En prévision de la soirée, animée par François Leguil et Pierre Naveau, avec Louis-Philippe Dalembert autour de son livre Noires blessures, P. Naveau a accepté de rencontrer Christiane Page afin d’évoquer pour L’Hebdo-Blog quelques pistes de réflexion provoquées par la sa lecture du roman.
Christiane Page – Dans le roman de Louis-Philippe Dalembert qui a pour titre Noires blessures, publié au Mercure de France en 2011, il est question de la rencontre entre deux hommes. Que pouvez-vous dire de cette rencontre ?
Pierre Naveau – Le roman de Louis-Philippe Dalembert se lit en noir et blanc. Le lecteur y apprend que ce qui peut arriver de pire à un Noir, c’est de tomber sous la main d’un Blanc et d’en devenir l’esclave. Lorsqu’il est proposé à Laurent Kala (qui, donc, porte un nom à résonance étrangère !) de prendre comme boy (quel mot !) Mamad White (sic), il apparaît d’emblée que c’est là une très mauvaise idée. La rencontre se fait immédiatement sous le signe du rejet : « Dès le départ, Laurent ne l’avait pas senti, ce Mamad. Il n’avait pas d’explication rationnelle. Mais ce sentiment allait au-delà de la répulsion instinctive qu’un être humain peut inspirer au premier regard à un autre et qu’on a du mal à évacuer par la suite. »[1] C’est donc sous ce signe funeste que les chemins des deux hommes se croisent.
C P – Comment évoqueriez-vous, dès lors, les positions subjectives de ces deux hommes ?
P N– Mamad l’Africain a été élevé par une mère qui n’avait rien d’autre que la dignité d’exister à laquelle elle était attachée. Il n’a connu, depuis son enfance, que la « misère noire » et a ainsi été obligé d’arrêter ses études. Laurent, le Blanc, est, quant à lui, tourmenté par une voix qui le pousse à venger la mort d’un père tué, lors d’une manifestation anti-raciste, par le coup de matraque asséné par un CRS noir.
Le récit de L.-P. Dalembert raconte, avec âpreté, de quelle manière l’enfer du racisme plonge ses racines dans l’histoire brûlante d’un sujet.
Le Blanc décide de passer à l’action quand, « ivre de rage », il surprend un brusque rapport sexuel entre Mamad et une femme africaine venue le rejoindre. Il trouve alors l’occasion d’anéantir le Noir dans sa dignité d’homme. À ce moment-là, il prend plaisir, avec la plus extrême cruauté, à l’humilier. Mamad est alors élevé au rang de paradigme de la victime. Ligoté sur une chaise, impuissant, ne pouvant répliquer aux coups et aux insultes, le Noir éprouve, dans la chair de son corps meurtri, ce qu’il en coûte d’être un esclave condamné à courber l’échine et à rester muet. L’assassinat est évité de justesse par l’arrivée inopinée du consul.
Le roman de L.-P. Dalembert constitue un utile point d’appui pour avoir une discussion à propos du racisme.
[1] Dalembert L.-P., Noires blessures, Mercure de France, p. 186-187.