J’ai rencontré une part de la pensée de Lacan en troisième année à l’université en allant faire mon premier stage. Par choix, j’allais dans le service d’Yves-Claude Stavy, au Jardin d’enfants où l’on reçoit des patients autistes. Je tombais tout de suite dans un bain de signifiants qui me passionnaient. Sans comprendre chaque phrase, c’était le vivant de la clinique, du transfert, que je retenais. Face à cette clinique très difficile, les temps de reprise étaient essentiels. J’y appris l’importance de l’infime, du détail, de l’absence et du silence.
Cet enseignement était marqué par les mots du Dr Stavy qui accompagnent toujours mon travail. Ainsi, comment transformer en invention la perplexité initiale ? Quelque chose de la langue avait fait trauma et venait faire effraction dans le réel. Ce qui nous intéressait était de repérer ce bout de réel, pour en faire une invention symptomatique. Comment l’analyste, en proposant une interprétation, pouvait répondre au « ça fait bizarre » ? Laure Naveau, avec qui je fus en stage plus tard au CMP de Bagnolet m’appris, que parfois, il s’agissait de recouvrir un réel brulant, de ne pas extirper une parole ni même de dire et au contraire, accuser réception du « trop » dans le silence et la présence incarnée.
Ce travail avec les autistes comme avec les patients reçus au CMP était un travail de minutie, et de là, il me semble intéressant de reprendre l’acte de l’analyste. Dans la préface du « Discours de Rome », Lacan incite à la rigueur de l’analyste, à la nécessité pour celui-ci d’être au clair avec ce qui suscite son action, à ne pas se perdre dans « sa propre opacité ». D’où l’importance de la rigueur dont Christiane Alberti parlait aux journées « Être mère » : « rigueur et présence des corps »1. Quelles bases théoriques de nos interventions ? D’où nous intervenons ? Avec quoi ?
Avec les enfants, comme désormais avec les patients que je reçois, je perçois cette importance de la précision. Précision qui ne va pas à l’inverse de la hâte. La préface du Discours de Rome est claire sur un autre point. Ce n’est que dans l’urgence que l’on crée et c’est bien la hâte dans la « précipitation logique » qui dévoile une vérité – en tout cas celle du sujet. Cet acte qui anticipe la certitude est conditionné par la connaissance que l’analyste a du patient, du cas. L’interprétation n’est possible qu’à cette condition. Ainsi, dans ce très beau passage des Ecrits, Lacan nous explique que ce n’est qu’avec une certitude que l’on peut « comprendre la cohérence dans le réel », du désordre que l’on dénonce et du parti que l’on choisit2. Un homme, face à un chemin qui se divise, ne pourra savoir s’il a pris le bon chemin qu’une fois engagé. Nous ne connaissons qu’après-coup ce qui a suscité notre action et les causes de celle-ci. Le patient et l’analyste avancent à tâtons.
La hâte me parait essentielle, mais bien sur aussi, le transfert et la joie. Ce fut ma seconde porte d’entrée à la lecture de Lacan, un cours sur le transfert à l’université : ce qui rend la psychanalyse vivante, en mouvement. Le sujet qui commence une analyse cherche à contrôler le langage, la cure. Ce n’est que dans ce mouvement transférentiel avec l’analyste qu’il perd ses mots, improvise, rate, recommence, répète. Et c’est bien là ce qui est passionnant dans notre travail : comment permettre au sujet d’improviser ? Comment faire qu’un sujet puisse se mettre au rythme de l’autre tout en entendant son désir ?
Je conclurais alors par ce qui m’aiguille dans ma pratique de jeune analyste et dont Lacan parle dans la revue Ornicar « s’il n’est pas porté à l’enthousiasme, il peut bien y avoir eu d’analyse mais d’analyste aucune chance ».
1 Cf, discours de Christiane Alberti en conclusion des journées « Être mère ».
2 LACAN.J, « Fonction et champ de la parole et du langage », Ecrits I, Essais, Points, p240