Questions de L’Hebdo Blog à Frank Rollier,
directeur du CPCT d’Antibes
concernant le Colloque du CPCT d’Antibes – 18 avril 2015
L’HB – Qu’avez-vous pu constater, dans votre clinique au CPCT d’Antibes, pour choisir ce thème pour votre Colloque ?
Notre CPCT ne reçoit pas de sujets toxicomanes ni dépendants de l’alcool. Par contre, l’addiction aux réseaux sociaux et/ou aux jeux vidéo est un symptôme très fréquent, qui motive parfois l’adresse au CPCT tant l’adolescent est empêtré dans une jouissance incontrôlable. L’addiction est parfois masquée par un autre symptôme, absentéisme scolaire, agressivité, angoisse… Certes, elle ressort de l’addiction généralisée des sujets contemporains – les adultes n’étant pas les derniers branchés – mais il convient dans chaque cas de la situer en fonction du rapport qu’entretient l’adolescent avec l’Autre du langage et l’Autre social. La clinique nous enseigne que l’ado ainsi branché était souvent débranché du lien social depuis l’enfance, ou bien depuis sa rencontre d’un réel difficile voire impossible à symboliser lors de l’accès à la sexualité, du décès d’un proche, ou d’une séparation. L’addiction à internet, sous l’une de ses variantes, peut alors représenter pour lui une tentative de se rebrancher sur l’Autre, au prix d’une mise à distance de la rencontre réelle des corps.
Dans le transfert, cet effort de l’adolescent pourra être soutenu par le consultant du CPCT qui le reçoit, pour autant qu’en s’abstenant de lui donner des directives (comme le font ses interlocuteurs habituels), il lui propose une direction : celle de renouer avec la parole pour découvrir quelques signifiants qui fondent sa singularité, capitonner ainsi son discours et mettre à distance les impératifs de jouissance qui l’assaillent. Pour certains, un passage de l’ad-diction au dire pourra s’opérer, ouvrant sur une invention du sujet.
Lors du colloque, deux cas cliniques exposés par des consultants du CPCT rendront compte de la fonction de cette addiction dans l’économie d’un sujet et permettront d’ouvrir le débat sur le traitement qui peut en être fait.
Marie-Hélène Blancard, AE de l’ECF, fera ensuite une conférence sous le titre « Sorties de crise : des réponses singulières ». Elle traitera cette question à partir de cas d’analysants dont la clinique sera mise en rapport avec leur adolescence, mais aussi à partir de sa propre expérience de ce moment singulier.
L’HB – « L’ado » serait plus en prise à l’Impératif donc, aux exigences du Surmoi ? à l’exigence de la jouissance immédiate ?
L’accroche de l’ado aux objets plus-de-jouir mis à disposition par le marché, est une réponse aux bouleversements pulsionnels et identitaires qui le traversent. L’offre de jouissances immédiates faite aux ados, répond parfaitement à l’angoisse produite par la rencontre qu’ils font de l’impossible à écrire du rapport sexuel. Mais le surgissement des objets, qui évite de désirer et d’en passer par l’Autre, exacerbe la ségrégation et l’angoisse, ce qui tôt ou tard fait symptôme, souvent d’abord pour l’entourage familial et social. Pris dans une spirale infernale, caractéristique du discours du capitalisme, l’ado devient lui-même objet d’une jouissance qui s’adresse à son corps et le prive de parole.
L’HB – Vous témoigneriez, au CPCT d’Antibes, d’adolescents addicts à la pornographie ?
Cette question sera l’un des thèmes traités lors de notre colloque. Le paradoxe est que les ados que nous recevons n’en font pas état, la courte durée du traitement ne leur permettant pas d’aborder une question aussi délicate. Par contre, les jeunes analysants que nous recevons dans nos cabinets témoignent très souvent de l’impact qu’a eu le porno dans leur adolescence, et qu’il a souvent encore dans leur vie. La pornographie est aujourd’hui un des modes du troumatisme que produit la rencontre de la sexualité. Objet plus-de-jouir par excellence, elle laisse croire à la possibilité d’une rencontre sexuelle qui n’obéirait qu’à la jouissance des corps. Elle engendre une appétence pour les scénarios d’où toute parole est exclue et fait le lit d’une inhibition envers la rencontre réelle d’un partenaire.