas de le dire, à la place du père.

Jamais en analyse, ces trois instants de voir resteront pour elle sans conséquence. Avoir des insights sur ses liaisons inconscientes ne suffit pas à s’arracher de la scène de sa jouissance. Il se pourrait que seule une rencontre qui ne ressemble à aucune autre, celle avec un psychanalyste, soit la condition pour y parvenir.

[1] Huston, A., Suivez mon regard, Éditions de l’Olivier, 2015. [2] Ibid., p. 265. [3] Ibid., p. 266. [4] Ibid., p. 459. [5] Ibid., p. 20. [6] Ibid., p. 405.

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Les ondes de la diffusion

Être en couple

Être en couple est le produit d’un dit qui entérine une accolade, qui à l’occasion peut s’avérer traumatique.

Dans ce numéro spécial de L’Hebdo-Blog vers les J45, vous découvrirez la manière dont deux délégations ACF (Méditerranée-Alpes-Provence et Midi-Pyrénées) s’y sont prises pour décliner le thème « Faire couple ».

Comment se construit la liaison inconsciente à partir du nouage du désir et de la jouissance, tissant les fictions indispensables pour que ce nouage tienne?

Comment se défait le lien, quelles en sont les conséquences?

De quelle manière la psychanalyse s’intéresse-t-elle à ces deux mouvements contraires intrinsèquement compromis l’un avec l’autre et comment en rend-elle compte?

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L’« apéritif » de Sonia Chiriaco

L’« apéritif » de Sonia Chiriaco

Après-midi préparatoire aux J 45

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Lors de cet ultime rendez-vous de l’ACF-MAP avant les vacances d’été, il s’agissait d’offrir aux participants un « apéritif » – au sens étymologique d’ouverture – pour les inciter à se rendre aux J 45. C’est chose faite grâce à l’exposé de Sonia Chiriaco. Son titre, On ne parle que de ça, et le sous-titre qui arrive après, Mais en parle-t-on aujourd’hui comme au temps de Freud ou même au temps du Lacan de 1973 ? annoncent son ambition : balayer l’ensemble de la doxa à partir de cette thématique du couple contemporain. Cet exercice périlleux se révèle exemplaire de rigueur et de limpidité.

L’amour au XXIe siècle

Un constat, d’abord : « Les relations sexuelles débutent précocement et longtemps avant l’état amoureux. » C’est ce dernier qui pose problème.

Puis la thèse se construit en deux temps. Reprenant le texte princeps de Freud sur le ravalement amoureux[1], S. Chiriaco démontre que la disjonction entre le courant tendre et le courant sensuel, entre l’objet d’amour et celui qu’on désire, existe toujours. Cependant, l’époque contemporaine, en libérant la sexualité grâce à la brèche ouverte par la psychanalyse, prescrit la jouissance d’abord, ce qui complique l’accès à l’amour, qui devient second, idéalisé. Le désir, court-circuité, fait les frais de cette nouvelle donne.

Le célèbre aphorisme lacanien s’énonce alors, à rebours : « Le désir permet à la jouissance, sous certaines conditions, de condescendre à l’amour. »

Le partenaire amoureux au XXIe siècle

Quelles sont ces « conditions d’amour » ? Retour à Freud qui souligne la présence d’un trait précis pour fonder le choix amoureux. En formalisant l’objet a, petit bout de corps que chacun recherche dans l’Autre, c’est-à-dire en mettant en évidence l’importance du fantasme, Lacan innove : le partenaire fondamental du sujet n’est pas tant l’Autre que quelque chose de perdu de nous-mêmes que nous situons chez l’Autre.

Dans le dernier enseignement de Lacan, un pas de plus est franchi : plus radicalement, le partenaire essentiel du sujet, c’est son symptôme. L’écriture en reste $ <> a, à ceci près que l’objet a passe du semblant au réel. Derrière le partenaire se cache le réel impossible à supporter qui n’est autre que le réel du symptôme du sujet lui-même.

Illustrations contemporaines

S. Chiriaco conclut par une évocation du film de Spike Jonze, Her, dans lequel à l’évidence le héros fait couple avec la voix issue de son smartphone, dont il va jusqu’à être jaloux.

Élisabeth Pontier commente J’aimais mieux quand c’était toi[2], de Véronique Olmi, dont la protagoniste, pour poursuivre sa relation amoureuse, doit rencontrer dans le réel le fac similé d’une certaine image d’un père reculant devant son désir homosexuel.

Quant à Patrick Roux, il évoque la passion ravageante de Swann pour Odette de Crécy, « une femme qui ne [lui] plaisait pas », mais qui a éveillé son désir par « sa ressemblance avec Zéphora, la fille de Jethro, qu’on voit dans la chapelle Sixtine »[3].

Agrémentées du talent du comédien Nicolas Guimbard lisant quelques lettres – célèbres ou pas – d’Apollinaire, Duras, Depardieu…, littérature et psychanalyse nous auront fabriqué un cocktail au goût délicieux !

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[1] Freud S., « Contributions à la psychologie de la vie amoureuse », La vie sexuelle, PUF, Paris, 2004. [2] Olmi V., J’aimais mieux quand c’était toi, Albin Michel, Paris, 2015. [3] Proust M., Un amour de Swann, Coll. Maxi Poche, Paris, 1994, p. 55. Proust fait référence au tableau de Botticelli Les filles de Jethro (1481). Enregistrer

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Les ondes de la diffusion

Avec qui et comment fait-on couple au XXIe siècle ?

« Avec qui et comment fait-on couple au XXIe siècle ? », se demandent Élisabeth Pontier et Patrick Roux lors d’un rendez-vous de l’ACF MAP aux Arcenaulx de Marseille ce 20 juin dernier. Faisant miroiter les facettes de l’amour, du désir et de la jouissance dans cette question à partir de leurs lectures de la littérature contemporaine, ils exposent quelques-uns des chemins de traverse que tissent les fictions humaines pour faire couple. Que le lecteur soit prévenu : « Le partenaire essentiel n’est pas forcément celui que l’on imagine ». Autant de Uns pour aller par deux qu’il y a de façons de faire couple.

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« J’aimais mieux quand c’était toi » de Véronique Olmi

« J’aimais mieux quand c’était toi » de Véronique Olmi

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« L’amour est le dévoilement de nos enfances ressurgies et offertes »

Le dernier Roman de Véronique Olmi, J’aimais mieux quand c’était toi[1], paru aux éditions Albin Michel en janvier 2015, raconte l’histoire d’un couple, à partir du point de vue d’une femme : Nelly. L’auteur nous donne un aperçu très juste de ce qui relève des liaisons inconscientes en jeu dans une relation amoureuse.

Nelly est comédienne, elle partage sa vie entre ses enfants et le théâtre. Un homme l’accompagne mais il ne compte pas, elle ne l’aime pas. Celui qui compte, c’est Paul, avec qui elle a eu une liaison passionnelle et adultère – car Paul est marié et père de famille. Mais cet homme ne s’est pas rendu libre pour Nelly et celle-ci a choisi de le rendre aux siens. C’est ainsi que leur histoire a pris fin. Mais cela a-t-il pris fin pour Nelly chez qui une douleur s’est installée qui ne l’a plus quittée ? Pour continuer à vivre et à jouer – car le théâtre est son lieu d’asile – Nelly s’est coupée de cette douleur tapie en elle, elle n’a pas voulu savoir que ce puits de douleur était là sous ses pieds. C’est une femme qui danse sur le vide et qui ne veut rien en savoir.

Un soir où elle interprète la Mater Dolorosa de Pirandello dans Six personnages en quête d’auteur, Nelly voit Paul parmi les spectateurs. Plus précisément, comme elle entre par la salle qu’elle doit traverser pour rejoindre la scène, Nelly reconnaît Paul, de dos, car il est le seul, dans le public, à ne pas se retourner. La présence de Paul agit comme une bombe qui infiltre et va faire exploser ce lieu de refuge, le lieu sacré que constitue le théâtre pour Nelly. Et tandis que, pour elle, la présence de Paul irradie le théâtre, Nelly perd progressivement le contrôle de son corps jusqu’à se trouver dans l’impossibilité de jouer. La représentation doit être annulée. La présence de Paul dans le théâtre a agi sur elle comme la rencontre d’un réel. À partir de là, Nelly est changée et après une nuit d’errance, elle décide de rejoindre Paul pour jouer la scène de rupture qui n’a pas eu lieu. Mais au final Nelly ne va pas rompre. Pourtant une rupture a bien eu lieu puisque Nelly n’est plus la même. Alors quelle est cette rupture ? Avec qui ? Avec quoi ?

Je fais l’hypothèse que c’est avec l’amour du père que Nelly a rompu. Pourquoi ? Le personnage de son père hante cette histoire, hante Nelly. C’est un homme qui a manqué de courage : il a renoncé à l’appel de son désir pour les hommes, leur préférant une vie de famille rangée. Nelly se souvient de son père, sa silhouette de dos, s’éloignant sur la plage puis, répondant à l’appel des ses enfants, revenant vers eux, sa « caution sociale ». Fidèle au père et à sa lâcheté Nelly avait renvoyé Paul vers les siens, renonçant à son désir pour lui. Mais la présence de Paul dans le théâtre a fait ressurgir le souvenir du père et ce souvenir a agi comme un réel permettant à Nelly de retrouver le chemin de son désir. Nelly ne renoncera pas à Paul et à leur histoire.

C’est une femme qui consent à la castration, celle de l’Autre et la sienne par conséquent. Nelly peut troquer sa quête du phallus et la promesse de jouissance absolue qu’il emporte pour quelques jouissances relatives et accessibles. L’insatisfaction cède la place à ce qu’Une femme s’invente.

[1] Olmi V., J’aimais mieux quand c’était toi, Paris, Albin Michel, janvier 2015. Enregistrer

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Swann – Odette de Crécy

Swann – Odette de Crécy

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« Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir [...] pour une femme qui ne me plaisait pas… » C’est sur ces paroles cyniques que Swann conclut son récit Un amour de Swann[1], une étude quasi clinique de la passion ravageante d’un homme pour une demi-mondaine qui se joue de son amour. Comment Proust nous fait-il entendre la force des liaisons inconscientes dans cette passion improbable ? La vie amoureuse de Swann, séducteur blasé, est la répétition d’un scénario de conquête narcissique, où « chacune des liaisons [...] avait été la réalisation plus ou moins complète d’un rêve né à la vue d’un visage ou d’un corps que Swann avait, spontanément, sans s’y efforcer, trouvés charmants »[2]. Or, très rapidement, la rencontre d’Odette va le diviser. Lacan nous a appris que « l’amour est le signe qu’on change de discours »[3]. Nous repérons ce changement à un acte manqué que Proust place finement à la première visite de Swann chez Odette. Swann y oublie son étui à cigarettes. « Dans l’immense majorité des cas, dit Freud, les hommes, lorsqu’ils perdent quelque chose, accomplissent un acte symptomatique et ainsi la perte d’un objet répond à une intention secrète de celui qui est victime de cet accident. »[4] Cet acte n’aurait pas suffi sans le savoir d’Odette sur l’amour qui ne s’y trompe pas et qui « interprète » l’oubli. Elle lui fait rapporter l’objet accompagné d’un petit mot libellé ainsi : « Que n’y avez-vous aussi oublié votre cœur, je ne vous aurais pas laisser le reprendre. »[5] Ainsi se produit la métaphore de l’amour. L’angoisse de la perdre avait lancé Swann à la recherche d’Odette le soir où elle lui a manqué au salon des Verdurin. Peu après, nous assistons à l’idéalisation si caractéristique de l’amour : « Elle frappa Swann par sa ressemblance avec Zéphora, la fille de Jéthro, qu’on voit dans la chapelle Sixtine. »[6]

Ainsi les deux courants freudiens – le courant tendre et le courant sensuel – jusque là dissociés chez Swann, confluent sur Odette : « maintenant qu’il connaissait l’original charnel de la fille de Jéthro, elle devenait un désir qui suppléa désormais à celui que le corps d’Odette ne lui avait pas d’abord inspiré »[7].

Comment Odette s’insère-t-elle dans un circuit de jouissance et prend-elle peu à peu la place d’une femme-symptôme ? « un être nouveau était là avec lui, adhérent, amalgamé à lui, duquel il ne pourrait peut-être pas se débarrasser, avec qui il allait être obligé d’user de ménagements comme avec un maître ou une maladie »[8]. À travers sa jalousie dévorante, Swann tente de faire exister le rapport sexuel. Les productions imaginaires qu’elle engendre ne parviennent pas à résorber le réel en jeu pour lui, « le besoin anxieux »[9] de la posséder. « Odette d’où lui venait tout ce mal, ne lui en était pas moins chère [...] comme si au fur et à mesure que grandissait la souffrance, grandissait en même temps le prix du calmant, du contrepoison que seule cette femme possédait »[10]. Si la « vérité est sœur de jouissance »[11], alors disons qu’avec cette femme, Swann rencontre son heure de vérité. Mais cette vérité subit une dégradation imaginaire. Il veut tout savoir d’Odette, mais ce savoir rate au regard de la vérité qu’il vise. De surcroît, cette volonté de savoir abrite une passion de l’ignorance car il ne veut rien savoir du fait qu’Odette est une « cocotte ». Ce trait fait du couple de Swann le tableau d’un amour majeur, « un amour fondé sur ceci qu’on la croit. Croire qu’il y en a une, ça vous entraine à croire qu’il y a La femme »[12]. À la différence de l’analysant, Swann ne croit pas à son symptôme, il croit sa maîtresse. Elle lui parle, et plutôt rudement, et il prend ce qu’elle dit comme la voix de son inconscient.

[1] Proust M., Un amour de Swann, Coll. Maxi Poche, 1994. [2] Op. cit., p. 11. [3] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 20. [4] Freud S., Psychopathologie de la vie quotidienne, (1901), Paris, P.B. Payot, 2003, p. 261. [5] Proust M., op. cit., p. 54. [6] Op.cit., p. 55. Proust fait référence au tableau de Botticelli « Les filles de Jethro » (1481). [7] Op.cit., p. 58. [8] Op. cit., p. 62. [9] Op. cit., p. 65. [10] Op. cit., p. 229. [11] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 2005, p. 61. [12] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2006,p. 110. Enregistrer

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Les ondes de la diffusion

Couples à Toulouse

À Toulouse, le dialogue avec des partenaires intervenant dans des lieux qui accueillent les conséquences de la déliaison du couple, invités grâce à l’initiative de Vanessa Sudreau, nous a enseignés sur la façon dont l’institution y joue sa partie. Les différents exemples de pratiques et de rencontres conduisent Marie-Christine Bruyère à relever la méconnaissance foncière de ce qui nous attache à l’autre, de ce qui nous en détache aussi bien. À Carcassonne, l’ACF Midi-Pyrénées commence à apprendre de la série. À l’initiative de Dominique Szulzynger, c’est la séparation, le point de rupture dans le couple, que nous avons décidé d’interroger. Après Les beaux jours, Pas son genre, voici Un homme un vrai. Pour y voir clair, André Soueix en fait apparaître l’os. C’est aussi une façon de continuer la conversation avec D. Szulzynger et V. Sudreau, qui ont soutenu la discussion avec lui après la projection, le vendredi 12 juin au cinéma Colisée, rempli !

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Pas d’amour sans cinéma

Pas d’amour sans cinéma

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« Un homme un vrai », le film d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu raconte le désarroi d’un homme confronté à l’insoutenable légèreté d’une femme. Il est trahi, quitté. À moins que ce film ne raconte l’égarement d’une femme qui, parce qu’elle ne trouve pas l’homme qui l’a séduite à la hauteur, s’en va.

Rencontre 1, couple 1, rupture, rencontre 2, couple 2.

Voilà la morphologie du récit que les frères Larrieu mettent en image.

Rencontre 1

« Josépha-beauté ibérique-Don Quichotte-gaspacho » tels sont les signifiants que Boris propose à Marilyne. Elle consent à s’en revêtir. Il l’aime, elle aime la façon qu’il a de l’aimer. Deux airs de Carmen de Bizet nous en disent davantage sur le drame à venir. Carmen est une femme libre. Elle transforme son brigadier en contrebandier puis voit passer un torero et le suit. Comme nous sommes au XIXe siècle et que l’amour est fatalité, Don José, qui a tout perdu, la tue. L’amour « cynique, innocent, cruel »[1], nota Nietzsche à propos de Carmen.

Couple 1

Boris est devenu contrebandier à sa façon : il est la nounou surmenée des deux enfants que Marilyne lui donne. Passe Escamillo, le torero, ici une femme, Dolorès, XXIe siècle oblige.

Rupture

Marilyne aux prises avec la demande écrasante de l’Autre supplie Boris de l’arracher à ce monde où elle se perd. Il ne le fait pas. Sur ce point crucial, elle ne peut pas compter sur lui, elle est seule. Elle part, projetée dans le passage à l’acte avec qui veut la sortir de là. Il ne comprend pas. Elle : – « Il faut que tu sois à la hauteur ! » Lui : – « … À la hauteur de quoi ? » Ils concluent au même instant qu’il leur faut se séparer.

Rencontre 2

Cinq ans plus tard, Mary (la nouvelle Marilyne) écoute un guide de montagne lui raconter l’histoire d’un homme que l’on devine frappé par le malheur et qui se prénomme Ris (le nouveau Boris). Il escalade, la nuit, les parois les plus raides des Pyrénées et est fasciné par le coq de bruyère qui, au plus fort de la parade amoureuse, devient « sourd et aveugle ». C’est ce point, où celui qui aime se révèle castré, qui décide l’aimée à rester.

Couple 2

On saura peu de choses sur le couple qu’ils vont former. On sait qu’il ne la suit plus. C’est elle qui vient. Le film se termine comme il a commencé, par un clip. Pas d’amour sans cinéma, nous disent les frères Larrieu. Pas d’amour sans fiction. Mais toutes les fictions ne se valent pas pour faire tenir ensemble un homme et une femme. Une ellipse a emporté les cinq années de séparation, laissant au spectateur le soin de mesurer l’implication de la castration chez les deux nouveaux sujets qui se rencontrent. Elle l’a cherché, il a fait en sorte d’être retrouvé, mais se présente masqué, différent. Ce qui la fait, elle, Autre.

[1] Commentaire de Nietzsche sur sa partition de Carmen. Cf. L’Avant-Scène Opéra, dossier Carmen, n° 26, décembre 1988, p. 70. Enregistrer

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