La fête est devenue un des signifiants de notre hyper modernité propice à massifier les foules autour de ses artifices. Car elle est ce qui peut faire oublier a, au sein de la multitude, quand certains artistes s’emploient à le récupérer pour lui donner forme de spectacle. Eddy de Pretto est de ceux-là. Car elle est ce qui peut faire oublier a, au sein de la multitude, quand certains artistes s’emploient à le récupérer pour lui donner forme de spectacle. Eddy de Pretto est de ceux-là.
Révélation de l’année 2018 aux Victoires de la musique et plébiscité par le public avec sa chanson, Fête de trop, issue de son premier album intitulé Cure, Eddy de Pretto pose sa voix emphatique sur un rap mélodieux, hip-hop salvateur, qui s’offre au maniement d’un style âpre et talentueux. Auteur, compositeur et interprète, il fait usage d’une langue poétique sertie de violence pulsionnelle. Il nous enveloppe de ses univers background entre le velours impossible de l’amour en duo et le duel contre lui-même, qui se cogne au mur trop dur du langage. La jouissance y est toujours en excès : « Tu sais, ce soir j’ai vu tous les joyaux de la pop, j’ai même bu à outrance toute l’absinthe de tes potes. J’ai côtoyé de rares nymphes, pris des rails en avance […] C’est la fête de trop ! […] Regarde, je luis de paillettes et me réduis au K.O. »[1]
La quête de l’alter ego soutient le mirage de faire Un à deux, autant qu’il le déçoit et le déchoit : « Si ça continue, je me taillerai en or, je mettrai à ma vue que des gens qui m’adorent […] J’te jure, je deviendrai fou de moi »[2]. De l’obscénité fugitive parsème les mélopées, capturées par le retour de la jouissance autoérotique, où le moi souffre sans le savoir, de la passion du signifiant. Car Eddy de Pretto prend soin de ses mots, il les écorche pour soigner l’incurable, en guerre contre ce qui ne cesse pas de ne pas guérir. Sa lalangue conserve soudés, les intervalles vides de certains de ses titres, « Desmurs », « Mamère », pour façonner la manière singulière de se dire coapté à l’Autre. Il émeut avec son « cœur figé de laque »[3], avec « cette carapace sur ce minois »[4]… « Avec juste un ou deux baisers que je chope à l’envolée, je m’imagine des volcans qui inonderaient mes champs de plaies »[5].
Né en 1993, cet artiste aux allures dégingandées d’adolescent, tenant un iPhone à la main, branché sur l’époque de la connexion généralisée, mobilise l’ironie de la solitude partenaire, convoquée par la pléthore des rencontres sur les réseaux sociaux. L’ego bataille avec l’hétéros dans les déchirements des conquêtes homo et des errances du sexe. Mais l’addition des addictions cède le pas au désir de diction, de bien dire ce qui n’a pas de nom. Fustigeant la norme trop mâle et de l’hyper virilité prônée par l’âpreté de l’ordre paternel avec son titre « Kid », Eddy de Pretto se taille une échappée belle avec l’arme de ses mots : « J’ai mis mon costume de gars dur mais mes fourrures sont mes armures. Stop, pas de pas de plus »[6]. La révolte féminise lorsque le phallus constitue un obstacle au désir, quand on croit toujours que c’est un autre qui l’a.
Sur le site Web Huffpost, il se définit comme un artiste « non-genre ». Le non-genre est le signifiant du rempart qu’il a fallu dresser dans le lien social pour tenir son choix d’objet à l’abri des humiliations. La haine de l’autre souffre de se reconnaître comme aussi porteur de la Chose en soi. La partition entre les sexes stigmatise un pouvoir de domination domestique d’un sexe sur l’autre, allant de la « virilité abusive »[7], à « la cité des mâles [qui] veille sur le quartier des lunes. Elles veulent y faire leur place et doivent y bouffer du bitume »[8]. Le non‑genre compose les faux semblants de l’être, à travers une sexuation fallacieuse que la langue draine dans sa grammaire pulsionnelle, tout en maintenant la polarité sexuelle dans l’esthétique des équivoques : « Mais hurle, fais semblant d’être belle, fais semblant d’être fou. Mais brûle, fais semblant d’être reine […] rien n’est plus immortel dans nos guerres »[9]. Ce duel extime se dérobe au duo, poussant le manque-à-jouir en solo, vers la fête de trop.
Aussi, est-ce en montant sur l’escabeau iconique de son art qu’Eddy de Pretto fait de son symptôme le début de Cure, où il joue des concerts à guichets fermés. Si la fête pouvait nous libérer des fourches caudines de la castration, alors on pourrait faire la fête, enfin ! Faire La fête qui n’existe pas…
[1] Eddy de Pretto, « La fête de trop », Cure, mars 2018.
[2] Eddy de Pretto, « Ego », Cure, op. cit.
[3] Eddy de Pretto, « Mamere », Cure, op. cit.
[4] Eddy de Pretto, « Desmurs, Cure, op. cit.
[5] Eddy de Pretto, « Random », Cure, op. cit.
[6] Eddy de Pretto, « Desmurs », Cure, op. cit.
[7] Eddy de Pretto, « Kid », Cure, op. cit.
[8] Eddy de Pretto, « Quartier des lunes », Cure, op. cit.
[9] Eddy de Pretto, « Rue de Moscou », Cure, op. cit.