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Éditorial

Comment avoir à nouveau envie d’entendre parler des mères, de la maternité, de ce thème qui nous a tenus des mois durant ?

Après les Journées de 2013 sur le trauma, dont la qualité impressionna, celles de 2014 confirment qu’une nouvelle série est en marche, et, comme put l’écrire Patricia Bosquin-Caroz dans son Billet du Conseil : « il faudra en tirer les conséquences pour l’École, pour la psychanalyse dans ce qu’elle a de plus vivant ».

La précision vive et aiguisée, l’urgence de bien-dire, émouvante, pétillante, qui marquèrent chaque intervention étaient, encore, au rendez-vous.

C’est lors de la Plénière du dimanche que P. Bosquin-Caroz donna le ton, d’emblée : c’est bien l’orientation lacanienne qui restitue à la maternité, aux mères, à leurs inventions, la dignité qui leur revient. Christiane Alberti, Directrice des Journées, souligna combien la force du témoignage singulier surmonte l’identification à la mère une, révolue désormais. C’est très exactement grâce à la place donnée à la parole de chacune et chacun que l’orientation lacanienne, encore, put démontrer la puissance civilisatrice de la pulsion. Car comment, en effet, entamer préjugés et discours établis sur la maternité, – laitages plus périmés tu meurs ! – taillés dans les bois les plus disjoints du réel de notre siècle ? Dans une rigueur extrême, mais sans oublier l’humour, (Woody Allen encore SVP !), l’émotion, la nuance (merci, merci encore Mariana Otéro ), une parole inédite, en train de se dire à pas moins de 3100 personnes, mordant sans ambages sur le réel. Dans une fougue, un tempo, un sérieux et un style qui causent notre joie fière d’appartenance à l’École. Cela, ça s’est dit, après les Journées, et beaucoup redit, dehors, aux alentours du Palais des Congrès.

Ainsi en fut-il de la Conversation sur le thème « Qu’est-ce que reproduire la vie ? », entre Jean-Claude Ameisen, Président du Comité Consultatif National d’Éthique, et François Ansermet, animée par Éric Laurent. J.-C. Ameisen commença par nous dire que ce qui nous a donné naissance est du registre des disjonctions, de l’émergence permanente de discontinuités, et de longues stases. Nous sommes faits de présences et d’absences, comme l’était, ajoutait-il apparemment lui aussi captivé par l’esprit vif de la matinée, la mère que Mariana Otéro évoquait en parlant de son film sur le secret. Où se tenir, entre le catastrophisme et l’enthousiasme béat ? L’enjeu, pour l’analyste, serait de veiller quant à lui à ne pas se laisser aller à une pente conservatrice, ajouta F. Ansermet en formalisant le duel sous cette forme : technoprophètes ou biocatastrophistes ? Être mère, à l’époque où l’on touche au réel en agissant sur la nature, force à inventer de nouvelles fictions. Nous sommes face à la production d’un réel innommable, put dire par la suite É. Laurent. Il y a un effort à faire pour lui donner un sens. Et c'est l'opération du langage qui nomme et fait apparaître les choix qui se font par l'opérateur de sélection du fantasme. Chaque sujet trouve sa défense contre le réel dans le malentendu, pour continuer à opérer la sélection par le logiciel fantasmatique. Cet effort de nomination, c’est par l’expérience analytique que nous le guettons. Les témoignages des AE Anaëlle Lebovits-Quenehen, Michèle Elbaz, Marie-Hélène Blancard, Danièle Lacadée-Labro et Anna Aromi nous ont été précieux, qui décoiffent et surprennent, désengluent l’Être mère, de son cocon doucereux. Ils introduisent l’opinion – et pas seulement l’opinion éclairée – tel était le souhait de C. Alberti en pensant à qui s’adressaient ces Journées, à un discours nouveau sur la maternité, en la dégageant de sa chape pathétique et bêtifiante. Car comment conjuguer maternité et féminité ? Point d’harmonie naturelle en ces zones, mais des heurts.

Et le théâtre ? Trois Mères de théâtre et un Fils !, merveilleusement incarnés par Marie-Armelle Deguy, Clémentine Verdier, Thibault Perrenoud, jouèrent pour nous des extraits présentés avec beaucoup de finesse par Brigitte Jaques-Wajeman, qui nous est si chère ! Vous en saisirez des échos dans les nombreuses météorites de cet HB.

Nous n’oublierons pas tant d’autres inventions, ponctuations, allusions… Tandis que les nuées de l’oubli s’accumulent derrière nous, nous restons, chacun et chacune, avec les restes que nous avons pu glaner.

Faisons-les fructifier pour 2015 et les années suivantes !

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Impression

Au lendemain des Journées de l’École de la Cause freudienne, un mot pour les qualifier, au singulier car elles ont fait événement. Ce mot est « rare ». On ne peut douter que de tels événements soient rares. Il y faut la conjonction d’une autorité qui n’est pas d’hier. Sa puissance s’est manifestée au grand jour, car elle a toujours été décidée à s’émanciper d’aucun pouvoir, sinon celui d’intimider l’adversaire, celui que l’on porte en soi et qu’une analyse a chance de situer et de réduire. C’est sans doute la condition, paradoxale car cette condition est l’inconditionnel tous azimuts, pour que le don entre dans la dimension de l’absolu, faisant interprétation pour chacun de sa capacité à recevoir. On ne s’en sortira pas ou plus par des expédients comme la gratitude, l’admiration brève, ou même toute manifestation de joie qui l’instant passé est déjà déplacée, suspecte. Il n’y a plus d’autre issue que d’y mettre du sien, toute la gomme et sans même savoir si le meilleur l’emportera. On aperçoit qu’à ce prix, une existence prend sa valeur, incommensurable.

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Mille e tre

Ah ! Bientôt fini le poupon rouge au regard noir penché sur les œufs de l’Araignée Maman de Louise Bourgeois. Énigmatique Araignée Maman, tisserande et dévorante.

Ah ! Bientôt fini le blog et tous ces dits, écrits, de toutes ces femmes, mères, fils, maris.

Être mère, quelle question !

Est-ce que j’en sais plus sur « Être mère » ?

Je suis comme elles, émerveillée, inquiète, parfois coupable puis confiante. Encore. Une expérience unique avec chaque enfant.

Avoir une mère. Être mère.

N’oublions pas « Fantasmes de maternité en psychanalyse ».

Allons-y !

Samedi au Palais, la foule. 3060 inscrits ! C’est la fête, des mères et des autres.

Terminés les joyeux et bruyants vagabondages d’une salle à l’autre, les mines défaites des exclus, les salles bondées. Le savoir-faire de nos organisateurs a résolu les problèmes. Merci à eux. Vous choisissez votre thème avant, pas les têtes d’affiche, pas les copains.

Salle 7, la matinée s’ouvre sur un cas clinique très actuel, commenté par Alfredo Zenoni : une femme ravagée par sa mère est enceinte et trouve un appui identificatoire en une amie elle-même enceinte, fille d’une mère aimante. C’est le cas Hélène Deutsch relaté par elle- même.

Je suis un fil. Il n’y a pas d’instinct maternel, l’enfant peut être et demeurer un bout de corps énigmatique. Esthela Solano pose la question « Qu’est-ce qu’un enfant pour une femme ? Il n’y a pas de réponse universelle, elle se déduit de la logique du plus singulier ».

Si l’enfant pour la psychanalyse est l’objet métaphorique de l’objet perdu, la femme dans l’accouchement et la présence de l’enfant, a affaire au réel. Là, dit E. Solano « est mise en jeu la contingence de la rencontre ». Comment une femme va-t-elle faire entrer l’enfant dans les circuits du don, de la demande et du désir ? Pour certaines, c’est impossible.

Maternité forclose, mère comme si, mère toute, mère en puissance, mère folle, mère absente, mère parfaite, mère en furie, mère morte, mère divisée, autant d’avatars de l’« être mère » des parlêtres féminins, autant d’impasses. L’analyste y met du sien, du corps aussi.

Dimanche. Deux formidables introductions de Patricia Bosquin-Caroz et Christiane Alberti sur les déclinaisons de la mère lacanienne. Á lire d’urgence dans les prochaines revues de l’École.

Témoignage des AE : vivacité, intelligence, drôlerie et émotion.

Bouts de film, témoignages de cinéastes : Ah ! Mariana Otero, Honoré et leur mère ! La journée est passionnante. Avec F.Ansermet nous abordons drôlement la science-fiction. On rit jaune. Si la transmission de la vie, c’est la production du nouveau, les nouvelles technologies ne vont-elles pas vers la reproduction du même?

Mères de théâtre cruelles et violentes, toujours coupables.

De formidables Journées ! Merci aux organisateurs attentifs.

Ce que je sais ce soir c’est qu’il y a autant d’« être mère » que de parlêtres mères. Mille e tre et un peu plus.

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3001 rencontres

1001 mères, 3001 rencontres. Voici ce qui m’est venu à la fin de ces 44es Journées de l’École de la Cause freudienne. Je fais le pari que chacun des 3000 et quelques participants a fait au moins une rencontre avec l’un ou l’autre dire qu’il a entendu pendant ces deux jours. Cela m’a frappé plus que jamais, les gens étaient dans les salles plus que dans les couloirs, du début jusqu’à la fin.

Il faut dire que le thème, même s’il a pu paraître au départ une antienne de la psychanalyse, a été exploré de telle sorte par Christiane Alberti et ceux avec qui elle a conçu ces Journées qu’il en est devenu absolument moderne, de plain pied dans le XXIe siècle. Les mères dont on nous a parlé, une par une, sont résolument lacaniennes, autant femmes que mères.

Il y a tellement de choses à dire, mais je dois bien faire quelques choix. Les travaux mis en série dans les salles simultanées avaient été choisis avec soin et pertinence. Un fil, celui du « trou », a pu se tisser par exemple lors d’une simultanée qui concernait le corps sollicité par la maternité. Le « trou dans le corps » s’est ainsi décliné dans les différents textes : qu’il s’agisse du trou réel dans lequel tombe le sujet après avoir recouru à l’IVG, du trou habité par le fantasme au point qu’il devienne une boule pleine qui fait peur, indice d’une jouissance Autre, ou encore du trou vide du pois de Yayoi Kusama, artiste japonaise qui tente d’inscrire la barre subjective par sa pratique artistique opérant un effacement, une « oblitération de soi ». Le gain de savoir était au rendez-vous.

Quand il m’a été demandé d’écrire ces quelques lignes, tout de suite après les Journées, j’ai décidé de prendre des notes. Et je l’ai fait pendant tout un temps le samedi, et aussi une partie du dimanche. Par contre, la plume m’est tombée des mains quand Christophe Honoré a commencé à parler de ses films, des mères de ses films, finement mises en série par Marie-Hélène Brousse et Christiane Alberti : la mère absente à son enfant, la mère selon Bataille, la désinvolte, celle qui s’adresse à la science pour avoir l’enfant impossible, et enfin le lien en même temps si dur et si délicat entre une mère et sa fille. Quelle sensibilité ! Christophe Honoré nous a offert sa division avec une humilité et une authenticité remarquables !

Pour terminer, j’ai trouvé superbe cette phrase conclusive de Mariana Otero : « Je voulais montrer ma mère, et ma mère, c’est une absence. » Sa mère à elle, c’est cette absence. Un bien dire…

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Secret, secrets

Secrets de famille, blancs dans le texte d’un roman familial qui se voudrait parfaitement articulé, interdictions, censure, non dits, blancs, le secret prend des significations diverses pour le sujet, comme cela a été souligné durant la plénière de dimanche. C’est dans ces blancs exactement que l’inconscient vient se loger.

Comment un sujet traite-t-il ce blanc ? Michèle Elbaz, AE, dans son exposé formidable et si drôle, le cerne dans le premier mot d’esprit de sa fille de trois ans quand celle-ci lui parle d’un secret, prononcé « sècreu », sans rien lui dire de plus. « C’est creux » écoute la mère en analyse et elle repère le creux de signification dans l’au-delà du phallus qui relève de la jouissance féminine.

Dans la séquence suivante, Mariana Otero, dans son témoignage si touchant du secret autour de la mort de sa mère, nous parle d’une scène formidable du documentaire qu’elle a fait sur sa mère. Il s’agit d’une pièce de l’appartement où ils habitaient jadis, une pièce vide avec des draps blancs partout. L’artiste pose quelques objets de sa mère également artiste, des objets « pour créer des traces dans le blanc » nous dit-elle, « ma mère est une absence » conclut-elle. Quelle meilleure façon de dire le creux dans le secret ?

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Chambre d’écho

L’Être mère, le devenir mère et les fantasmes s’y rapportant se sont déployés pendant ces J44 sous de nombreuses facettes pour constituer, à l’instar de la belle affiche du prochain Congrès de l’AMP qui nous a été dévoilée par Marcus André Viera, une mosaïque de portraits.

Mais une mosaïque vivante, en mouvement, pleine des éclats, murmures ou cris, venus de ce que Marie-Hélène Brousse a nommé, après Lacan, « la bouche d’or des analysants » au cours de la conversation que Christiane Alberti et elle ont eue, devant nous, avec Christophe Honoré.

Oui, des portraits vivants, même si, de manière très frappante, la mort a été souvent convoquée ; des paroles, propos qui résonneront encore longtemps, invitant à lire, écrire, poursuivre le travail.

Et ces Journées n’étaient-elles pas situées exactement dans l’intervalle entre les J43 sur le trauma et ce prochain Congrès de l’AMP dont le thème est « Le corps parlant » ?

Ainsi, deux interventions sur le thème « Ce corps qui change », introduites par le bel exposé sur La couvade d’Armand Zaloszyck, ont samedi matin particulièrement retenu mon attention. Deux mères, l’une emportée par une maladie grave peu après la naissance de l’analysante dont nous a parlé Véronique Pannetier et l’autre, la belle-mère, la propulsent par moments du côté de l’infini, du « trou noir », mais d’un trou « très dense », « vibrant de plus en plus », trou qu’elle articule à une grande solitude, ou du côté de la colère. Quelle chance d’avoir entendu V. Pannetier déplier délicatement l’avancée et les tournants de la cure de cette femme, interrogeant aussi le statut d’un corps « englué » qu’elle isole comme symptôme protecteur face à sa déréliction de nourrisson et rempart contre un Idéal du moi féroce, sous la figure d’un Janus à deux têtes, ses deux Autres maternels.

Dans la même séquence, Nicole Treglia nous a montré à quel statut d’objet déchet abject l’abondante production picturale, plastique et littéraire de l’artiste japonaise Yayoi Kusama répond, comme seule issue possible, comme impérieuse nécessité pour contrer le pousse au suicide. Car c’est un véritable « anathème » que la mère a jeté à sa fille : « Quand tu étais dans mon ventre, tu étais pourrie et mon ventre était tordu. » N. Treglia a construit son propos à partir du livre de Y. Kusama, Manhattan suicide addict, dont elle nous a dit combien la lecture était difficile. L’art comme solution sinthomatique pour cette artiste de renommée internationale peut s’entendre dans cette formule : être « un pois perdu dans un univers de pois ». C’est certes bien peu de chose, la disparition du sujet n’est pas loin, mais c’est tout de même être un pois situé dans un univers !

L’après-midi, c’est José Rambeau qui a déroulé magistralement pour nous son hypothèse sur les mères infanticides dans la suite de sa rencontre avec l’une d’elles, dont il nous a livré des éléments de témoignage. En réponse à ce qu’elle a pu lui dire, se tenant à une rigoureuse position de secrétaire silencieux dont il a fait valoir la nécessité, il nous a proposé trois types de passages à l’acte dans les cas de mères infanticides : celui qui concerne l’être mère, dans le cas des passages à l’acte suicidaires altruistes, celui qui concerne l’être femme, incarné dans le personnage de Médée, et celui qui concerne la maternité appuyée sur un conjugo qui tient lieu de suppléance. Si le conjoint s’efface, plus rien ne tient, ni être de femme, ni être de mère, tout ne peut que s’effacer, disparaître.

Alors, cette formule que j’ai retenue de la conversation de Catherine Lazarus-Matet avec Brigitte Jaques-Wajeman et François Regnault à propos des personnages de mères des trois pièces dont nous avons pu voir une scène jouée comme au théâtre, « chacune est porteuse d’un drame », ne pourrions-nous l’adopter en la modifiant ainsi : chaque mère est porteuse d’un drame ou d’une tragédie ?

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Dans les creux de la mère

Ces 44es Journées étaient comme les premières pour moi !

C’était une première le samedi, d’entendre ces cas de femmes, femmes lues et entendues depuis leur être mère, sans qu’il soit question à aucun moment de faire consister la mère-une, mère-crocodile, que nous avons d’ailleurs symboliquement grignotée dès notre arrivée !

Nul doute que certaines, parmi celles que nous avons rencontrées par la bouche de leur analyste, aient pu être pour leur enfant des mères-ravages, des mères-sauvages... Mais ce qui m’a frappée fut la rigueur extrême observée, il ne fut jamais cédé à l’imaginaire d’un rapport mère enfant qu’il y aurait, sous le nom d’apparence inoffensif de « relation » mère-enfant. Il n’était pas question là de la clinique de l’enfant, ni même à aucun moment de mettre en lien la clinique de l’enfant et celle de la mère : une ligne de séparation a été scientifiquement donnée dès le début dans l’argument établi par Christiane Alberti. Il ne s’agissait pas d’examiner la zone de choc, ni même la zone emboceptrice où le lien mère/enfant trouve à se constituer « entre eux ». Il s’agissait plutôt d’explorer pour chacune l’articulation, ou l’impossible articulation, de la mère et de la femme, plutôt l’examen de cette ligne de partage et de ses conditions d’émergences pour chacune d’elles.

En écoutant les cas samedi, il me sembla donc qu’une ligne avait bougé qui n’écrivait plus la même histoire, voire, qui décompléta radicalement toute possible histoire des mères ; comme si les cas exposés avait été traversés de cette distinction que Lacan établit quand il fait passer la ligne de séparation non plus entre la mère et l’enfant mais entre la mère et le sein : une séparation entre elle-même, entre la mère et la femme, entre la femme et ses objets… Ce n’est pas du tout la même chose que d’examiner la mère depuis les symptômes ou les dires de son enfant.

Enfin, il me semble qu’une place attentive a été calculée au plus juste pour situer au cœur des Journées sans l’évacuer, l’inhumanité qui loge au creux de l’être mère. Le frémissement qui a parcouru vos corps aussi bien que le mien sans doute, avec cette scène où une femme s’apprêtait à noyer son bébé, mais aussi le comique désespéré épinglé dans les saynètes théâtrales du dimanche, ont ménagé une place à cette mère-là, mythique et réelle, comme pour mieux permettre d’axer le projecteur sur les voiles et les montages que chacune trouve pour surmonter ce point d’inhumanité. Ce point, mythique et réel, fondamental, ne dit pas le dernier mot sur les mères. Les 44es Journées en ont apporté la preuve.

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Peau d’âne et la loi de la mère

Peau d’âne n’est pas une histoire pour les enfants mais une histoire galante qui nous initie avec ironie aux mystères du féminin.

Le roi, le père, sont ici des trompe-l’œil, d’ailleurs il n’y a que des trompe-l’œil dans cette histoire et dans la façon dont on lit Perrault. C’est un moderne, c’est quelqu’un qui nous montre les ravages de la loi, c’est de l’ironie galante qui va loin.

Ce qui compte et qui fait loi dans ce conte, c’est d’abord le désir de la mère, qui veut être la seule au-delà de la mort ; bien que ce soit présenté comme contingence « si vous rencontrez une femme plus belle […] que moi ». Elle se pose comme l’exception qui ne peut être remplacée que par une exception, une exception à toutes les autres, c’est-à-dire dans une logique où elle se situe à la place de l’hommoinzun. C’est du moins ce qu’entend le roi qui fait de la contingence une nécessité. La mère en effet n’est pas comme les autres… dans le désir du père.

En tant que phallus parfait de son roi de mari, la mère veut qu’il ne soit jamais séparé de son souvenir. Alors que son deuil ne trompe personne. Le roi croit que l’Autre veut qu’il ne soit jamais castré.

Le secret de la jouissance sans cesse de ce roi, c’est l’âne d’or « au lieu le plus apparent, Un maître âne étalait ses deux grandes oreilles » car il en produit, de l’or. Cet âne qui résonne avec L’Âne d’or d’Apulée fait de ce conte une métaphysique. Il est le centre du conte, il dévoile son mystère. Mais ici, le maître qui a des oreilles pour ne rien entendre, c’est surtout le roi.

On pourrait lire ce conte comme une variante de la « lettre volée », l’un ne voit rien, l’autre n’entend pas. L’âne est aussi une figure traditionnelle de la jouissance phallique. C’est une jouissance obtuse et qui reproduit la puissance sans autre limite que la castration si elle advient. L’âne d’or est le secret de la puissance du roi qui lui permet d’éviter « les ordures » ; on précise que l’âne n’en produit pas et il y a là un détail crucial.

En effet l’animal évite au roi de rencontrer l’objet a cause du désir, sous la forme de l’ordure, du reste, de l’objet anal, actif et méconnu. L’Âne c’est la puissance de l’avoir, sans reste, soit sans le manque et le désir.

Alors que l’on pense que le roi ignore la règle et la loi, il montre qu’il ne peut qu’accomplir dans l’inceste ce que le désir de la mère, transformé en loi nécessaire et non plus en simple contingence, avait de monstrueux.

Perrault fait au passage un pied de nez aux Jésuites qui arrangeaient la loi dans le sens du désir et montraient qu’elle pouvait même le favoriser. Les Jésuites pouvaient couvrir les turpitudes jusqu’à l’inceste.

Peau d’Âne, elle, veut bien être l’agalma et en avoir, avoir des robes et des bijoux. Ainsi, elle est à la fois phallus et agalma. Mais elle accepte de mettre fin à la puissance de l’âne, soit celle du phallus caché qui assure la toute puissance du roi. Elle opère par là une amorce de castration qui va s’achever par sa séparation du père. C’est l’animal qu’on sacrifie, un totem, et non le père.

Par là, Peau d’âne ne sera plus ni le phallus de la mère ni celui du père. Elle ne le sera plus que par le biais du semblant, celui de la peau d’âne. Elle le sera par l’opération de la dépouille phallique de l’âne qui cache maintenant la persistance de ses charmes et de son attrait.

On avait coutume, comme le note Apulée, de coudre parfois les victimes dans la peau d’un animal. Supplice au cœur des fantasmes masochistes, car l’animal avant tout est un être sans parole. Mais il représente une issue hors de l’humain. À ce niveau, Peau d’âne, sous la peau, se fait voix cachée et regard car sa beauté devient invisible, elle incarne l’inhumaine, une femme plus réelle.

Ainsi dissimulée, elle peut se permettre d’exister un peu au-delà du phallus, comme un trésor au milieu des ordures. Elle devient ainsi objet a, au-delà de l’agalma ; elle trouve alors une place propre à être la cause du désir, méconnue par le père. Le père qui a cru la mère sans voir qu’elle n’était au fond que cet agalma. Il faut rencontrer un Prince pour que ce statut d’objet cause du désir se réalise ; avec cette hésitation entre la merveille et l’horreur, la bête, qui est ici la trace de la jouissance féminine de Peau d’âne.

Ce conte est un roman du phallus et la démonstration aussi bien que le narcissisme du désir féminin utilise le phallus mais ne se réalise vraiment qu’à s’en séparer pour exister ailleurs comme objet a et au-delà.

Peau d’âne va ainsi plus loin que sa mère, en castrant le père pour sa plus grande joie. Mais l’histoire ne dit pas quel genre de mère sera Peau d’âne, fille unique par bien des côtés. Elle rétablit la singularité féminine, sans exception, qui nous permettrait de voir autrement l’histoire de la pomme d’or sur quoi Perrault conclut.

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« Le Cartel fait son théâtre » à Brive le 6 novembre

Il est vingt-et-une heures à Brive-la-Gaillarde, vous voici confortablement installés dans la grande salle du cinéma Art et Essai Le Rex. Dans la salle de spectacle, comble, vous ne savez si votre voisine est comédienne ou votre voisin psychanalyste puisque, à l’initiative de Philippe Bouret (membre de l’ECF, Délégué aux cartels pour l’ACF Massif Central), cette rencontre originale nommée « Le cartel fait son théâtre » réunit l’ACF MC, un cartel de l’ECF « D’une scène à l’Autre » dont le Dr Jean-Robert Rabanel assure la fonction Plus-Une, le théâtre de la Grange et le cinéma Le Rex, respectivement dirigés par Jean Faure et Bernard Duroux.

Le cadre est posé, le propos est clair : « Freud et Lacan sont des amis du théâtre. L’œuvre du premier, les séminaires du second n’ont de cesse d’y faire référence pour y puiser un enseignement, Elvire, Jouvet 40[1] est plus qu’une pièce de théâtre, plus qu’un film, c’est un événement »[2].

Si son réalisateur Benoît Jacquot n’a pu se libérer ce soir, des applaudissements nourris accueillent Brigitte Jaques-Wajeman (mise en scène) et François Regnault (collaboration artistique) qui ont rejoint la Cité Gaillarde. Une surprise leur est réservée : le message d’amitié que leur adresse Maria de Medeiros, parfaite interprète de Claudia à qui, en 1940, Louis Jouvet, magistralement interprété par Philippe Clévenot, donna sept leçons en prenant appui sur la seconde scène d’Elvire du Don Juan de Molière.

Autour de vous l’obscurité se fait. Le film, tourné en 1986, commence. D’emblée le spectateur est plongé dans son univers sobre et dense, en noir et blanc. C’est une œuvre ciselée qui en quarante-deux minutes cristallise la sensibilité de chacune ou de chacun qui peut se voir traversé(e) par le ravissement d’Elvire ou qui se trouve interdit(e) devant le vide d’âme de Don Juan. Mais il y a un au-delà. Les contours précis de cette pièce filmée ne ressemblent pas au déroulement d’un scénario prévu, d’un script avec début et fin. Et pourtant, alors que c’est toujours la même scène qui est reprise jusqu’à la trame, il y a bien un changement et c’est ce qui nous chavire. Vous entendez Jouvet, la voix tremblante d’une émotion insoupçonnée, briser la mélopée de l’actrice pour lui donner une indication que l’on sait avec lui être juste tant elle semble l’être pour lui, comme elle surgit ! Scansion. Vous voyez Claudia vaciller discrètement, se tendre, se relâcher pour livrer sa tirade avec son corps, épurant son savoir pour vibrer du seul sentiment. Dramatique. Vous ressentez en vous, par la force de la répétition insensée de la même scène et des mêmes mots, ce qui peut aussi faire la trame fantasmatique d’une cure analytique. D’un acte à l’autre. D’une scène à l’Autre. Et la jouissance en plus : « Jouvet veut Claudia comme Elvire : extatique […] dans un “état de viduité”[3] tel que l’actrice devienne pure transparence »[4], nous rappellent les acteurs du débat qui suit la représentation. Discussion croisée entre la salle et la scène sur l’art du comédien et sur l’acte analytique. Nuances du jeu et ossature du symptôme s’y trouvent convoqués. Si Jouvet a dû entendre Freud, Lacan a bien pu saisir Jouvet. Quel coup de théâtre ce serait !

*Gérard Darnaudguilhem est membre de l’ACF Massif central et du cartel « D’une scène à l’Autre ». [1] Présenté par les archives de l’INA, il est visible, en sept leçons, sur : http://youtu.be/FMeVDxuVcgY [2] Bouret P., « Un cartel branché pour des cartellisants à la page », Courrier de l’ACF MC, n° 65, 4e trimestre 2014. [3] Jouvet L., Molière et la Comédie classique. Extraits des cours de Louis Jouvet au Conservatoire (1939-1940), Paris, Gallimard, coll. Pratique du Théâtre, 1965. [4] Jaques-Wajeman B., « Le ravissement d’Elvire », http://www.lepoche.ch/upload/cms/DP_ElvireJouvet.pdf.

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L’être mère de Lucrèce Borgia selon Victor Hugo

La pièce de Victor Hugo « Lucrèce Borgia » rencontre notre actualité sur la question de « l’être mère ». Elle est jouée à Rouen dans une mise en scène de David Bobée avec Béatrice Dalle dans le rôle de Lucrèce, et une exposition est consacrée aux Borgia au musée Maillol à Paris.

Une femme monstrueuse, un nom monstrueux

César Borgia, frère de Lucrèce, a tué Jean, leur frère, car tous deux aimaient la même femme : leur sœur Lucrèce. Un fils, Gennaro, est né de ces amours, que Lucrèce recherche à Venise sous un faux nom. Lucrèce a aussi eu des relations incestueuses avec son père, le pape Alexandre VI, et nous apprenons qu’elle empoisonne tous ceux qui la défient. C’est « la maternité purifiant la difformité morale »[1] de la femme que Victor Hugo souhaite présenter dans la pièce. Il fait dire à Lucrèce : « Je n’étais pas née pour faire le mal, je le sens à présent plus que jamais. C’est l’exemple de ma famille qui m’a entraînée. »[2] Ce qu’elle souhaite : « effacer les taches de toutes sortes que j’ai partout sur moi, et de changer en une idée de gloire, de pénitence et de vertu, l’idée infâme et sanglante que l’Italie attache à mon nom »[3].

Gennaro, un jeune homme qui ne connaît pas son nom

À Venise, de jeunes seigneurs discutent, parmi eux, Gennaro qui, placé chez un pêcheur, a appris à seize ans qu’il n’était pas son fils mais était issu d’une noble lignée. Comme Œdipe, il y a un savoir insu chez Gennaro sur ses origines. Il est décrit ainsi par son ami : « Tu es un brave capitaine d’aventure. Tu portes un nom de fantaisie. Tu ne connais ni ton père ni ta mère. On ne doute pas que tu ne sois un gentilhomme, à la façon dont tu tiens une épée ; mais tout ce qu’on sait de ta noblesse, c’est que tu te bats comme un lion. », et un peu plus loin « tu as le bonheur de t’appeler simplement Gennaro, de ne tenir à personne, de ne traîner après toi aucune de ces fatalités, souvent héréditaires, qui s’attachent aux noms historiques. Tu es heureux ! [...] Que te fait l’histoire des familles et des villes, à toi, enfant du drapeau, qui n’as ni ville ni famille ? [...] Nous, vois-tu Gennaro c’est différent. Nous avons droit de prendre intérêt aux catastrophes de notre temps. Nos pères et nos mères ont été mêlés à ces tragédies, et presque toutes nos familles saignent encore »[4]. Gennaro, fatigué, va dormir et Lucrèce vient le contempler.

Gennaro et ses amis sont envoyés à Ferrare pour féliciter le duc d’avoir reconquis des terres. Comme ses amis, qui ont tous perdu un proche tué par un Borgia, Gennaro hait les Borgia. Il va, dans un acte provocateur, jusqu’à ôter le B de ce nom pour ne laisser que les lettres « orgia » sur le fronton du domicile de Lucrèce à Ferrare. Il écrit et dénonce ainsi la conduite de la famille Borgia. Lucrèce veut se venger de cette insulte. Ce n’est que lorsque Gennaro assume la responsabilité de cette insulte qu’elle renonce à sa vengeance, mais le duc son époux, ignorant que Gennaro est le fils de Lucrèce, pense qu’il est son amant et veut donc sa mort.

Dans cette pièce nous avons une mère qui tient à son secret « Le drame est tout entier concentré dans cette aporie : révéler son nom et sauver un fils tout en perdant sa chimérique dévotion ; ou le taire et prendre le risque de faire mourir son fils »[5] écrit Clélia Anfray. La jouissance de Lucrèce en tant que mère est dans cet amour secret pour son fils, qui ne peut être dit.

Gennaro, empoisonné lors d’une fête comme tous ses amis, refuse l’antidote que Lucrèce lui propose pour lui seul, et la tue, ignorant qu’elle est sa mère. Transpercée par l’épée de Gennaro, elle lâche le « je suis ta mère », dernier mot de la pièce. Ici, ce n’est pas le signifiant qui est le meurtre de la chose, mais le meurtre qui fait surgir le signifiant « mère ». C’est par le passage à l’acte que le nom peut être dit, inscrivant et Gennaro et sa mère, dans la légende meurtrière des Borgia.

Victor Hugo ne montre pas une nomination symbolique de la mère, mais plutôt une tentative de nommer la chose mère par le passage à l’acte.

Éric Laurent faisait valoir la différence entre la mère comme signifiant au début de l’enseignement de Lacan, et la mère comme objet dans RSI « Nous devons considérer également, la relation de la mère avec ses objets a à elle, M <> a[6] Dans la pièce, la relation de la mère, Lucrèce, à son enfant, Gennaro, ne passe pas par un dit, elle ne peut lui dire « je suis ta mère » qu’une fois mise à mort. C’est par le réel du passage à l’acte qu’une signifiantisation de la relation mère enfant est possible. La mère, Lucrèce, retient le secret dont elle jouit, par exemple en contemplant son fils endormi. La jouissance de la mère n’est pas en reste face à celle de la femme Lucrèce. Le masochisme dans cette pièce peut être interrogé, celui qui pousse cette mère à se faire tuer par son fils, et celui de Gennaro, que le pacte qui le lie à son ami pousse à mourir avec lui. Empoisonnements, matricide, malédiction de la jouissance font le canevas de cette pièce et c’est le destin tragique qui est présenté, car seul le passage à l’acte matricide fait dire le secret et advenir une nomination de la mère.

[1] Hugo V., Lucrèce Borgia, Folio Théâtre, Gallimard, 2007, Avertissement. [2] Ibid, Acte I, partie 1, scène 2. [3] Ibid. [4] Ibid., Acte I, partie 1, scène 1. [5] Hugo V., Lucrèce Borgia, op. cit., introduction. [6] Laurent É., « La psychanalyse guérit-elle du transfert ? », conférence donnée à l’Antenne clinique de Dijon, 26 novembre 2011.

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