Je croyais que je ne parlerais pas de nouveau de mon cas [1].
En vérité
Tout était déjà dans un classeur. J’ai cru que l’échéance était pour moi arrivée.
J’ai dit, voilà peu, à l’EOL : fini. Marre de parler de moi.
De mon symptôme, de mes fantasmes, de la femme originale, de ne pas dormir, de ne pas laisser dormir, de l’actrice, du goût à être applaudie, de ne pas avoir la voix du père, de la recette d’amour de la grand-mère, de celle qui est en avance, en retard, du silence de l’analyste, d’être la voix de l’autre, de l’homosexualité féminine,
Je me suis lassée de mon cas.
Combien de tours encore ?
Le cas est un même quand il y a plusieurs une.
Une femme ce sont plusieurs femmes.
Et ceci n’est en rien mal.
Bon, comme toujours, j’ai exagéré … parce que j’étais enchantée qu’on m’invite.
Un grain de folie…
Il y en a plus d’un.
Nous étions tous, tous les tous, mère, père, frères, cousins … ces réunions qui régulièrement s’organisent.
Et, nous parlons des autres, là nous aimons parler des autres et moi, me référant à quelqu’un qu’un autre rappelait, je dis je l’ai vue, complètement folle … et à ce moment mon fils bondit — il a 11 ans — et il dit face à cette table multi familiale : « Maman, toi tu ne peux dire de personne qu’elle est folle … toi et tes amies, vous êtes folles. » Ce qui déclencha le rire de tous. Ces rires venaient confirmer le dire de l’enfant.
Je dois dire que, dans ma famille, les folles ne furent jamais une malédiction. Tout au contraire, les folles avaient toujours leur charme… entre elles, moi pour mon père. C’est-à-dire qui s’écartait de la norme.
J’avais décidé, je l’avais dit à mes passeurs, que je parlerai pas de deux événements de ma vie si j’étais nommée.
L’un, était ma venue de La Plata à Buenos Aires, la dictature et la séquestration de mon vieux.
L’autre, le suicide de ma tante, la sœur cadette de ma mère.
Le lien à la mère je l’ai transmis, tout au long de mes témoignages, par le biais du désamour du père à la faire mère, les complications avec l’amour et la maternité dont j’ai tellement parlé. Et la question : Comment se transmet quelque chose du féminin d’une mère à une fille. Entendu à satiété dans mes témoignages.
L’inconscient traître, étant AE, cela arrive aussi.
Je reçois un WhatsApp de Marina, oui Recalde, … « le nom de ta vieille, c’est Norma ? Bizarre son message ! Non, lui dis-je ! Alors, qui est Norma ? Elle insiste. « Ma tante, tu te souviens, celle qui se suicida ». « Ah, OK, ça me disait quelque chose » répond Marina. Moi je continuais à ne pas comprendre : « Je le dis en raison du titre que tu a proposé pour témoignage de Barcelone, « Derrière de la norme » [de la norma]. Voilà comment terminant mes trois années, un lapsus fait apparaître le signifiant, décidément censuré.
Donc, c’est quelque chose de cela qu’aujourd’hui je veux transmettre.
Toute ma vie fut secouée par des appels urgents, angoissants, de ceux qui interrompent inopportunément chaque circonstance avec Norma.
Je veux dire que s’il y avait quelqu’un qui, pour ma mère, occupait toute son attention c’était ma tante, sa petite sœur aimée. Moi, je l’aimais beaucoup, elle venait toujours en vacances avec nous, complice et moderne, cultivée et compétente et belle. Je reconnais beaucoup de choses d’elle en moi. Pour moi, ma mère et ses sœurs étaient des personnages de Woody Allen, elles étaient Hanna et ses sœurs.
En me rendant à une séance, mon analyste se trouvait à Buenos Aires, il était très tôt et j’ai reçu un appel de ma mère qui pleurait et qui était inconsolable. Ma tante Norma s’était jetée par la fenêtre… Mon analyste s’intéressa aux raisons de ce passage à l’acte. Il me dit, « À 58 ans se tuer par amour… » ce qui donna une dignité à l’horreur de son acte…
Et, une fois encore l’amour, celui qui m’avait tant fait travailler pour le réveiller dans l’autre mais, néanmoins, dont l’inverse était perturbé par les délices d’être aimée, fut touché et, d’une certaine manière, redoublait la phrase de la grand-mère de la névrose infantile. Être aimée mais aimer, peu.
Quelle fut, au prétérit passé, ma folie, la folie pour laquelle mon analyse était le scenario le plus assidu.
Ma folie venait de mon fantasme.
Que se passe-t-il quand cet écran qui voile le lien du sujet au réel, produit une telle fascination que le sujet ne veut plus en sortir ?
Je suis en train de parler de moi, ou mieux, de mon cas.
Réveiller l’autre, avec son corrélat correspondant de ne pas le laisser dormir et, en conséquence, ne pas dormir. « Il y aura beaucoup de temps pour dormir », était ma phrase souriante avec laquelle le sujet, en chaque occasion, défiait la mort.
Parler sans s’arrêter pour ne pas me heurter au silence mortifiant du père.
Adopter le semblant masculin pour offrir le mâle duquel le frère s’esquivait.
Tout exagérer pour réveiller l’intérêt de l’analyste.
Travailler sans s’arrêter pour se faire aimer dans la tentative d’enseigner à la mère la recette qui répondait à son insatisfaction en relation avec l’amour de mon père.
« Faire parler, jusqu’aux pierres », dans la pratique, pour colorer avec des mots le silence inquiétant des analysants.
L’Autre m’aime, a besoin de moi, pour le vivifier.
L’impulsion à tous les réparer.
Être « le plus » qui complète l’Autre faisait de ma vie une folie « sans limites ».
« Vous toujours une en plus », était la plainte du partenaire qui menait à ces courts-circuits qui dans la vie quotidienne perturbaient le lien.
Cette fiction, boussole de ma vie, orientait tout. Et, vous savez quoi ? C’était incurable … des années d’analyse … mais ça fascinait le sujet.
Ainsi, encore, affleurer chaque fois la plainte et le risque.
Confondant le sans limite avec la jouissance illimitée du féminin.
Prisonnière de la folie de mon fantasme qui m’assurait un lieu dans mon petit monde.
Combien d’analystes seront intervenus pour toucher ce point de réel invariable.
Celle dont je me souviens, celle qui me représenta permit sa traversée : « Vous êtes l’agent de la réparation. »
Ces effets de réduction de la position de réparatrice permirent — comme l’énonça Leonardo Gorostiza — « manœuvrer avec la voix au lieu de l’être par elle, pouvoir supporter le silence pour une transmutation du silence mortifiant et insupportable du père en un silence qui occupe le lieu de la cause. »
Et la folie est de ce qui reste le plus féminin que j’ai,
Parce que je suis folle mais pas folle du tout
Simplement, je sors de la norme
Je ne me suis pas guérie du fondement névrotique du désir de l’analyste, l’extrême curiosité infantile.
Je ne me suis pas guérie d’avoir toujours 18 ans.
Je ne me suis pas guérie du goût pour la scène et les applaudissements.
En revanche, oui la vie est possible quand les projecteurs s’éteignent.
Je me suis guérie de l’obstination d’être hyper plus originale même quand je suis occupée à suivre mon chemin de la singulière.
Je ne me suis pas guérie de la folie qui me déclenche quand je suspecte que quelqu’un me copie.
Je ne me suis pas guérie de me réinventer chaque fois.
Je me suis guérie du délire de tout réparer.
Et, avec lui, je me suis guérie de l’identification virile et de la jouissance dans le corps que cette identification engendrait.
Je ne me suis pas guérie du semblant masculin qui m’habite.
Je me suis guérie du cynisme, qui se corrobore pour vouloir transmettre à d’autres, à l’école mon parcours analytique et élaborer la fin.
Je ne me suis pas guérie de l’irrévérence.
Je me suis guérie d’être la voie de l’autre, du père silencieux.
Je ne me suis pas guérie de trop parler, de dire ce qui ne convient pas.
Je me suis guérie de croire que je vivifie l’autre.
Je ne me suis pas guérie de continuer à croire.
Je me suis guérie de la curiosité que les homosexuelles me produisaient mais je ne me suis pas guérie de flirter avec les lesbiennes.
Je me suis guérie de la compulsion à me faire aimer permettant le retour aimant.
Je ne me suis pas guérie qu’il m’importe s’il m’aime ou ne m’aime pas.
Je me suis guérie de ne pas dormir, je me suis guérie de ne pas laisser dormir l’autre.
Je ne me suis pas guérie du goût pour les longues nuits.
Je n’ai pas réussi le maquillage en moi, ni des tacos, ni des traitements de beauté.
Mais je me suis guérie du dédain pour les déguisements des femmes.
Je me suis guérie du rejet de la maternité.
Rien ne m’enchante davantage que de jouer à être mère — par moments — avec mes enfants avec lesquels nous nous entendons génial même s’ils disent de moi que je suis folle.
Je me suis guérie de l’idée que la maternité conduit au désamour des hommes.
Je ne me suis pas guérie de l’addiction au tabac, bien que je n’ai jamais parlé de cela dans mes 28 ans d’analyse.
Je me suis guérie de l’attardée
Je me suis guérie de celle qui est en avance
Je ne me suis pas guérie de m’égarer.
Je me suis guérie de l’idéal féminin de La Femme.
Je ne me suis pas guérie de recréer des masques qui réveillent les regards de l’autre.
Je ne me suis pas guérie de l’activisme dans mon lien au partenaire.
Je ne me suis pas guérie de la condition érotique : le féminin chez un homme.
Je me suis guérie de la fascination du fantasme.
Je ne me suis pas guérie du tout de la fiction qui engage mon mode de voir le réel.
Et, du reste … il resta beaucoup … plus limitée … moins débridée … aimable … faisant de cela un style.
Et ce n’est pas la même chose Un style de folie qu’une folle avec du style.
Traduction : Guy Briole
[NDT : Le style voulu par l’auteure a été respecté]
[1] Intervention au XIe congrès de l’AMP à Barcelone « les psychoses ordinaires et les autres, sous transfert », avril 2018, dans le cadre des « Grains de folies » des A.E. ponctuant la journée clinique.